Budget

La découverte de la rigueur

Quelques centaines de chefs d'entreprise réunis par le Centre des jeunes dirigeants attendent Jacques Delors, ce samedi 12 juin 1982, dans le décor douillet du casino de Deauville. Mais beaucoup pensent que le ministre ne viendra pas. Il doit être en effet dans l'après-midi à Bruxelles pour négocier avec ses homologues européens les conditions de la dévaluation du franc.

Finalement, le ministre de l'Économie se présente. Devant une salle médusée, il annonce un « petit électrochoc » qui sera suivi d'une « cure de rigueur ». L'objectif à atteindre est déjà désigné : moins de 10 % d'inflation en 1982 ; 8 % en 1983.

L'an I de l'expérience socialiste s'achève. L'an II sera celui de la rigueur. Laurent Fabius a la charge de traduire cette nouvelle direction dans le budget de 1983.

Pour l'élaboration du budget précédent, le gouvernement avait accepté sans trop d'hésitations les projections économiques les plus roses. La reprise se manifesterait, pensait-on, au plan mondial dans le courant de l'année 1982. La seule hardiesse devait consister à l'anticiper. Le budget de 1982 fut donc bâti sur une hypothèse de croissance de 3,3 % pour l'économie française. Le résultat final excède à peine 1,7 %.

Prudence

Pour 1983, les mêmes experts entrevoient à nouveau le bout du tunnel. Le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale note ainsi que « l'espoir de reprise modérée se fonde sur l'évolution favorable des termes de l'échange entre l'OCDE et les pays producteurs d'énergie et de produits de base, sur la réduction des rythmes d'inflation et sur le retour à des balances de paiement plus équilibrées ».

Les mêmes causes n'engendrent pas forcément les mêmes effets. L'optimisme pour 1982 avait engendré un budget euphorique. Mais l'optimisme, à peine nuancé, pour 1983 inspire donc un budget prudent.

Entre-temps, l'électrochoc du 12 juin a produit son effet au sein du gouvernement, où le « clan des réalistes » — comme aiment à le désigner ceux qui s'en réclament — impose ses vues.

De fait, la gauche française n'a pas le choix, face à des partenaires occidentaux goguenards et aux nombreux dangers provoqués par le différentiel d'inflation. Il lui faut montrer qu'elle peut, elle aussi, réussir une politique de rigueur.

Règle d'or

Le seuil fatidique des 100 milliards de F que l'on craignait par-dessus tout pour le déficit budgétaire et pour le commerce extérieur est, dans les deux cas, évité de justesse dans l'exécution de la loi de finances 1982. Pour le budget 1983, le président de la République assigne un objectif absolu au gouvernement : que le taux des prélèvements obligatoires n'excède pas 3 % du PIB.

Au-delà de cette règle d'or, il s'agit pour Laurent Fabius de « casser les enchaînements inflationnistes ». La loi de finances devra donc s'inscrire dans la logique de la sortie du blocage des prix et des salaires.

Les hypothèses économiques qui sous-tendent ce budget sont donc nettement plus modestes que l'année précédente. Le taux de croissance prévu pour 1983 se limite à 2 %. La consommation des ménages ne doit augmenter que de 1,6 % (contre 2,3 % dans le budget de 1982). Le pouvoir d'achat est promis quant à lui, à une augmentation très modique (0,9 %).

L'année sera donc relativement austère. Son budget peut difficilement ne pas l'être. Avant la dévaluation, les services du ministère travaillaient sur des hypothèses d'accroissement des dépenses publiques de l'ordre de 16 %.

Après une première révision en baisse, le chiffre finalement retenu est de 11,8 %, soit 881,3 milliards de F. Mais les recettes augmentent sensiblement moins vite : 10 %, soit 766,1 milliards de F.

Le déficit (117,8 milliards de F) reste finalement inférieur à 3 % du PIB, ce qui le situe à un niveau très proche de l'Allemagne fédérale et très loin de certains de nos partenaires, comme les Pays-Bas (6,4 %) ou, a fortiori, la Belgique et l'Italie.

Au total, il s'agit, selon Laurent Fabius, de « dépenser mieux avant de dépenser plus ». L'opposition ne manque pas de se gausser de ce virage, dont elle conteste la portée. Le secrétaire général du RPR, Bernard Pons, accuse le gouvernement d'avoir « scandaleusement truqué » ce budget, tandis que des experts travaillant pour l'ancien Premier ministre Raymond Barre dénoncent « de multiples artifices de présentation qui faussent la comparaison avec le budget de l'année précédente ».