Cuba : histoire

Che Guevara
Che Guevara

1. La domination espagnole

Découverte en 1492 par Christophe Colomb, Cuba est conquise entre 1511 et 1513 par Diego Velázquez. Ici comme ailleurs, la conquête produit un effondrement rapide de la population indienne. Jusqu'en 1540 environ, l'île sert de base d'opérations pour la conquête du continent américain, fournissant aussi bien des hommes (Herńan Cortés part de Cuba, en 1519, pour son expédition au Mexique) que l'équipement et le ravitaillement (farine et bétail). À cette époque, l'importance de Cuba est surtout stratégique : La Havane, escale pour les flottes espagnoles et port fortifié, contrôle le détroit de la Floride et l'entrée de la mer des Antilles.

L'économie de plantation se développe très tôt. Le tabac, dont l'Espagne se réserve le monopole, et les plantes tinctoriales sont les premières productions. La canne à sucre, apparue vers 1548 autour de Santiago, se répand au xviie s. et triomphe au xviiie siècle ; mais, pendant les deux premiers siècles de la présence espagnole, l'élevage reste l'activité dominante de l'île. L'occupation momentanée de La Havane par les Anglais (1762-1763) accélère cependant le mouvement de modernisation administrative : les Cubains reçoivent alors la liberté de commerce avec l'Espagne.

De 1791 à 1804, la guerre d'indépendance de la colonie française de Saint-Domingue provoque la ruine de ce qui était la plus riche colonie sucrière esclavagiste du monde américain. Cuba prend alors la place de Saint-Domingue comme premier producteur de sucre au monde. Au même moment, la culture du café est introduite par les immigrants français fuyant la révolution de Saint-Domingue.

L'accroissement du nombre d'esclaves noirs et la crainte des révoltes expliquent la fidélité de l'élite créole à l'Espagne, lors des guerres d'indépendance de l'Amérique latine. Malgré des soulèvements noirs (province d'Oriente en 1812), des conspirations créoles et des tentatives américaines pour racheter l'île, la présence espagnole ne sera pas sérieusement mise en cause avant 1868. Le soulèvement, cette année-là, de Carlos Manuel de Céspedes, qui libère alors ses esclaves, marque le début de la « guerre de Dix Ans » (1868-1878). L'insurrection, puissante dans les provinces d'Oriente et Camagüey, n'arrive pas à s'étendre à l'ouest du pays et à la ville de La Havane. Par la paix de Zanjón, Cuba obtient finalement une certaine autonomie et, en 1880, l'esclavage y est aboli. Cependant, les troubles continuent et, en 1895, à la faveur d'une crise sucrière, le poète José Martí et les généraux rebelles Máximo Gómez et Antonio Maceo se soulèvent de nouveau et proclament la république. La répression brutale du général espagnol Weyler indigne les Américains, qui contrôlent déjà le marché du sucre cubain. L'explosion du cuirassé Maine (février 1898), en rade de La Havane, provoque une guerre entre l'Espagne et les États-Unis. Battue, l'Espagne renonce à sa colonie, lors de la signature du traité de Paris (10 décembre 1898). Mais les insurgés cubains sont tenus à l'écart des négociations, l'île étant soumise à un gouvernement militaire américain.

Pour en savoir plus, voir les articles Antilles, canne à sucre, histoire de l'Espagne, La Havane, José Martí.

2. La tutelle américaine

En 1901, le général américain Wood organise l'élection par les Cubains d'une assemblée constituante, qui adopte, sitôt élue, une Constitution de type présidentiel. Mais le Congrès américain impose l'amendement Platt, aux termes duquel Cuba doit soumettre tout accord diplomatique et militaire à l'autorisation de Washington. Les États-Unis imposent, en outre, un droit d'intervention en cas de troubles et la cession de deux bases navales ; en échange, les produits cubains – le sucre, en particulier – bénéficient de privilèges douaniers aux États-Unis. Les Américains évacuent l'île en 1902, et le gouvernement se constitue sous la présidence de Tomás Estrada Palma. En 1906, les incidents provoqués par la réélection du président Palma et le soulèvement des libéraux de José Miguel Gómez amènent une nouvelle occupation américaine, qui dure jusqu'en 1912. Les États-Unis interviennent de nouveau en 1917, lors de l'insurrection de Gómez contre le président Mario García Menocal (1917-1919). Pendant cette période, les liens unissant l'économie cubaine à celle des États-Unis se resserrent, en particulier grâce à la loi du 17 novembre 1914, qui institue la parité entre le peso et le dollar. L'île est alors soumise à la quasi-monoculture de la canne à sucre.

Après la Première Guerre mondiale, la dépression économique provoque des troubles sociaux accompagnés d'un vif ressentiment à l'égard des États-Unis, confirmé par l'élection contestée d'Alfredo Zayas, en 1921. Puis le pays est soumis à la dictature du général Gerardo Machado (1925-1933). La crise de 1929, qui touche durement l'économie sucrière et accroît le mécontentement, se termine par la chute du gouvernement, en partie renversé par l'armée cubaine et le sergent Fulgencio Batista. Mais, devant la persistance du sentiment anti-américain, les États-Unis renoncent à leur droit d'intervention à Cuba dès 1934.

3. L'ère Batista

Devenu général, Fulgencio Batista domine, à partir de 1933, la vie politique de Cuba. Soutenu par les États-Unis, il s'oppose au libéral Ramón Grau San Martín, assure l'élection des présidents Carlos Mendieta (1934) et Miguel Mariano Gómez (1936) puis, de 1940 à 1944, détient le pouvoir à titre personnel. En 1944, à la faveur d'élections libres, Grau San Martín devient président ; mais son successeur, en 1948, Carlos Prío Socarrás, se discrédite aux yeux de tous. Fulgencio Batista reprend alors le pouvoir (10 mars 1952), bien accueilli par les syndicats et les communistes, qui ont déjà collaboré avec lui en 1940. Cependant, l'arbitraire et la corruption poussent l'opposition intellectuelle et paysanne hors des partis traditionnels : une première rébellion armée, qui s'est attaquée à la caserne de la Moncada, à Santiago de Cuba (26 juillet 1953), est réprimée brutalement, et son promoteur, Fidel Castro Ruz, emprisonné ; amnistié, ce dernier se réfugie au Mexique.

Fulgencio Batista est ensuite réélu en 1954. Cependant, le 2 décembre 1956, Fidel Castro débarque avec 80 partisans dans la province de l'Oriente, mais seule une poignée d'hommes, dont Che Guevara, réussit avec lui à prendre le maquis dans la sierra Maestra où, pendant deux ans, ils tiennent tête au gouvernement. La résistance urbaine, organisée par d'autres mouvements, se développe également, la guérilla rurale de Castro s'étendant dans les provinces orientales. Les États-Unis hésitent sur la politique à suivre. En mars 1958, ils suspendent l'envoi d'armes à Batista. Malgré l'échec d'une grève générale en avril, les insurgés brisent en juin la dernière grande offensive du gouvernement et lancent, à Noël 1958, une contre-offensive générale qui aboutit, en janvier 1959, au départ de Batista et à la proclamation d'Urrutia comme président (5 janvier 1960) par Fidel Castro. Une semaine plus tard, les États-Unis reconnaissent le nouveau régime.

4. Le régime castriste

4.1. La défense de la révolution

Bénéficiant d'un soutien populaire très favorable, le nouveau régime entreprend immédiatement des changements radicaux. Sur le plan institutionnel, une « loi fondamentale » remplace la Constitution de 1940. Créé le 16 octobre 1959, le ministère des Forces armées révolutionnaires (MINFAR) – l'organisation d'avant-garde la plus sûre du régime – est placé sous le commandement de Raúl Castro Ruz, frère cadet de Fidel. La volonté de rupture avec le passé se prolonge par le lancement, la même année, d'une vaste réforme agraire (suivie d'une seconde en 1963) et la nationalisation des entreprises industrielles et commerciales du pays. Cette nouvelle politique mettant en péril les intérêts américains dans l'île, les États-Unis décrètent, le 10 octobre 1960, l'embargo total sur les importations et exportations cubaines.

En avril 1961, 2 000 contre-révolutionnaires cubains, entraînés par la CIA, débarquent dans la baie des Cochons (Playa Girón), dans le sud de l'île, mais les assaillants sont rapidement écrasés par les forces castristes. L'orientation communiste du régime s'accélère alors, aboutissant, en décembre 1961, à la proclamation par Fidel Castro du caractère socialiste de la révolution. Les États-Unis obtiennent l'exclusion de Cuba de l'Organisation des États américains (OEA) en janvier 1962, et complètent ensuite leur arsenal répressif en imposant à l'île révolutionnaire un blocus économique et commercial.

L'Union soviétique profite alors de la confrontation entre Cuba et les États-Unis pour s'introduire dans la région des Caraïbes, longtemps domaine réservé de l'influence américaine : une aide massive en armes, matériel, conseillers et techniciens est fournie à Cuba, ce qui ne fait que conforter les Américains dans leur politique agressive.

En 1962, le monde apprend que des missiles soviétiques ont été disposés sur le territoire cubain et pointés vers les États-Unis ; cette découverte provoque une crise internationale majeure (crise de Cuba). Les États-Unis, menaçant de déclencher une guerre, procèdent au blocus naval de l'île. La conflagration mondiale est évitée par Nikita Khrouchtchev, qui, démonstration faite de la puissance soviétique, accepte de démanteler les rampes de missiles.

Pour en savoir plus, voir l'article crise de Cuba.

4.2. L'institutionnalisation du régime

Le régime castriste consolide son pouvoir exclusif avec la création, le 1er octobre 1965, du parti communiste cubain (PCC), dont Fidel Castro est le secrétaire général. Issu des FAR, le PCC est exempt de toute lutte d'influence avec elles et constitue le second pilier du pouvoir. Poursuivant son intégration dans le monde communiste, Cuba obtient du « grand frère » soviétique qu'il s'engage à acheter chaque année, bien au-dessus du cours mondial, la moitié de la production de sucre cubaine. L'intégration économique de Cuba, qui intègre le Comecon en 1972, aux pays d'Europe de l'Est s'opère de plus en plus par le biais de commissions bilatérales, Fidel Castro se réservant les domaines de la réforme agraire et de la santé. Cependant, le principe général du Comecon étant fondé sur la spécialisation régionale ou nationale de la production, la politique économique ne fait que renforcer la dépendance de Cuba vis-à-vis de la production sucrière. Les progrès réalisés par le régime en matière d'éducation et de santé sont une grande réussite et, forte de son expertise, Cuba dispensera, à partir de 1963, une aide médicale gratuite dans de très nombreux pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie. Le premier congrès du PCC, en décembre 1975, puis l'adoption d'une Constitution socialiste, en février 1976, complètent l'organisation institutionnelle du régime, dont la radicalisation se poursuit. Déjà, dans les années 1960, des mesures d'encadrement social et politique avaient accompagné le durcissement du régime (en 1968, nationalisation du commerce privé ; en 1969, livret de travail obligatoire ; en 1971, lois antiparesse, centres de rééducation pour les absentéistes et les « éléments antisociaux », entraînement militaire obligatoire dans les écoles, etc.). Après la première vague d'émigration, consécutive à l'arrivée au pouvoir des révolutionnaires, 125 000 Cubains sont autorisés à partir pour la Floride (1980).

Malgré les pressions américaines, qui, à partir de 1987, pointent les manquements aux droits de l'homme, malgré l'activité des dissidents et les appels au pluralisme politique dans l'île, Cuba ne s'éloigne pas de la voie communiste tracée par Fidel Castro. Le vaste renouvellement qui a lieu à l'occasion du IIIe Congrès du PCC, en février 1986, où de nombreux vétérans sont écartés au profit de femmes, de jeunes et de Noirs, ne modifie pas la ligne du régime. Pourtant, en juin 1989, un procès retentissant ébranle les dirigeants du régime. Le général Arnaldo Ochoa, plusieurs officiers de haut rang ainsi que plusieurs ministres, dont le ministre de l'Intérieur, sont condamnés pour trafic de drogue, corruption et connivence avec une organisation criminelle colombienne, le cartel de Medellín. La secousse est forte, mais Fidel Castro la retourne à son profit et l'utilise pour fustiger la bureaucratie et appeler à son remplacement.

4.3. Les « missions » de Cuba en Afrique, dans la Caraïbe et en Amérique latine

À partir de 1961, plusieurs pays africains (Guinée, Congo-Brazzaville, Angola, Tanzanie, Somalie) ont recours à des instructeurs cubains pour assurer l'entraînement de leurs guérillos sur place ou à Cuba. L'île intervient militairement en 1976 en Angola et apporte, en 1977, une aide militaire massive au gouvernement éthiopien marxiste de Mengistu Hailé Mariam. L'ouverture à La Havane, le 3 septembre 1979, du sixième sommet des non-alignés est pour Castro un incontestable succès personnel. À partir de 1969, Cuba met en sourdine l'expansion de la révolution en Amérique latine. Cette décision, qui rompt avec le guevarisme originel de la révolution cubaine, permet le rétablissement des relations diplomatiques avec plusieurs pays hispano-américains. Cependant, Cuba continue d'apporter un soutien actif aux gouvernemenst caribéens et sud-américains qui s'engagent dans la voie socialiste (Guyana, Nicaragua, Grenade) ainsi qu'à la guérilla du Salvador, ce qui provoque une forte tension avec les États-Unis de Ronald Reagan.

Pour en savoir plus, voir les articles non-alignement, tiers-monde.

L'hostilité américaine permet à Fidel Castro de consolider son régime et de mobiliser le pays, en le préparant à une agression nord-américaine imminente, menace régulièrement brandie par la suite. En 1983, l'état d'alerte national est proclamé après l'invasion de l'île de la Grenade par l'armée américaine, où cette dernière met fin à l'expérience socialiste qui s'y était développée avec l'aide cubaine. La page du soutien actif aux révolutions d'Amérique latine et aux régimes communistes d'Afrique paraît alors définitivement tournée : après avoir mis un terme en 1989 à sa présence militaire en Éthiopie, Cuba procède en 1989-1990 au retrait de ses troupes d'Angola, consacrant ainsi son désengagement du continent africain. Par ailleurs, à la suite du départ des sandinistes, elle interrompt son aide au Nicaragua.

4.4. La fin de l'ère soviétique et l'isolement du régime

La visite de Mikhaïl Gorbatchev, en avril 1989, marque un tournant dans les relations soviéto-cubaines – Fidel Castro condamnant la politique d'ouverture et de transparence prônée par ce dernier. Le démantèlement de l'Union soviétique, le départ de ses troupes installées sur l'île et la fin des subsides provoquent une grave crise économique. Dès 1989, les services de police et de sécurité du ministère de l'Intérieur (MININT) sont placés sous le contrôle des FAR, qui sont également chargées d'administrer les secteurs clés de l'économie. En novembre 1990, le régime déclare l'entrée du pays en « période spéciale » et décrète le rationnement de tous les produits. Malgré la gravité de la situation économique et sociale, le gouvernement castriste durcit sa ligne politique. La dégradation qui s'ensuit pousse la population à des actes de désespoir : en juillet 1990, une cinquantaine de Cubains ayant trouvé refuge dans des ambassades étrangères à La Havane, la police cubaine pénètre dans l'enceinte de l'ambassade d'Espagne, provoquant ainsi une crise diplomatique aiguë entre les deux pays. En 1991, plusieurs milliers de Cubains franchissent, au péril de leur vie, le bras de mer qui sépare La Havane des îles Keys.

Cherchant à faire tomber le régime, les États-Unis durcissent leur embargo contre Cuba (qualifié par ce dernier de « blocus américain »). La loi Torricelli d'octobre 1992 rend illégal, pour un représentant étranger d'une compagnie américaine, le fait de commercer avec Cuba. Lorsqu'en 1994 des émeutes éclatent à La Havane, des milliers de Cubains tentent alors de gagner les côtes de Floride sur des radeaux de fortune : les États-Unis suspendent le droit à l'entrée automatique des Cubains sur leur territoire. En 1996, l'approbation de la loi Helms-Burton autorise l'administration américaine à poursuivre et à sanctionner des entreprises étrangères commerçant avec Cuba.

La visite du pape Jean-Paul II, en janvier 1998, est l'occasion d'une éphémère détente intérieure et internationale : plusieurs prisonniers politiques sont libérés (février) ; les États-Unis annoncent l'allégement de leurs sanctions ; les liaisons aériennes directes sont rétablies, les remesas, transferts de fonds en provenance des émigrés cubains, sont autorisés (droits bientôt étendus à tout résident américain, quelle que soit son origine), ce qui permet à de nombreuses familles de survivre.

Quant aux relations entre Cuba et les États-Unis, leur complexité est une nouvelle fois illustrée par la bataille juridique et médiatique de grande ampleur engagée autour d'Elián González, ce jeune garçon cubain secouru au large des côtes de Floride après le naufrage d'une embarcation de réfugiés (novembre 1999). Recueilli par des membres de sa famille installés à Miami, celui-ci est réclamé par son père soutenu par le régime castriste, qui en fait un symbole national. La justice américaine tranche en faveur de ce dernier, qui ramène son fils à Cuba (juin 2000). Dans les jours qui suivent, la Chambre des représentants adopte un texte autorisant désormais la vente de produits alimentaires et de médicaments à Cuba sous certaines conditions.

Au lendemain de l'élection de George Walker Bush à la présidence des États-Unis, l'administration américaine exerce une pression accrue sur l'île afin d'y hâter la fin du régime de F. Castro. Dans cette optique, Washington augmente son aide financière aux organisations anticastristes. En novembre 2001 cependant, après le passage dévastateur du cyclone Michelle, les États-Unis offrent une aide humanitaire à Cuba, essentiellement en produits humanitaires. Dans le contexte de la guerre contre le terrorisme décrétée par les États-Unis au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, Cuba figure désormais sur la liste des États fomentant le terrorisme. Cette décision fait l'objet de critiques de la part de l'ancien président Jimmy Carter, qui, effectuant en mai 2002 une visite historique dans l'île communiste, appelle en faveur de la levée de l'embargo et apporte son soutien au projet Varela, une pétition initiée par des membres de la dissidence réclamant un référendum sur les libertés civiles.

Cuba cherche à rompre son isolement en renforçant ses relations diplomatiques et économiques avec ses voisins des Caraïbes ou d'Amérique du Sud. En 2002, la visite du président mexicain Vicente Fox contribue à renouer des liens largement distendus depuis le vote par le Mexique d'une résolution contre Cuba. Le Venezuela d'Hugo Chávez constitue, à bien des égards, le plus fidèle allié de Cuba. Les deux pays ont développé des relations privilégiées, concrétisées par nombre d'accords économiques et de projets conjoints. Ainsi, Caracas fournit un tiers des besoins en hydrocarbures de l'île ; en échange, Cuba déploie des milliers de médecins, de professeurs et d'entraîneurs sportifs au Venezuela. Tous les deux hostiles au projet de Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), lancé par Bill Clinton en 1994 et qu'ils dénoncent comme un projet néolibéral et néocolonial, Hugo Chávez et Fidel Castro lui opposent l'Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA), un projet alternatif d'intégration de la Patagonie aux Caraïbes. Cuba reprend également le dialogue avec l'Union européenne qui ouvre un bureau à La Havane ; les deux parties discutent de l'adhésion de l'île aux conventions de Lomé. Par ailleurs, l'Assemblée générale de l'ONU vote à nouveau, cette fois presque à l'unanimité (à l'exception des États-Unis, d'Israël et des îles Marshall), pour la levée de l'embargo américain.

Sur le plan intérieur, le régime castriste n'annonce cependant aucune inflexion de sa ligne politique traditionnelle. Au printemps 2003, Cuba lance une nouvelle campagne de répression : 75 dissidents (dont le journaliste et poète Raúl Ribero, libéré, pour raisons de santé, en décembre 2004), accusés d'être des « mercenaires » au service des États-Unis, sont condamnés à de très lourdes peines de prison au cours de procès expéditifs ; 3 personnes ayant détourné un ferry pour se rendre aux États-Unis sont exécutées. Depuis, condamné par la Cour européenne des droits de l'homme (avril 2004) et sanctionné par l'Union européenne, le régime cubain n'a de cesse de souffler le chaud et le froid, procédant alternativement à quelques libérations et à de nouvelles arrestations et cherchant à atténuer la pression de l'Europe en la divisant. En juin 2003, les membres fraîchement élus de l'Assemblée nationale de Cuba approuvent l'inscription dans la Constitution du pays d'un amendement prévoyant l'impossibilité d'une remise en cause du système socialiste. En juin 2004, les États-Unis annoncent des restrictions limitant la fréquence des venues sur l'île des Cubains exilés aux États-Unis ; les autorités cubaines répliquent par le retrait de la devise américaine (introduite en 1993).

En 2005, F. Castro – conforté par une coopération de plus en plus étroite avec le Venezuela de Hugo Chávez, par une série de succès de la gauche latino-américaine tout au long de 2004 et par l'imminence d'autres basculements à gauche en 2005 – se convainc de la nécessité de refermer l'étroite ouverture économique et civile consentie à contre-cœur lors des années 1990. Ainsi est lancée l'opération de « rationalisation de l'économie », se traduisant essentiellement par la reprise de contrôle par l'État d'activités (microcommerce, services) qui lui avaient échappé. En avril 2006, F. Castro signe avec les présidents vénézuélien, H. Chávez, et bolivien, Evo Morales, un Traité commercial des peuples (TCP), conçu comme une alternative aux accords de libre-échange signés avec les États-Unis par la Colombie et le Pérou.

5. Cuba à l'heure de la transition

Le 31 juillet 2006, F. Castro, malade, annonce la délégation provisoire de ses fonctions à la tête de l'État à son frère Raúl, son successeur officiellement désigné depuis 2001. Afin de pérenniser la survie de la révolution, le secrétariat du Comité central du PCC, qui avait été supprimé en 1991, mais qui restait le seul « digne héritier » de F. Castro selon les propres mots de son frère, est restauré, laissant présager une nouvelle direction collégiale à la tête du pays.

Durant les mois qui suivent, dans ses quelques rares apparitions et déclarations publiques, le nouveau chef transitoire de l'État réaffirme chaque fois la continuité du régime tout en donnant quelques timides signes d'ouverture, appelant ainsi les dirigeants à « écouter » la population et à faire preuve davantage « d'autocritique ».

Le 26 juillet 2007, dans un discours intitulé « Travailler avec un sens critique et créateur sans sclérose ni schématisme », R. Castro reconnaît la nécessité de « changements structurels et conceptuels » afin d'augmenter la productivité industrielle et agricole ainsi que les très bas salaires, tendant par ailleurs « un rameau d'olivier » aux successeurs de G. W. Bush.

Le 28 décembre, devant l'Assemblée nationale du pouvoir populaire (ANPP), il admet le poids des « prohibitions excessives » et annonce que le gouvernement continuera à faire en sorte « que la terre et les ressources soient détenues par ceux capables de produire avec efficacité ».

Après avoir ainsi préparé la succession officielle, R. Castro est élu à l'unanimité par les députés de l'ANPP à la présidence du Conseil de l'État le 24 février 2008. Depuis, le changement dans la continuité semble s'imposer. Malgré les appels à la démocratisation, la nomination d'une personnalité très orthodoxe comme numéro 2 du régime, José Ramón Machado Ventura, est interprétée plutôt comme un signe de durcissement, adressé notamment aux États-Unis. Dans cette phase de transition, les réformes économiques semblent toutefois inévitables.

5.1. Vers la fin de l'isolement

Bien accueillie par la communauté internationale, l'accession au pouvoir de R. Castro est suivie tout d'abord d'une nette amélioration des relations entre Cuba et l'Union européenne. En juin 2008, les sanctions imposées en 2003 par les Vingt-Sept sont officiellement levées et la coopération avec l'UE reprend à partir du mois d'octobre.

Ouvertement soutenu par la plupart des pays latino-américains, notamment lors du premier sommet des pays d'Amérique latine et des Caraïbes sur l'intégration et le développement (CALC, Cumbre de América Latina y el Caribe) réuni au Brésil en décembre 2008, Cuba peut aussi compter sur les nouvelles orientations de la politique étrangère des États-Unis depuis l'élection de Barack Obama à la Maison-Blanche. En février 2009, un rapport présenté par le républicain Richard G. Lugar de la Commission des Affaires étrangères du Sénat, constate d'emblée « l'inefficacité » de la politique américaine en vigueur depuis 47 ans alors que « Cuba a cessé d'être une menace pour les États-Unis ».

Si la suppression de l'embargo est pour le moment écartée, l'assouplissement de certaines restrictions – dans les secteurs de l'agriculture, de la santé et des énergies renouvelables notamment – ainsi qu'une meilleure coordination dans la lutte contre le trafic de drogue et l'émigration clandestine y sont ainsi préconisés, en vue de l'instauration progressive d'un climat de confiance entre les deux pays. Dans un premier temps, les restrictions sur les voyages et les transferts d'argent des Cubano-Américains vers leur pays d'origine sont ainsi levées avant la réouverture des discussions sur l'immigration et l'envoi direct de courrier. En juin 2009, l'exclusion de Cuba de l'Organisation des États américains (OEA), décidée en 1962 à la demande des États-Unis, est annulée et si Cuba écarte son éventuelle réintégration, cette mesure, adoptée par consensus, est hautement symbolique et constitue une nouvelle étape vers la fin de son isolement.

5.2. La question des droits de l'homme

En février 2010, la mort du dissident Orlando Zapata des suites d'une grève de la faim observée pour protester contre ses conditions de détention, suscite de nouveau l'attention de la communauté internationale sur le sort des prisonniers politiques à Cuba. Cinq opposants, dont quatre détenus, faisant partie des 75 personnes arrêtées en mars 2003 et dont la plupart sont toujours en prison, cessent à leur tour de s'alimenter en signe de protestation. Outre ces 75 dissidents du « printemps de Cuba », plus de 200 prisonniers politiques seraient toujours détenus dans les geôles cubaines. R. Castro dit « regretter » ce décès qui intervient alors que les relations avec Washington se sont tendues depuis l'arrestation en décembre 2009 d'un citoyen américain, accusé d'espionnage. Si des protestations s'élèvent en Europe et aux États-Unis, et si l'Église catholique cubaine appelle le gouvernement à créer des « conditions de dialogue », les réactions sont plus rares en Amérique latine – à l'instar de celle, embarrassée, du président brésilien Lula en visite officielle dans l'île au même moment. Les démarches de l’archevêque de La Havane et du gouvernement espagnol ainsi que les protestations des mères et des épouses des prisonniers politiques (les « Dames en blanc ») portent pourtant leurs fruits : entre juillet et décembre, plus de 50 détenus sont libérés mais, dans la plupart des cas pour l’heure, à condition qu’ils s’exilent.

5.3. D'inévitables réformes économiques

Alors que Cuba pourrait bientôt devenir insolvable, un nouveau cours économique s’avère de plus en plus inévitable.

Le gouvernement a d’ores et déjà pris des mesures de libéralisation en annonçant les nouvelles activités privées qui seront dorénavant autorisées, afin de permettre en particulier le reclassement de quelque 500 000 fonctionnaires dont les postes doivent être supprimés. Rompant avec la priorité donnée jusqu’ici au plein emploi sur la productivité, le nouveau programme gouvernemental, rendu public en novembre 2010, prévoit notamment une réorientation des travailleurs sous-employés et des chômeurs vers les activités les plus productives ou en manque de main-d’œuvre comme le bâtiment et l’agriculture, la réduction des subventions dont la suppression du livret universel d’approvisionnement (la Libreta, qui permettait depuis 50 ans à la population de recevoir des aliments de base à des prix très réduits) réservé désormais aux plus démunis, le renforcement de l’autonomie de gestion des entreprises publiques, la création de zones spéciales de développement… autant de mesures qui sont entérinées parmi d’autres lors du VIe Congrès du parti communiste réuni du 16 au 19 avril 2011. Les dirigeants historiques du régime, qu’ils soient politiques – comme le n°2 J. R. Machado Ventura – ou militaires, sont reconduits pour la plupart dans leurs fonctions au sein d’un Bureau politique resserré. R. Castro – qui a par ailleurs proposé que les mandats au sein du gouvernement et du parti soient limités au maximum à deux périodes consécutives de cinq ans – succède officiellement à son frère comme premier secrétaire.

Avec l’autorisation du crédit bancaire aux petits entrepreneurs privés (environ 340 000 depuis 2010) et aux paysans, de l’ouverture de comptes courants, de la vente directe de produits agricoles aux touristes ou encore la possibilité de vendre et d’acheter son logement et sa voiture, la libéralisation partielle de l’économie cubaine, officialisée par l’Assemblée nationale en août, se poursuit à la fin de l’année.

5.4. Vers la normalisation des relations avec les États-Unis

Accueillie comme une décision historique, l’annonce solennelle faite le 17 décembre 2014 par B. Obama et par R. Castro de l’ouverture de discussions en vue de normaliser les relations entre leur pays respectif officialise une politique annoncée cinq ans auparavant. Elle est le fruit d’une longue maturation et de plusieurs mois de négociations menées avec la médiation du Vatican et la collaboration du Canada. Les intérêts économiques réciproques des deux pays et l’inefficacité de l’isolement de Cuba sont ainsi publiquement reconnus, même si plusieurs mesures d’assouplissement avaient déjà été mises en application. La détérioration de la situation économique et politique du Venezuela, principal allié de La Havane, pourrait aussi avoir accéléré ce rapprochement, qui devrait faciliter la libéralisation de l’économie de l’île.

Faute d’une véritable démocratisation, l'annonce du rapprochement suscite cependant l’hostilité d’une partie de la communauté américano-cubaine et des partisans les plus inflexibles de l’embargo. Si la levée de ce dernier devrait en découler, un tel tournant doit encore obtenir l’assentiment du Congrès, désormais contrôlé par les républicains.

Une importante étape est cependant franchie le 20 juillet 2015 avec le rétablissement officiel des relations diplomatiques entre les deux États et, en mars 2016, Barack Obama accomplit un nouveau pas dans ce rapprochement en se rendant à La Havane dans le cadre de la première visite officielle d’un président américain depuis 1928.

La mort de Fidel Castro, le 25 novembre 2016, signe la fin d’une époque mais intervient à un moment critique pour Cuba, alors que l’élection du républicain Donald Trump à la présidence des États-Unis fait planer de nouvelles incertitudes sur l’évolution des relations américano-cubaines. De nouvelles restrictions sont ainsi imposées aux échanges entre les deux pays en novembre 2017.

5.5. La succession de Raúl. Castro

En avril 2018, après deux mandats à la tête de l’État et du gouvernement, R. Castro cède sa place à Miguel Díaz-Canel, n° 2 du régime depuis 2013 après avoir gravi tous les échelons de la hiérarchie communiste et succédé à José Ramon Machado Ventura comme premier vice-président des conseils d’État et des ministres. Tandis que R. Castro (âgé de 86 ans) reste à la tête du PCC jusqu’en 2021, le nouveau président cubain (58 ans) est élu à l’unanimité par l’Assemblée nationale du pouvoir populaire et s’engage à poursuivre dans la voie de « l’actualisation » du modèle socialiste cubain en étroite collaboration avec son mentor.