Journal de l'année 1er juillet - 31 décembre 1982 1982Éd. 1982

Le rééquilibrage indispensable des comptes de la Sécurité sociale, pris en main par Pierre Bérégovoy, passé du secrétariat général de la présidence au ministère des Affaires sociales, trouve des interlocuteurs évidemment réticents devant les efforts demandés. La situation financière des caisses d'assurance-chômage exige, elle aussi, des sacrifices. Le gouvernement, doit, là encore, trancher dans le vif. Aux élections prud'homales de décembre, test important, le SNPMI progresse nettement, la CGC se renforce, la CGT recule. En somme, les opposants font des disciples, cependant que des défections se produisent à l'aile gauche de la majorité : le gouvernement perd sur ses deux flancs. Le projet d'unification du système éducatif présenté par Alain Savary suscite la levée des boucliers attendue chez les parents de l'enseignement privé. Une certaine radicalisation socio-culturelle répond ainsi à la rigueur de la gauche.

Sur le plan politique au sens strict, une évolution tout à fait symétrique se dessine elle aussi. Tant François Mitterrand que Pierre Mauroy ont bien compris qu'un effort d'explication s'impose. Le Premier ministre a notamment lancé à la télévision une campagne de promotion de l'action gouvernementale intitulée Les yeux ouverts. Elle est critiquée. Le président, pour sa part, a développé, notamment à Figeac au cours de son voyage dans les provinces du Midi-Pyrénées, les thèmes très pompidoliens de l'unité nationale et du développement industriel. L'un et l'autre sont dans leur rôle. Leurs adversaires ne désarment pas pour autant.

C'est aussi que, durant cette seconde moitié de l'année 1982, les perspectives municipales se rapprochent et que l'opposition se réorganise. Le gouvernement a fait voter une nouvelle loi électorale pour les communes, introduisant une dose de proportionnelle dans le système majoritaire. Pour Paris, Lyon et Marseille, un découpage en arrondissements avec maires de secteurs élus a été de surcroît retenu, ce qui provoque force contestations. Dans les deux camps, on sait bien que cette consultation (première élection générale depuis mai 1981) pèsera doublement : les communes constituent des bases de pouvoir plus précieuses que jamais ; le verdict des citoyens retentira aussi comme un test national. Le climat en sera d'autant plus modifié qu'il s'agira, évidemment, selon la distinction fameuse d'André Siegfried, d'élections de luttes et non point d'apaisement.

Des deux côtés, on s'achemine d'ailleurs vers des pactes d'union. À gauche, après des négociations serrées, on convient de n'organiser que onze primaires, toutes dans des villes dont le maire sortant appartient au PC. Il y aura bien sûr quelques contestations locales, mais le parti socialiste a ressenti le besoin de se montrer fort unitaire. Le PC n'a pu que s'en féliciter. À l'approche de la consultation, ce dernier peut ainsi plus commodément tenter d'apaiser sympathisants ou adhérents hérissés par la nouvelle orientation économique. Sa propre direction avait sobrement mis en garde, à l'automne, les dirigeants socialistes contre les risques politiques du plan Mauroy-Delors. Ils mettent, pour quelque temps, une sourdine à leurs reproches.

Quant au PS, ayant fait et refait ses calculs, il en a conclu, avec bon sens, qu'un nouvel affaiblissement de son allié mettrait toute la gauche en péril. Accessoirement, la sensibilité des jeunes militants ou députés socialistes — éprouvée elle aussi par le recentrage, — en est réconfortée : l'épisode du refus de vote de l'article de loi appliquant aux généraux de l'OAS le pardon et l'oubli était un signe. Il avait fallu que le gouvernement engage sa responsabilité pour que la volonté présidentielle s'impose. Cette fronde parlementaire signifie que le cap vers le centre gauche n'irrite pas seulement le parti communiste.

Réconciliation

En face, l'opposition se renforce et se réconcilie. Valéry Giscard d'Estaing a réussi un premier retour sur la scène avec, le 16 septembre, une Heure de vérité sur Antenne 2 : il y lance deux formules qui font mouche, les « déçus du socialisme » et « le socialisme, ça ne marche pas ». L'UDF poursuit le renouvellement de son état-major. Après Pierre Méhaignerie, nouveau président du CDS, le jeune député du Var François Léotard devient secrétaire général du Parti républicain, puis l'ancien ministre Jean-François Deniau, président des clubs Perspectives et Réalités. Mais la grande affaire de ce côté-là c'est la réconciliation, au moins apparente, Giscard-Chirac. Le président du RPR, parfaitement maître de ses propres troupes, est assurément, en ce début de septennat, le leader de la droite le plus en flèche. Raymond Barre, qui se tient soigneusement en dehors des partis, rencontre certes une audience régulièrement croissante, mais il part de loin. Le maire de Paris et l'ancien président de la République, en revanche, se confortent l'un l'autre en se rencontrant. Ils déjeunent ensemble en novembre chez Drouant. Ces retrouvailles habiles retentissent sur les négociations locales. Malgré quelques exceptions notables, dont la plus voyante, celle de Lyon, tient d'ailleurs davantage à des querelles de personnes qu'à des oppositions idéologiques, le centre et la droite présentent un front aussi uni que celui de la gauche.

En cette fin d'année 1982, les deux France politiques apparaissent donc plus dressées que jamais l'une contre l'autre. Après dix-huit mois de pouvoir socialiste, la bipolarisation triomphe. Les Français sont moroses. La « rigueur de gauche » ressemble à ce qu'en d'autres temps on appelait la « pause ». Cela ne suffit pas pour désarmer les préventions de la France de droite, mais cela inquiète fort les fidèles de la gauche. Élu par une coalition qui aspirait vivement au changement, François Mitterrand doit désormais tenter de gouverner au centre gauche, économie oblige. Mais, ce faisant, il risque de perdre des soutiens sur ses deux flancs.