Le 3 septembre 1982, à 21 h 30, en plein centre de Palerme, un commando de huit tueurs armés de mitraillettes Kalashnikov et de pistolets calibre 38 abattent le général et sa jeune épouse, Emanuela Setti Carraro, 32 ans, à travers les vitres de leur petite Autobianchi A 112. L'agent de police Domenico Russo qui les escorte à bord d'une Alfetta 2 000 est grièvement blessé. Il mourra à l'hôpital quelques jours après sans reprendre connaissance.

Le commando fuit à bord de deux voitures. Les témoins de l'attentat sont nombreux — c'est un samedi soir —, mais la plupart refusent de parler, soit par peur, soit par omertà (loi du silence). Les assassins brûleront plus tard leurs deux autos dans un faubourg pour ne laisser aucune empreinte. La police ne retrouvera qu'une moto de grosse cylindrée ayant appartenu à l'un des tueurs. Maigre butin.

Pouvoirs

Dalla Chiesa se savait menacé. Mais, s'il acceptait les risques inhérents à sa mission, il n'avait de cesse de réclamer au gouvernement, à Rome, davantage de moyens et de pouvoirs pour combattre efficacement la mafia, non seulement à Palerme et en Sicile, mais aussi dans l'Italie entière. Ces moyens et ces pouvoirs, son successeur — désigné moins de 48 heures après son assassinat — les obtiendra à sa place.

Il s'agit d'Emanuele De Francesco, 61 ans, policier de formation, directeur depuis juillet 1981 des services de renseignements chargés de la sécurité intérieure (Sisde). Il est nommé préfet de Palerme et haut-commissaire pour la lutte antimafia avec toute latitude, par exemple, pour exiger une levée de secret bancaire ou faire procéder à des écoutes téléphoniques.

Antimafia

Dans la foulée, le Parlement adopte une loi antimafia qui va dans le même sens et inscrit deux nouveaux délits dans le Code pénal italien, l'association mafieuse et la concurrence illicite exercée à travers la menace et la violence. L'ancienne loi en la matière était ridiculement désuète puisqu'elle assimilait le mafioso à un vagabond...

Toutes ces mesures sont largement approuvées par l'opinion. Mais les polémiques soulevées par la mort de Dalla Chiesa ne s'apaisent pas pour autant. Le propre fils du général met directement en cause certaines personnalités de la démocratie-chrétienne sicilienne, et l'évêque de Palerme lui-même, Mgr Pappalardo, dénonce en chaire le jour des obsèques les « lenteurs et incertitudes » des autorités, avant de s'exclamer : « Tandis qu'à Rome on palabre, Sagonte (ville d'Espagne prise par les Carthaginois) tombe... Aujourd'hui, Sagonte, c'est Palerme. Ô notre pauvre Palerme ! »

Indicateur

L'enquête semble faire un grand pas en avant le 5 octobre : un commis agricole de 36 ans, Nicola Alvaro, est arrêté. Puis trois autres membres présumés du commando tombent à leur tour dans les filets de la police. Ils appartiennent au clan des Catanais. Un mystérieux indicateur — à mi-chemin entre le témoin oculaire et le mafioso repenti — les accuse avec force. Mais, deux mois plus tard, les magistrats s'aperçoivent que c'est un affabulateur. La mafia l'avait-elle mandaté pour brouiller les pistes ?

Voilà donc un exemple des difficultés auxquelles se heurte la justice italienne, assaillie, il est vrai, par un nombre considérable d'affaires délicates. Mais il y en a d'autres...

Le 12 septembre, le juge Gentile chargé du dossier sur l'attentat de Bologne (85 morts en août 1980) lance cinq mandats d'arrêt contre des extrémistes de droite. Parmi eux, un Français et un Allemand. Sont-ils coupables ? Apparemment non, puisque ni Paris ni Bonn n'envisagent leur extradition. Deux Italiens — fichés comme néonazis et réfugiés en Amérique latine — font l'objet, eux, d'une tentative d'enlèvement en Bolivie de la part des services secrets italiens en accord avec le gouvernement de La Paz. L'un d'eux, Pier Luigi Pagliai, meurt des suites de ses blessures, à peine rapatrié à Rome. L'autre, Stefano Delle Chiaie, le plus dangereux, parvient à s'échapper. L'opération se solde donc par un échec. Quant au juge Gentile, il est muté dans une autre ville. L'instruction reprendra à zéro.