Faut-il en conclure que sur ce terrain mouvant tout est encore possible ? Non. Depuis ce sombre 13 décembre 1981 où la loi martiale s'appesantit sur la Pologne, le pouvoir, même s'il marche parfois en crabe, a su verrouiller trop d'issues pour que le phénomène Solidarité, tel qu'il naquit et devint l'espoir de tous les travailleurs, de Gdansk à Cracovie et de Wroclaw à Lodz, puisse renaître, à court ou, même, à moyen terme.

Récession

La junte continue d'être aux prises avec de gigantesques difficultés économiques, qui rendent le pays toujours plus dépendant de l'URSS. Le général Jaruzelski n'hésite pas à le reconnaître, lorsqu'il déclare avec une certaine ironie : « L'ingérence se traduit par la livraison stable de matières premières, de matériaux et d'éléments composants, par des crédits et des commandes qui assurent le plein rendement aux capacités productives de la Pologne. »

Le fruit de ces capacités productives est pourtant bien maigre. Ainsi, pour le premier semestre 1982, la production industrielle vendue a été inférieure de 7,8 % à celle du premier semestre 1981, laquelle était déjà fort basse. Le rapport économique présenté le 27 octobre 1982 au 10e plénum par le secrétaire du comité central, Manfred Gorywoda, est des plus alarmants. Les augmentations de prix survenues au lendemain de l'instauration de l'état de guerre ont amputé de 40 % le pouvoir d'achat.

Si l'on excepte la production charbonnière, qui s'est un peu relevée (après militarisation de l'exploitation et suppression des samedis libres), aucun secteur n'est porteur d'espérances prochaines. L'un des indicateurs économiques les plus significatifs, la construction, en témoigne. Le nombre de logements édifiés cette année est « largement en deçà » — formule officielle et pudique — de celui des années précédentes.

Dettes

Le rapport Gorywoda a le mérite d'une certaine franchise lorsqu'il parle d'« une récession et d'un effondrement sans précédent de l'équilibre économique » et n'envisage pas avant la fin 1985 « une modeste amélioration des conditions d'existence ». Ce qui apparaît à certains économistes polonais comme un pronostic optimiste, compte tenu, notamment, de l'énormité de la dette extérieure.

N'était l'accord signé à Francfort à la mi-septembre 1982 avec les banques occidentales, ce sont 3,4 milliards de dollars que la Pologne devrait rembourser en 1982. Un rééchelonnement sur huit ans, voire douze, des 95 % de la dette principale, suivi en novembre d'un autre rééchelonnement des 5 % restants, ramène finalement le remboursement immédiat à 330 millions de dollars, soit au tiers des intérêts dus.

Moins arrangeante est la révocation par les États-Unis, au mois d'octobre, de la clause de la nation la plus favorisée. Déjà très ralenties, les ventes polonaises aux États-Unis vont encore décliner.

C'est évidemment un coup très dur pour le gouvernement, dont la politique interne irrite le président Reagan. Ce dernier et ses alliés occidentaux estiment que le redressement de la Pologne ne peut s'opérer qu'à partir d'une concertation réelle entre le pouvoir politique, Solidarité et l'Église.

Dans cette partie à la fois brutale et subtile, le numéro un polonais et ses collaborateurs ont pour eux le quadrillage du pays par la milice, la fatigue et la désillusion de beaucoup, L. Walesa étant toujours détenu et les leaders encore libres de Solidarité contraints de se cacher. Au 9e plénum, en juillet, le chef du gouvernement cherche à mobiliser la jeunesse, dont, selon lui, le romantisme et l'esprit de sacrifice ont été exploités au profit d'« idées hostiles au socialisme ».

En fait, le pouvoir en place est à la recherche d'une légitimité populaire que, malgré des promesses d'assouplissement très conditionnelles, la perpétuation de l'état de guerre rend assez peu crédible, même au sein du parti (POUP). La présence persistante d'une junte à la tête d'un État socialiste ne plaît que modérément aux communistes les plus orthodoxes, comme à ceux de la tendance la plus libérale.