Pérou : histoire

Chavín de Huantar
Chavín de Huantar

1. Les premières civilisations

1.1. 22 000-4000 avant J.-C.

Le pays présente trois régions bien différenciées : la côte, les hautes terres et la forêt. Les mieux connues, du point de vue archéologique, sont les deux premières, plus favorables, grâce aux conditions climatiques, à la conservation des vestiges. La côte et les hautes terres se divisent en trois secteurs : Nord, Centre et Sud.

Les plus anciennes datations remontent à 22 000 ans et correspondent aux sites de la vallée d'Ayacucho, Toquepala et Lauricocha, dans les hautes terres, où d'autres sites se situent aux environs de 7 500 ans avant J.-C. Ce sont surtout des grottes et des abris, où on a trouvé des peintures rupestres et un outillage en os et en pierre, attribué à des chasseurs.

Sur la côte, habitée par des pêcheurs sédentaires, apparaissent, entre 5000 et 4000 avant J.-C., des plantes cultivées : haricot, courge et coton. Dans les hautes terres, à la même époque, on cultive le quinoa (graminée comestible) et des cucurbitacées et on élève des animaux comme le cochon d'Inde et peut-être le lama. Cependant, la chasse, la pêche et la cueillette constituent encore des activités importantes.

1.2. 1800-200 avant J.-C.

Vers 1800 avant J.-C. débute, dans les Andes centrales, la période formative (1800-200 avant J.-C.), et sur la côte centrale ainsi qu'à Kotosh apparaît la céramique ; dans les autres régions du Pérou, elle est plus tardive. Le tissage sur métier date de la même époque, caractérisée aussi par la construction de centres cérémoniels.

1.3. Les cultures Chavin, Moche, Recuay

Au xe siècle avant J.-C., s'épanouit la culture Chavin, probablement associée à un culte du félin. Le style de Chavin se diffuse rapidement sur un vaste territoire, influençant des manifestations locales, comme celles de Paracas, sur la côte sud.

Vers 200 avant J.-C., au début de la première période intermédiaire (200 avant J.-C.-600 après J.-C.), l'influence unificatrice de Chavin s'estompe, et des cultures locales se développent : Moche (côte Nord), Nazca (côte Sud), Lima (côte centrale), Recuay (côte et hautes terres du Nord). L'artisanat atteint alors un grand développement artistique et technique, surtout la poterie et le tissage. La guerre permet aux différents États de gagner de nouvelles terres cultivables, nécessaires pour nourrir une population de plus en plus nombreuse.

1.4. Huari et Tiahuanaco

Vers les années 600 ou 700 de notre ère, selon les régions, les cultures régionales disparaissent et commence l'expansion Huari-Tiahuanaco. Les influences de cette civilisation vont s'étendre sur la plus grande partie de la côte et des hautes terres du Pérou, ainsi qu'au nord du Chili et au nord-ouest de l'Argentine. C'est une époque de grand développement urbain, comme en témoignent les villes de Huari (Pérou) et de Tiahuanaco (Bolivie).

1.5. La période 1200-1400

Elles existaient déjà à la période précédente, mais sans atteindre une dimension aussi considérable. Vers l'an 1000, l'influence Huari-Tiahuanaco disparaît et, entre 1200 et 1400, s'épanouissent des États régionaux, toujours désireux d'expansion, comme le royaume chimú (côte Nord) ou celui de Chincha (côte Sud) ; la culture Chancay (côte centrale) date de la même époque. Des styles locaux fleurissent, mais ils n'ont pas la même qualité que ceux de la première période intermédiaire ; la poterie, en particulier, est fabriquée massivement dans des ateliers. L'orfèvrerie, par contre, est remarquable, comme l'atteste la célébrité des orfèvres chimús auprès des Incas.

1.6. L'Empire inca

L'expansion des Incas commence en 1438 avec Pachacutec, qui entreprend la conquête de vastes territoires. En 1490, l'empire s'étend depuis la frontière entre l'Équateur et la Colombie jusqu'au fleuve Maule, au Chili ; les hauts plateaux boliviens et le nord-ouest de l'Argentine lui sont également rattachés. Mais la conquête espagnole va mettre fin au premier grand empire de l'Amérique préhispanique.

Pour en savoir plus, voir l'article Empire inca.

2. La conquête espagnole (1525-1555)

À la mort de Huayana Cápac (vers 1525), qui a divisé ses États entre ses deux fils, Atahualpa (Quito) et Huáscar (Cuzco), la guerre civile ravage l'Empire inca. Depuis Balboa, les Espagnols de Panamá connaissent l'existence d'un pays riche en or, situé plus au Sud, et certains vont explorer le littoral.

Trois Espagnols, Francisco Pizarro, Diego de Almagro et Hernando de Luque, s'associent à Panamá pour tenter l'aventure. Après une première tentative infructueuse où ils touchent à Guayaquil, ils reviennent en 1529, Charles Quint ayant nommé Pizarro gouverneur et capitaine général d'une Nouvelle-Castille qui reste à cerner et à conquérir. Ils y débarquent en 1531 avec 180 hommes et 27 chevaux, et, le 15 novembre 1532, après une longue marche, arrivent à Cajamarca, où Atahualpa, pris par la guerre civile contre son frère et entouré d'une armée de 40 000 hommes, laisse venir cette poignée d'inconnus. L'Inca est fait prisonnier par Pizarro, qui entre peu après à Cuzco.

Dans la guerre civile inca, Pizarro s'allie aux partisans de Huáscar, qui vient d'être exécuté sur ordre de son frère ; les ethnies du Sud, récemment conquises – les Kañaris surtout –, se joignent à lui contre les Incas, et la promesse de leur libération provoque le soulèvement des serfs, ou yanaconas.

L'exécution d'Atahualpa par Pizarro (août 1533), malgré le versement d'une rançon fabuleuse et son baptême, scelle l'union de Pizarro et de ses alliés indigènes.

Pizarro exerce alors le pouvoir à travers un groupe d'Incas fantoches et commence à organiser la présence espagnole avec la fondation des villes, dont Lima – la « cité des rois » –, créée en 1535, dont il fait la capitale. Les rivalités entre conquistadores pour le partage du butin commencent et seul le départ d'Almagro pour le Sud et pour le Chili empêche le conflit. La révolte indienne éclate en 1533 : l'Inca Manco Cápac II réussit à s'évader et revient avec une énorme armée, levée dans le Yucay, assiéger Cuzco, où 200 Espagnols résistent pendant plusieurs mois à 50 000 Indiens. Le retour d'Almagro en 1537 sauve les Espagnols, et Manco doit se retirer aux lointaines Andes de Vilcabamba, où il reconstitue un État néo-inca à Vitcos, dont la résistance ne finit qu'avec la capture et l'exécution de l'Inca Túpac Amaru Ier (1572).

La victoire de 1537 et la déception face à un Chili pauvre et difficile ouvre le cycle des guerres civiles entre les conquistadores du Pérou, où périssent Almagro et Pizarro, les chefs des deux partis opposés, qui s'affrontent dans une série de guerres où interviennent aussi les Incas (1537-1544).

La promulgation en 1542 des « Nouvelles Lois » par Charles Quint, pour protéger les Indiens des excès des conquistadores, va de pair avec la nomination d'un vice-roi, Nuñez de Vela, pour imposer l'autorité royale. La tentative de faire appliquer ces lois au Pérou provoque la révolte des Espagnols. La guerre dure dix ans (1544-1554) et connaît des épisodes multiples, depuis la mort du vice-roi sur le champ de bataille d'Añaquito (1542) jusqu'à la sécession de Gonzalo Pizarro, qui se déclare indépendant de l'Espagne, et qui n'est vaincu et exécuté qu'en 1548 par le vice-roi Pedro de La Gasca. Ce n'est qu'avec la défaite du dernier pizarriste, Hernández de Girón, en 1554, et l'arrivée à Lima comme vice-roi d'Andrés Hurtado de Mendoza, marquis de Cañete, en 1555, que finit la grande période de troubles.

3. L'époque coloniale (1555-1781)

3.1. La vice-royauté du Pérou

Le système colonial

Le système colonial, élaboré par le marquis de Cañete (1556-1561), est organisé par le vice-roi Francisco de Toledo (1569-1581), qui copie l'organisation inca ; les Indiens restent groupés en communautés agricoles ; les unes sont placées sous la tutelle (encomienda) du conquérant qui les exploite ; les autres s'acquittent envers l'autorité publique du tribut et de la mita (corvée instituée par les Incas), bien que celle-ci fasse fuir de nombreux habitants vers Lima ou la plaine côtière.

La noblesse inca s'intègre, en gardant une certaine spécificité, à l'aristocratie coloniale, et maints chefs inférieurs, les caciques, servent d'intermédiaires entre les communautés indigènes et l'administration espagnole. Il faudra un long effort des religieux pour rattacher les Indiens à la culture chrétienne.

Commerce et exploitation des mines

Les colons espagnols introduisent sur les premiers plateaux des Andes l'olivier, le blé et la vigne, font venir des esclaves pour les plantations de canne à sucre fondées sur la côte ; enfin, ils achètent des produits tinctoriaux, des meubles, des ornements ecclésiastiques, des textiles mexicains, etc.

Mais la grande richesse du Pérou provient de son sous-sol. La mine de mercure de Huancavelica permet l'amalgame de l'argent au Mexique (1567), puis au Pérou lui-même (peut-être dès 1572, au plus tard en 1585).

Le gisement d'argent de Potosí, découvert en 1545, domine la production mondiale jusqu'au xviiie siècle, et alimente pour une très large part les courants commerciaux qui, depuis El Callao, se dirigent vers les isthmes de Panamá (route principale) et de Tehuantepec (ports de Huatulco, puis, après le milieu du xvie siècle, de Navidad) et vers le Río de la Plata. Cet argent, qui à la fois soutient et perturbe l'économie de la métropole et de l'Europe entière, enrichit la société coloniale. Mais, après avoir atteint son apogée entre 1610 et 1630, la production d'argent de Potosí s'effondre rapidement du fait de l'épuisement des filons les plus accessibles, de l'inadaptation technique de l'exploitation et de la fuite de la population indienne vers la côte, les plantations et les villes (surtout Lima), où la mita n'existe pas ; l'apparition d'un salariat n'enraye pas ce processus, la population diminuant d'ailleurs globalement jusqu'à la fin du xviie siècle, après la période catastrophique de 1525 à 1600, qui voit passer la population d'environ 10 millions d'habitants à 1 million.

Quand la reprise démographique se fait sentir au xviiie siècle, Potosí ne se réveille pas, d'autant moins qu'entre-temps les relations avec la métropole par le Pacifique et l'isthme de Panamá se sont interrompues et que le seul lien subsistant avec l'Espagne est la longue et dangereuse route de Buenos Aires.

Les audiencias

Isolée de l'Europe, l'immense vice-royauté du Pérou, qui s'étend en fait sur toute l'Amérique du Sud et est divisée en sept audiencias (Panamá, Santa Fe de Bogotá, Quito, Lima, Charcas, Chili et Buenos Aires), se réduit peu à peu au territoire actuel : la vice-royauté de Terre-Ferme ou de Nouvelle-Grenade (1718), définitivement organisée en 1740, lui enlève le Venezuela, la Colombie et l'Équateur actuels ; en 1776, la création de la vice-royauté de La Plata (Argentine, Uruguay, Paraguay) lui ôte même l'audiencia de Charcas (haut Pérou, l'actuelle Bolivie).

L'insurrection de Túpac Amaru II

Enfin, la capitainerie générale du Chili, créée en 1778, a une certaine autonomie à l'égard de Lima, alors que la proclamation de la liberté du commerce (1778) ébranle les frontières espagnoles et prépare déjà l'indépendance. Les discriminations de la société coloniale, la modernisation de sa fiscalité et les excès de maints corregidors provoquent en 1780 la révolte de José Gabriel Condorcanqui, qui prend le nom de Túpac Amaru II et soulève les masses indiennes. Il est vaincu et exécuté en 1781.

4. La libération et l'indépendance politique (1804-1884)

L'énergique vice-roi J. F. Abascal (1804-1816), qui fait du Pérou un bastion royaliste fondé sur la fidélité des Indiens et la passivité des créoles, qui les craignent, repousse l'armée des Argentins révoltés. Mais, après l'insurrection de Cadix (1820), San Martin prend l'offensive à la tête des Argentins et des Chiliens ; entré dans Lima insurgée, il impose l'indépendance au Pérou et reçoit le titre de « Protecteur » (28 juillet 1821), qu'il abandonnera en septembre 1822, après l'entrevue de Guayaquil avec Bolívar (juillet 1822).

C'est l'armée de ce dernier, proclamé « Libérateur » (septembre 1823), qui achève la destruction de l'armée royaliste (Junín et Ayacucho, 1824) ; la dernière garnison coloniale, celle d'El Callao, capitule en janvier 1826. Les grands propriétaires et les caudillos militaires prennent maintenant le pouvoir à la place de l'administration espagnole, tandis que l'État se désagrège, et que la montagne indienne, délaissée, et ses communautés perdent leurs terres à la faveur de la législation libérale.

Déjà le désordre politique s'est installé ; avant même que Bolívar abandonne le pays à son destin (septembre 1826), il y a eu deux présidents de la République en deux ans. Le Pérou va connaître une multitude de pronunciamientos et de Constitutions. Les liens traditionnels entre le bas et le haut Pérou permettent au maréchal Santa Cruz de créer une confédération péruviano-bolivienne (1836), qui est détruite par l'armée chilienne (1839). Ramón Castilla, président de la République à deux reprises (1845-1851 et 1855-1862), impose sa dictature, supprime alors le tribut des Indiens et l'esclavage des Noirs, et développe l'économie nationale ; les capitaux européens s'intéressent à l'exploitation du guano et du salpêtre, qui sont à l'origine de l'introduction d'une main-d'œuvre chinoise extrêmement maltraitée (à partir de 1849). Une affaire de créances amène la flotte espagnole à occuper les îles Chincha, riches en guano (1864), puis à bombarder El Callao (1866) ; finalement, l'Espagne doit renoncer à ses rêves de reconquête coloniale.

Le salpêtre de la province de Tarapacá est à l'origine de la guerre du Pacifique avec le Chili, qui bat la Bolivie (1879-1880) et le Pérou (1879-1883). Ce dernier cède la province de Tarapacá au Chili, qui occupera les autres provinces de Tacna et d'Arica pendant dix ans, avant qu'elles ne décident de leur sort par un plébiscite. En fait, l'affaire ne sera réglée qu'en 1929, le Chili rendant Tacna et gardant Arica. Des querelles de frontières moins graves se régleront avec le Brésil (1909), avec la Colombie (cession du trapèze de Leticia, 1934) ; en revanche, le différend avec l'Équateur (région au nord du Marañón) persiste, malgré la guerre qui a opposé les deux pays et l'accord de Rio de Janeiro (1942), qui a reconnu au Pérou la souveraineté sur la majeure partie des territoires amazoniens contestés (200 000 km2). En janvier 1981, des incidents frontaliers opposeront encore les deux pays pour la possession de cette région riche en pétrole.

5. L'alternance politique et la modernisation du pays (1884-1948)

La guerre du Pacifique entraîne de profondes mutations dans l'univers politique péruvien. La figure du caudillo, fondant son pouvoir sur la légitimité populaire et apparue au moment de l'indépendance, disparaît, tandis que militaires et civils vont se succéder à la présidence de la République.

5.1. Le développement économique

Le retour des civils à la tête de l'État, avec Nicolás de Piérola, président de 1879 à 1881, puis de 1895 à 1899, s'accompagne d'un formidable essor de l'économie, grâce à l'exploitation du caoutchouc de la forêt amazonienne, et d'une modernisation de l'industrie technique.

Sous les deux présidences d'Augusto Bernardo Leguía (1908-1912 et 1919-1930), les militaires reviennent au pouvoir et poursuivent la politique de modernisation du pays mise en place par N. de Piérola.

Après l'ouverture du canal de Panamá et la Première Guerre mondiale, les productions de sucre et de coton se développent considérablement. La main-d'œuvre manquant, les planteurs font appel à des immigrés japonais ; ainsi, entre 1899 et 1923, environ 18 000 Japonais arrivent au Pérou comme ouvriers journaliers. Mais la politique d'A. Leguía n'améliore pas la situation des Indiens, qui restent les laissés-pour-compte d'un système où subsistent encore le caciquisme et le clientélisme. La pénétration de trop nombreux capitaux étrangers accroît la dette extérieure, tandis que le régime se trouve affaibli par les deux crises économiques de 1920 et 1925.

5.2. Les années 1924-1939

De nouvelles forces politiques apparaissent, dont l'Alianza Popular Revolucionaria Americana (APRA), fondée en 1924 par Haya de la Torre, alors en exil. Ce mouvement politique, qui se dit d'inspiration marxiste non communiste et anti-nord-américain, se prononce en faveur d'une nationalisation des terres et de l'industrie et d'une politique qui prendrait en compte les intérêts des Indiens : il va rester l'un des moteurs de la vie politique péruvienne jusqu'à la fin des années 1980. Parti de type populiste, il aura souvent la faveur du peuple et les régimes en place ne pourront éviter de compter avec lui, du fait de sa capacité à mobiliser les masses.

En 1930, un soulèvement militaire soutenu par le peuple renverse le président Leguía. Le général Luis Sánchez Cerro est au pouvoir pendant sept mois, puis il organise des élections. Haya de la Torre, qui se présente au nom de son parti, est battu de peu par L. Sánchez Cerro lors d'élections, vraisemblablement truquées. Le président élu fait arrêter et emprisonner son adversaire et déclare l'APRA hors la loi. En 1932, les partisans du parti de Haya de la Torre tentent un coup de force dans la ville de Trujillo afin de renverser le pouvoir. Mais la rébellion échoue et la répression est particulièrement rude et sanglante.

Après l'assassinat, en 1933, du président Sánchez Cerro, c'est Oscar Benavides qui lui succède jusqu'en 1936, année des élections. Une fois encore, les résultats penchent en faveur de l'APRA, mais le président Benavides suspend le scrutin et interdit le parti ; Haya de la Torre est exilé. En 1939, c'est un banquier, Manuel Prado y Ugarteche qui est élu à la présidence (1939-1945) ; il poursuit la modernisation du pays et rétablit progressivement la légalité constitutionnelle.

5.3. Premières élections libres

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l'opposition se développe et exerce des pressions importantes (grèves, mouvements étudiants et syndicaux) en faveur de la démocratisation, de l'acquisition de plus de libertés et d'une participation plus grande à la vie politique. Les syndicats se rangent du côté de l'APRA, qui, bien qu'interdite, conserve une forte influence politique. Le régime de M. Prado, comme celui de ses prédécesseurs, est principalement au service des grands producteurs et exportateurs qui constituent l'oligarchie sucrière de la côte, désireuse de se débarrasser de l'APRA, qui gêne ses intérêts financiers et politiques.

La fin de la guerre coïncide avec la fin du mandat de M. Prado, qui organise en 1945 des élections libres. La victoire des troupes alliées rendant délicat le maintien dans l'illégalité de l'APRA, et la poursuite d'une politique trop autoritaire risquant de ternir les relations avec les États-Unis, important partenaire commercial, le gouvernement se voit contraint de négocier avec Haya de la Torre : en échange d'une légalisation et d'une participation au pouvoir, le parti révolutionnaire soutient le docteur José Luis Bustamante Rivero, qui est élu en juillet 1945. Pendant les deux années suivantes, l'entente (convivencia) avec l'APRA se détériore, et, en 1947, le parti quitte le gouvernement pour reprendre sa place à la tête de l'opposition. L'agitation sociale se développe (grèves importantes et soulèvements étudiants). En 1948, le général Arturo Odría s'empare du pouvoir avec l'appui de l'oligarchie, mettant ainsi fin à la première expérience démocratique du Pérou.

6. De la dictature militaire à la transition démocratique (1950-1990)

Les nouveaux dirigeants du pays mettent alors en œuvre une politique d'économie libérale, fondée sur la libre circulation des biens et des capitaux, après avoir dévalué la monnaie. De cette façon, le déficit budgétaire est réduit, et les prix connaissent une certaine stabilité de 1950 à 1953. L'État crée des emplois en lançant des projets de grands travaux de construction de bâtiments administratifs et de santé. De plus, l'agriculture est en phase d'expansion. Ainsi, la population, bien que toujours en marge des décisions politiques et privée d'un moyen d'expression légal, est-elle relativement satisfaite des conditions de vie, qui semblent s'améliorer. Toutefois, la réussite se limite au plan économique, car aucune majorité politique ne se dégage au sein du Parlement. En 1954, les difficultés économiques réapparaissent, et la balance commerciale commence à se dérégler.

À l'occasion des élections prévues pour 1956, le parti de Haya de la Torre revient au centre de l'arène politique. À nouveau, l'APRA et le gouvernement négocient dans des termes proches de ceux de 1945. Le candidat Manuel Prado y Ugarteche, qui a promis d'abroger les mesures d'interdiction pesant sur l'APRA, est alors élu. Puis en 1962, lors des élections présidentielles, Haya de la Torre est élu, contre Fernando Belaúnde Terry, candidat d'un nouveau parti, l'Action populaire, de centre droit, démocrate-chrétien ; mais l'armée fait annuler les élections. Ce coup d'État, réalisé par l'ensemble de l'armée, et non pas par un seul homme soutenu par quelques-uns, se différencie des précédents car il est considéré comme institutionnel (golpe institucional). L'armée fonde alors son pouvoir sur la théorie de la sécurité nationale suivant laquelle les militaires sont les garants de la Constitution et les protecteurs de la République ; de nouvelles élections sont organisées en 1963, et les militaires font élire Fernando Belaúnde à la présidence. Cependant, les importations continuent d'augmenter, et la dette extérieure ne cesse de s'accroître. En 1967, le président doit dévaluer le sol ; mais sa marge de manœuvre est étroite, car il ne dispose pas d'une majorité confortable au Congrès, et il est renversé en 1968 par une nouvelle intervention de l'armée, qui porte au pouvoir le général Juan Velasco Alvarado.

La décennie suivante est marquée par l'action des militaires nationalistes, qui étatisent de grandes entreprises étrangères et réforment l'enseignement. La réforme agraire, entamée en 1969, ne sera officiellement achevée qu'en 1976 : elle revêt une importance particulière, puisque, en ayant pour objectif la modernisation des moyens de production, elle met un terme à l'archaïsme quasi féodal des structures agraires du Pérou.

En 1975, la politique réformiste des militaires est en échec : la dette extérieure a triplé et la première crise pétrolière de 1973 a eu des répercussions dramatiques sur la production et sur les prix. Face au développement de l'agitation sociale, le régime se durcit. D'autre part, la crise coïncide avec des dissensions au sein de l'armée, au moment de la mort du général Velasco, en 1975. La réponse politique du gouvernement à la crise se traduit par un retour à l'orthodoxie libérale : il procède à la privatisation de plusieurs grandes entreprises et fait appel aux crédits étrangers.

La fin des années 1970 est caractérisée par le passage à un régime démocratique. À la différence de ce qui s'était passé en 1945, la démocratie n'est pas imposée par les dirigeants, et la transition s'effectue en douceur. L'Assemblée constituante élue le 18 juin 1978 est dominée par l'APRA, et c'est Haya de la Torre qui la préside. La nouvelle Constitution, promulguée le 6 juillet 1979, peu avant la mort de Haya de la Torre (le 2 août), instaure un régime présidentiel. L'élection de F. Belaúnde à la présidence, le 18 mai 1980, avec 45 % des voix, marque le retour à un régime civil. Pour la première fois, les analphabètes ont pu voter. Mais l'ouverture sur le marché mondial, réalisée grâce à une nouvelle libéralisation des échanges, rend le pays encore plus sensible à la crise internationale ; le retour à la démocratie s'effectue donc dans des conditions économiques et sociales difficiles (inflation, baisse du pouvoir d'achat, grèves).

Parallèlement, le mouvement de guérilla maoïste du Sentier lumineux apparu en 1980, développe à partir de 1982-1983 des actions d'une violence extrême. Le régime fait appel aux forces armées pour réprimer durement la subversion. En 1984, un second groupe de guérilleros apparaît : le MRTA (Movimiento Revolucionario Tupac Amaru), d'obédience communiste.

En 1985, le candidat de l'APRA, Alan García, accède à la présidence avec 47 % des voix lors d'une élection qui consacre la démocratisation du régime : pour la première fois en 40 ans, un candidat élu succède à un président lui-même issu du suffrage universel. En 1987, il entreprend une décentralisation administrative et nationalise les banques. Mais il ne parvient pas à enrayer la crise ni à arrêter l'action du Sentier lumineux, malgré les interventions d'une armée qui reste omniprésente.

À la fin des années 1980, la situation économique, sociale et politique du Pérou est l'une des pires de tout le continent. Les partis politiques sont affaiblis, ainsi que le pouvoir judiciaire et les organisations paysannes. On parle alors de desgobierno (dysfonctionnement du gouvernement).

7. L'ère Fujimori (1990-2001)

7.1. Les débuts : ultralibéralisme et autoritarisme

Lors des élections présidentielles de 1990, c'est un candidat indépendant, Alberto Fujimori, qui est élu, au second tour, face à l'écrivain Mario Vargas Llosa, vigoureux défenseur du libéralisme et leader d'une coalition conservatrice. Membre du parti Cambio 90, A. Fujimori est issu d'une minorité, celle des Péruviens d'origine japonaise. Alors que son programme, lors de la campagne présidentielle, reposait essentiellement sur la protection des droits des minorités ethniques, il applique une partie du programme ultralibéral de Vargas Llosa et prend des décisions radicales (dérégulation du marché, libéralisation des échanges, liberté des prix, élargissement des autorisations de licenciements).

Cette politique d'ajustement économique (le « Fuji choc ») provoque une forte récession. Cependant, Fujimori a su se rendre populaire, notamment en se déplaçant dans les parties les plus reculées du pays. N'étant pas issu d'un parti politique traditionnel, le président trouve ses forces d'appui principales dans l'armée, dont il est le commandant en chef, et se fait doter de pouvoirs exceptionnels par le Congrès. Mais l'année 1992 marque un tournant dans le régime politique, qui prend des allures de dictature. En effet, Fujimori réalise une sorte d'auto-coup d'État (autogolpe) en dissolvant le Congrès, qui refusait d'entériner les propositions visant à donner de plus amples pouvoirs à l'armée, et en suspendant les garanties constitutionnelles. Ce « coup d'État civil » est approuvé par une large majorité de la population, mais les opposants au régime réagissent violemment ; les attentats, qui causent la mort de plusieurs dizaines de civils, et l'insécurité qui en résulte ont des répercussions importantes sur l'activité économique du pays. En juin et en septembre, deux membres fondateurs du Sentier lumineux, Abimael Guzmán et Víctor Polay, sont arrêtés à Lima. L'action du mouvement terroriste est alors considérablement ralentie.

En 1993, une nouvelle Constitution est promulguée, octroyant davantage de prérogatives au président ainsi qu'au pouvoir exécutif et diminuant celles du Congrès – la plupart des partis de l'opposition ont au reste boycotté le vote au sein de l'Assemblée constituante. Cette politique autoritaire permet au chef de l'État de lutter avec succès contre le terrorisme et d'opérer un redressement économique notable, ce qui facilite sa réélection en 1995, avec 64 % des voix au premier tour. Le Congrès est majoritairement du côté du président (67 sièges sur 120, contre 17 pour le leader de l'opposition – Unión por el Perú [UPP], du centriste Javier Pérez de Cuéllar). En avril 1996, A. Fujimori renvoie la moitié des membres de son cabinet pour les remplacer par des technocrates. En décembre 1996, des membres du Mouvement révolutionnaire Túpac Amaru (MRTA, guévariste) prennent en otage plus de 400 personnes à l'ambassade du Japon, à Lima ; en avril 1997, alors que le MRTA détient toujours 71 otages, A. Fujimori ordonne l'assaut de l'ambassade par des forces spéciales militaires, au cours duquel tous les guérilleros, ainsi qu'un diplomate et deux soldats trouvent la mort. En octobre 1998, la signature d'un accord de paix entre le Pérou et l'Équateur (entériné solennellement en mai 1999) règle définitivement le différend frontalier qui les opposait depuis plus d'un demi-siècle.

7.2. La décadence : dérives et chute d'un président

La popularité du président s'effrite inexorablement, en dépit de résultats incontestables en matière de contrôle de l'inflation et de lutte contre le terrorisme. À partir de 1996, une grave récession touche de plein fouet la population (augmentation du chômage), alors que la dérive autoritaire du régime Fujimori devient de plus en plus pesante. En février 1998, la Cour suprême confirme la loi de 1996 qui, par une « interprétation authentique » de la Constitution, permet à Fujimori de se représenter pour un troisième mandat consécutif à l'élection présidentielle de mai 2000 et, malgré 1,5 million de signatures, le Congrès rejette un référendum visant à empêcher sa candidature. Celui-ci se représente donc et est réélu avec 51,2 % des voix au second tour, mais les conditions du scrutin – alors que son principal adversaire Alejandro Toledo Manrique s'est retiré de la course entre les deux tours – sont contestées par l'opposition et les observateurs internationaux, qui déplorent une fraude massive. Cependant, l'alliance de Fujimori n'obtient pas la majorité au Congrès (52 sièges sur 120, le parti de Toledo, Perú Posible, remportant 26 sièges). Au cours de l'été s'opère une série de ralliements de parlementaires de l'opposition à l'alliance de Fujimori, au moyen de pressions variées ou contre de fortes sommes d'argent.

À la mi-septembre 2000, la diffusion d'une vidéo montrant le chef des services secrets et proche conseiller de Fujimori, Vladimiro Montesinos, soudoyant un parlementaire de l'opposition déclenche un scandale. Éclaboussé, le président annonce des élections générales anticipées au printemps 2001, auxquelles il renonce à se présenter alors que les manifestations se multiplient et que le lieutenant-colonel Ollanta Humala prend la tête d’une sédition militaire à Locumba (29 octobre) avant de faire allégeance au nouveau gouvernement civil intérimaire.

Du Japon où il s'est enfui (novembre), Alberto Fujimori présente en effet par fax sa démission, rejetée par le Congrès, qui le destitue. Placé sous le coup d'un mandat d'arrêt international, l'ex-président, soupçonné d'être responsable de deux massacres perpétrés pendant la « sale guerre » menée par les autorités péruviennes contre le Sentier lumineux dans les années 1980 et 1990, fait ensuite l'objet d'une instruction judiciaire pour crimes contre l'humanité.

La chute de Fujimori suscite un net refroidissement des relations avec le Japon, coupable aux yeux des Péruviens d'avoir octroyé la nationalité japonaise à l'ancien président en décembre 2000.

8. Alejandro Toledo (2001-2006)

Le président du Congrès, Valentín Paniagua, de l'Action populaire, assure l'intérim jusqu'aux élections générales. Il nomme l'ancien secrétaire général des Nations unies, Javier Pérez de Cuéllar, au poste de Premier ministre. L'économiste d'origine quechua Alejandro Toledo, fondateur en 1995 du parti Perú posible (PP) et grande figure de l'opposition intérieure, devance l'ex-président social-démocrate Alan García, de retour après dix ans d'exil, au second tour de la présidentielle organisée en juin 2001, avec 52,7 % des voix.

Succédant à A. Fujimori, il devient le premier Amérindien à être démocratiquement élu à la tête de l'État péruvien. Au congrès, le résultat médiocre du PP (45 sièges sur 120) amène le nouveau chef de l'État à former des alliances pour constituer une majorité. Mais face à une opposition forte (principalement constituée de l'APRA d'Alan García et de l'Unité nationale [UN], de Lourdes Flores) et déterminée, A. Toledo ne dispose que d'une marge de manœuvre étroite pour l'application de son programme (lutte contre la pauvreté et la corruption, baisse des impôts, effort en matière d'éducation et de santé, décentralisation).

À peine installé, il annonce l'instauration d'une législation déclarant le Pérou société multiculturelle, un geste symbolique en direction du groupe ethnique le plus important du pays, qui a joué un rôle important dans sa victoire. L'introduction en juillet, à titre optionnel, des deux principales langues indiennes (quechua et aymara) dans l'enseignement concrétise cette orientation. Par ailleurs, il se lance dans une tournée planétaire pour redonner confiance aux investisseurs et obtenir un soutien susceptible de faire sortir le pays de la récession.

En juillet 2002, A. Toledo signe tant bien que mal un accord de gouvernabilité avec les forces politiques et les représentants de la société civile, et, malgré la succession des cabinets ministériels, poursuit une politique néolibérale d'austérité, qui permet l'assainissement de finances publiques et le retour de la croissance mais ne réduit guère le sous-emploi et la pauvreté – et par conséquent suscite bientôt un désenchantement et une impopularité qu'aggravent l'instabilité politique et la révélation de nombreux scandales. En mai 2003, confronté à des grèves massives d'enseignants et d'agriculteurs, il déclare temporairement l'état d'urgence et autorise les militaires à rétablir l'ordre – essentiellement dans les provinces encore dominées par le Sentier lumineux.

Concomitamment, une « commission de la vérité », destinée à faire toute la lumière sur la « guerre » menée contre le Sentier lumineux et contre le MRTA jusqu'au début des années 1990, est créée. Ses conclusions, rendues publiques en août 2003, estiment à 70 000 le nombre des victimes de la répression, et, malgré la persistance de difficultés à propos de la mise en œuvre de ses recommandations, ouvrent la possibilité de poursuites judiciaires. Mais le problème reste loin d'être résolu, avec la menace permanente que fait peser sur les campagnes un Sentier lumineux reconverti dans le trafic de drogue. Aussi le parti du président essuie-t-il régulièrement de multiples échecs, notamment lors des élections régionales avec la percée de l'APRA, ou au niveau local face aux conservateurs.

Le président Toledo œuvre à l'intégration régionale, en particulier andine. Champion du libéralisme, il suit les recommandations du FMI et de la Banque mondiale. De fait, après avoir négocié un accord d'association avec le Mercosur en 2003, il conclut, malgré les résistances rencontrées dans son pays, un accord de libre-échange avec les États-Unis en décembre 2005. En dépit de différends et de tensions ponctuelles avec le Venezuela de Hugo Chávez, il pratique une politique de relatif bon voisinage avec la Colombie, l'Équateur et le Brésil, ainsi que, dans une moindre mesure, avec la Bolivie et le Chili.

La campagne des élections (présidentielle et législatives) de 2006 est tout d'abord marquée par l'ombre portée de l'ex-président Aberto Fujimori, arrivé au Chili le 6 novembre 2005, détenu sur place puis libéré ; toutefois, inéligible jusqu'en 2011, et sous le coup d'accusations de corruption et de violation des droits de l'homme, celui-ci se révèle impuissant à peser sur le cours du scrutin. En revanche, l’ancien militaire Ollanta Humala, qui bénéficie toujours dans le pays d’une grande popularité, fonde en octobre 2005 le parti nationaliste péruvien (PNP) mais, faute d’un enregistrement de cette nouvelle formation par le tribunal électoral, se présente comme candidat de l’UPP qui forme également des listes communes avec le PNP aux élections législatives. Porté par la récente victoire d'Evo Morales en Bolivie et soutenu par H. Chávez, O. Humala arrive ainsi en tête lors du premier tour de l'élection du 9 avril, avec 30 % des voix, contre 24 % pour l'ancien président Alan García, de l'APRA. C'est toutefois ce dernier qui, grâce au bon report des suffrages de la droite, est élu le 4 juin avec 52,5 % des voix.

9. Alan García (2006-2011)

L'APRA ne disposant pas de majorité au Parlement (36 sièges sur 120, contre 45 pour l'UPP dont 25 pour le PNP), Alan García doit à son tour composer avec ses adversaires et former des coalitions susceptibles de soutenir la politique d'austérité budgétaire, de soutien aux investissements et de lutte contre la pauvreté qu'il entend mener. L'opposition de O. Humala se trouvant réduite par les poursuites dont il fait l'objet pour atteinte supposée aux droits humains durant la « sale guerre » contre le Sentier lumineux, le climat politique semble favorable au président.

Mais, comme son prédécesseur, celui-ci doit affronter très rapidement des mouvements sociaux et essuyer des échecs électoraux, notamment lors des scrutins locaux de novembre 2006, qui traduisent plus largement le discrédit des partis nationaux, au profit de mouvements régionaux ou indépendants. Ce découplage politique révèle en effet au sein de la population un sentiment généralisé d'éloignement du pouvoir central et sa désapprobation des carences de l'État, notamment lors du violent tremblement de terre qui frappe le sud du pays en août 2007.

Désormais converti à l'économie de marché, A. García peut se targuer de résultats macro-économiques plutôt satisfaisants mais doit répondre à une crise sociale profonde qui se traduit notamment, en juillet 2008, par une grève des mineurs puis par une grève générale lancée par la Confédération générale des travailleurs du Pérou ainsi que par la mobilisation des agriculteurs hostiles au traité de libre-échange (TLC) avec les États-Unis (qui entre finalement en vigueur en janvier 2009).

Au plus bas dans les sondages, le président doit également prendre ses distances avec un scandale de corruption, dans le cadre de l'octroi de concessions pétrolières, impliquant des responsables de son parti et éclaboussant des ministres de son cabinet. En octobre 2008, après avoir accepté la démission collective de son gouvernement, il opte alors pour une ouverture à gauche en nommant au poste de Premier ministre Yehude Simon, personnalité montante de l'opposition de centre gauche, chef fondateur du parti humaniste péruvien et réputé pour sa gestion rigoureuse et transparente à la présidence de la région de Lambeyeque depuis 2003.

Parallèlement, l'extradition de l'ex-président Aberto Fujimori, en septembre 2007 puis sa condamnation à 25 ans de détention pour violation des droits humains en avril 2009, confirment le choix en faveur de l'apurement du passé, même si cette question demeure très controversée : les partisans de l'ancien président, menés par sa fille Keiko Sofía Fujimori (députée depuis 2006, jouissant d'une certaine popularité dans le pays) et par l'Alliance pour le futur (13 % des suffrages), n'entendent pas baisser les bras.

A. García doit aussi affronter l’opposition virulente des minorités indiennes de l’Amazonie occidentale, dont 70 % de la partie péruvienne est déjà divisée en concessions pour l'exploitation des gisements de gaz et de pétrole qu'elle recèle. Ainsi, la promulgation – dans le cadre de l'application du TLC – de deux décrets destinés à encourager les investissements étrangers et à faciliter les forages pétroliers dans la région provoque, à partir du mois d'avril 2009, un conflit meurtrier avec les Indiens organisés par l'Association interethnique de développement de la forêt péruvienne. Dénonçant une privatisation sans consultation de leur territoire ancestral et de ses ressources hydriques, les communautés indigènes parviennent à faire céder le gouvernement. Le Congrès abroge finalement les deux décrets contestés le 18 juin et, à la suite de nouvelles manifestations à l'appel de diverses organisations sociales et du principal syndicat du pays, le gouvernement est remanié en juillet : Javier Velásquez Quesquén (APRA) succède à Y. Simon et sept ministres sont remplacés.

10. La gauche nationaliste au pouvoir (2011-2016)

En juin 2011, à la tête d’une coalition baptisée « Gana Perú » (« le Pérou gagne ») rassemblant, sous la direction du parti nationaliste péruvien (PNP), plusieurs organisations de gauche dont les partis communiste et socialiste, O. Humala remporte de justesse l’élection présidentielle au second tour de scrutin avec 51,4 % des suffrages face à Keiko Sofía Fujimori, candidate du rassemblement « Fuerza 2011 ». Sa coalition arrive également en tête des élections au Congrès avec 47 sièges devant les Fujimoristes (37 sièges), le parti « Perú posible » de l’ex-président A. Toledo (21 députés), le regroupement de centre droit créé par Pedro Pablo Kuczynski (12) et Solidarité nationale (auquel s’est ralliée l’UPP, 9 sièges). L'APRA se retrouve reléguée au sixième rang avec 4 députés.

Prônant un nationalisme « anti-impérialiste » et « intégrateur » incluant toutes les classes et ethnies du pays, O. Humala, qui a fait de la lutte contre la pauvreté l’un des axes de sa campagne mais a également bénéficié du soutien d’une grande partie des classes moyennes, n’entend toutefois pas remettre en cause les fondements de la forte croissance (autour de 9 % en 2010) de l’économie péruvienne. Ne pouvant s’appuyer sur une majorité, il devra composer tout comme son prédécesseur avec un Congrès toujours très fragmenté et annonce ainsi un gouvernement de « concertation nationale ». Avant même de prendre officiellement ses fonctions le 28 juillet, il réserve sa première visite à la nouvelle présidente du Brésil Dilma Rousseff avant de rencontrer le Bolivien Evo Morales, mais, soucieux de rassurer les États-Unis, principal partenaire commercial du Pérou, prend ses distances avec Hugo Chávez.

Au cours des premiers mois de son mandat, le président Humala réussit à séduire l'opinion par une série de mesures telles que la mise en place d'un impôt minier prenant en compte le prix élevé des matières premières, l'augmentation du salaire minimum, la retraite à 65 ans, ou l'adoption d'une loi sur les consultations préalables des communautés indigènes avant l'exploitation des ressources naturelles, etc. qui répondent à ses promesses électorales.

Cependant, malgré les programmes sociaux destinés à améliorer l’accès à l’éducation (extension des bourses d’étude) et à réduire la grande pauvreté ou le développement des infrastructures du pays, le président ne parvient pas à contrer la chute de sa popularité. Le contexte économique international, marqué notamment par la baisse du prix des matières premières, est par ailleurs défavorable et a pour effet une réduction du taux de croissance de 6,5 % en 2011 à 2,4 % en 2014. Critiqué aussi bien sur sa gauche pour la lenteur de ses réformes et ses compromis à l’égard des multinationales du secteur minier – comme en témoigne le projet d’exploitation de la mine de cuivre Tia Maria, vivement contesté – que par l’opposition de droite qui prône en priorité un durcissement de la politique sécuritaire et un soutien plus résolu aux petites entreprises, il doit faire face dès 2012 à une fronde dans son propre camp et perd son étroite majorité au Congrès en 2014.

11. Le mandat écourté de Pedro Pablo Kuczynski (2016-2018)

Les élections d’avril-juin 2016 – auxquelles le parti nationaliste péruvien renonce à se présenter –, se soldent par une nouvelle alternance de centre-droit avec l’élection de Pedro Pablo Kuczynski. Parvenu à la deuxième place au premier tour du scrutin présidentiel avec 21 % des voix derrière K. S. Fujimori (39,8 %), ce fils d’émigré polonais, économiste et ancien ministre des gouvernements Belaúnde et Toledo, s’impose de justesse au second tour avec 50,12 % des suffrages. La mobilisation en sa faveur du camp anti-fujimoriste – dont le ralliement critique de la candidate de gauche (Frente amplio), Veronika Mendoza, arrivée troisième après avoir rompu en 2012 avec le parti nationaliste – explique cette victoire sur le fil.

Le parti fujimoriste Fuerza popular remporte ainsi une majorité absolue de sièges au Congrès avec 73 députés sur 130 devant la coalition de gauche et « Péruviens pour le changement », la formation du président élu. Ce dernier, qui s’engage à favoriser l’investissement pour ranimer la croissance tout en conservant les orientations sociales de son prédécesseur outre la lutte contre l’insécurité et la corruption, doit ainsi composer avec une opposition hétérogène qui accorde toutefois sa confiance au nouveau gouvernement de Fernando Zavala investi en août.

Le président Kuczynski est cependant mis en cause dans une affaire de corruption internationale qui éclate en 2015 et éclabousse plusieurs hauts dirigeants d’Amérique latine soupçonnés ou accusés d’avoir été soudoyés par le groupe brésilien Odebrecht, présent notamment dans le secteur du BTP et l’industrie pétrolière. Après avoir échappé à une première destitution, il démissionne ainsi en mars 2018. Le premier vice-président Martín Vizcarra lui succède.