C'est en ces nobles termes que Calvo Sotelo, le terne et malchanceux président du gouvernement centriste, transmet les pouvoirs, le 2 décembre 1982, au socialiste Felipe Gonzalez, vainqueur des élections du 28 octobre précédent.

Ces élections anticipées, Calvo Sotelo les avait décidées le 25 août, épuisé par les luttes intestines de la formation gouvernementale UCD (Union du centre démocratique), qui l'empêchaient de gouverner. Il avait eu beau abandonner la présidence de l'UCD, le 4 juillet, pour apaiser les esprits, la formation avait éclaté.

Tandis que Landelino Lavilla, président des Cortes, un intellectuel aimable, tentait de stimuler autour de lui les débris démoralisés de l'UCD, le PSOE, qui se sentait le vent en poupe, entreprenait une campagne électorale à la fois conquérante et modérée. Le turbulent Fraga Iribarne, leader de la modeste Alliance populaire, voyait dans ce scrutin l'occasion de rassembler aussi bien la vieille droite hostile au changement que les démocrates craintifs.

La campagne sera très timorée, au point d'être ennuyeuse, chacun tentant de récupérer pour son parti les électeurs déçus du centre moribond : les socialistes proposent une « révolution bourgeoise », la droite une « démocratie de raison », l'UCD se cantonne dans une attitude défensive.

Plusieurs faits, il est vrai, incitent à la prudence : la multiplication des attentats à la bombe revendiqués par les GRAPO ou l'ETA (Journal de l'année 1981-82), et surtout la crainte obsédante d'un putsch.

Le 2 octobre, deux colonels et un lieutenant-colonel sont arrêtés. Ils préparaient l'Opération Cervantes pour le 27 octobre : neutralisation du roi, utilisation de l'artillerie, proclamation de l'état de guerre. Ils bénéficiaient d'importantes complicités et entretenaient des contacts avec le lieutenant-colonel Tejero qui, de sa prison, manifestait l'intention de se présenter aux élections.

En dépit de ces alertes, les élections du 28 octobre répondent aux vœux des Espagnols. Vote massif (plus de 80 % de participation) pour un résultat acquis d'avance : le triomphe du PSOE, qui remporte 201 sièges sur 350 à la Chambre, et 134 sur 205 au Sénat ; un formidable bond de l'AP qui passe de 9 députés en 1979 à 105 ; l'écrasement de tous les autres partis, à part deux formations régionales, le Parti national basque et Convergence et union catalane.

L'extrême droite disparaît complètement et, faute d'avoir un seul député, Fuerza Nueva se saborde le 20 novembre. Santiago Carrillo, premier secrétaire du PCE, dont le parti est tombé de 23 sièges en 1979 à 5, donne sa démission le 6 novembre. Il est remplacé par un de ses inconditionnels, Gerardo Iglesias, un ancien mineur asturien de 37 ans.

Au centre, c'est la débâcle : Calvo Sotelo lui-même n'a pas été réélu et l'ex-UCD, toutes tendances réunies, rassemble à peine 15 sièges, contre 168 trois ans plus tôt.

L'arrivée du pape, le 31 octobre, pour un séjour de dix jours, crée une diversion. Faisant taire les rancœurs, elle révèle la profondeur de la foi des Espagnols : plus de 15 millions d'entre eux se dérangent pour rencontrer Jean-Paul II.

L'assassinat par l'ETA du général Lago Roman, commandant de la division Brunete, le 4 novembre à Madrid, ramène les Espagnols à la réalité.

Au cours de la cérémonie d'ouverture de la législature le 25 novembre, le roi Juan Carlos prononce un vibrant éloge de la démocratie. Après quoi il désigne officiellement Felipe Gonzalez comme formateur du nouveau gouvernement.

Dès le lendemain, le cabinet est désigné, dominé par deux personnalités. Alfonso Guerra, brillant intellectuel, l'ami de toujours de F. Gonzalez, devient vice-président du gouvernement, et un technocrate, Miguel Boyer, coiffe un super-ministère chargé de contrôler l'économie, les finances et le commerce.

Deux jours après la passation des pouvoirs, le 4 décembre, Juan Martin Luna, le chef des GRAPO, est abattu par la police à Barcelone. En revanche, le 6, l'ETA militaire annonce sa détermination de poursuivre la lutte armée : « Nous combattrons par les armes la social-démocratie fumeuse. »