– Dans l'opinion, la cote de Mme Thatcher est au zénith. Son image de chef de gouvernement se pare de vertus churchilliennes. On lui reprochait son entêtement, on lui découvre l'énergie des grands hommes. On l'accusait de sectarisme, on lui trouve de l'acharnement. La Dame de fer est, cette fois, devenue un homme d'État.

– Dans son propre parti, son autorité est désormais incontestée. Depuis son arrivée à la tête des conservateurs, Margaret Thatcher s'était heurtée aux réserves, aux résistances même des plus libéraux qu'incarnait l'ancien Premier ministre Edward Heath. La rigueur de sa politique économique avait, ces deux dernières années, suscité plus que des grincements parmi les députés de base au contact avec les réalités du chômage et de l'autorité imposée. La victoire des Malouines fait taire toutes les protestations et éclipse toutes les rivalités.

– L'opposition elle-même, qui n'a pu qu'approuver la réaction du gouvernement à l'agression argentine, apparaît tout à coup à court de munition. La montée en puissance du jeune parti social-démocrate, qui menaçait presque autant le parti conservateur que les travaillistes, est brutalement stoppée. D'autant plus que les divergences apparaissent entre ses leaders, en particulier Roy Jenkins et David Owen. Le parti travailliste, malgré un sursaut des modérés qui, au congrès de Blackpool, obtiennent l'exclusion des trotskistes et reprennent en main quelques positions clés, reste marqué par ses hésitations idéologiques et ses querelles internes.

– Les syndicats ont de plus en plus de difficultés à résister à la pression gouvernementale. La longue grève des cheminots, en juillet, se solde par un échec. La confédération — TUC — a refusé de la soutenir bien que la direction des chemins de fer ait menacé de licencier tous les grévistes.

Passif

Néanmoins, le Premier ministre est loin de réussir dans toutes ses entreprises, et la victoire ne peut suffire à masquer les difficultés. L'affaire des Malouines elle-même présente un sérieux passif. Le coût des opérations d'abord : 256 morts, 6 navires de guerre, 14 avions et une dizaine d'hélicoptères perdus. Financièrement, c'est à 3 milliards de livres que l'on estime l'opération : 1 milliard pour l'expédition, 1 milliard pour le matériel à reconstituer et 1 milliard pour l'entretien de la garnison et la reconstruction des îles.

Politiquement, la guerre peut recéler des surprises : bien que le rapport officiel réclamé par les Communes sur les responsabilités de la crise ait innocenté le Premier ministre, bien des Anglais commencent à se demander si l'on n'aurait pas pu faire l'économie d'une guerre.

Enfin, sur le plan diplomatique, bien que les sanctions à l'égard de l'Argentine aient été levées dès le mois de septembre, la négociation sur l'avenir des Malouines reste au point mort. Margaret Thatcher ne veut toujours pas mettre en question la souveraineté britannique sur les îles. L'honneur étant désormais sauf, cette intransigeance irrite les meilleurs soutiens de la Grande-Bretagne pendant la guerre — en particulier la France et les États-Unis.

Washington a d'ailleurs d'autres sujets de mécontentement. Londres, généralement plus fidèle, refuse de se plier au veto américain sur la construction du gazoduc soviétique. Plus grave, l'affaire Prime jette de nouveau un doute sur la fiabilité des services secrets britanniques. Pendant treize ans (1968-1981), Geoffrey Arthur Prime avait fourni aux Soviétiques informations et codes interalliés, alors qu'il était employé au centre de communications ultrasecret de Cheltenham, et son arrestation, en juillet 1982, n'est due qu'au hasard d'une petite affaire de mœurs.

Chômage

À l'autre bout du monde, une autre possession britannique, Hongkong, devient l'enjeu d'une difficile bataille diplomatique où Margaret Thatcher semble avoir perdu le premier round. Au cours de son voyage à Pékin, fin septembre, le Premier ministre ne parvient pas à trouver un terrain d'entente avec les dirigeants chinois sur l'avenir de Hongkong, dont la possession à bail avait été cédée aux Britanniques, pour cent ans, par le traité de 1897, traité que Pékin considère comme « inégal ».