Toutefois, la preuve définitive qu'apporterait la mise en évidence de bosons intermédiaires (particules jouant pour la force faible le même rôle que le photon pour la force électromagnétique) manque encore, en dépit des espoirs placés dans le collisionneur protons-antiprotons du CERN (Journal de l'année 1981-82). Fin 1982, les bosons intermédiaires n'étaient toujours pas découverts, mais les physiciens demeurent optimistes.

Dématérialisation

Un autre problème brûlant est celui de la désintégration spontanée du proton, prévue par les théories de la grande unification qui, partant d'hypothèses cosmologiques, tendent à regrouper en une seule formulation mathématique non seulement l'électromagnétisme et l'interaction faible (responsable de la radioactivité), mais aussi l'interaction forte (qui lie les nucléons dans le noyau), voire la gravitation et une cinquième force hypothétique.

Une des conséquences qui en découlent est que le proton, traditionnellement considéré comme éternel, pourrait être légèrement instable, avec il est vrai une demi-vie très longue : une seule désintégration par tonne de matière tous les dix mille ans ! Si exceptionnel que puisse être un tel phénomène, la vérification de son existence, outre qu'elle renforcerait l'hypothèse de la grande unification, impliquerait que tout l'univers est condamné à se dématérialiser progressivement...

Pour avoir quelque chance de détecter un événement aussi rare, il faut bien sûr éliminer dans la mesure du possible le bruit de fond des parasites, en particulier celui des désintégrations dues à l'impact des rayons cosmiques. Aussi travaille-t-on dans des laboratoires souterrains, aménagés dans des mines et des tunnels : mines de sel à Brookhaven et en Utah (États-Unis), mine d'or à Kolar (Inde), tunnel routier du Mont-Blanc.

D'autres laboratoires sont en construction aux États-Unis dans le Minnesota, en Europe sous le mont Gran Sasso et dans le tunnel de Fréjus. Quelques événements pouvant être interprétés comme des désintégrations de protons, à Kolar et au Mont-Blanc, ont été communiqués à la conférence de Paris. Le doute subsiste en raison d'une confusion possible avec des impacts de neutrinos, lesquels traversent sans peine l'écorce terrestre.

Alain Aspect et son équipe de l'Institut d'optique d'Orsay ont publié, en août et décembre 1982, les plus récents résultats de la série d'expériences qu'ils ont entreprises sur la polarisation de paires de photons corrélés, c'est-à-dire émis simultanément lors du changement de niveau d'énergie d'un même électron dans un atome excité. La polarisation (ou spin) d'un photon est un nombre quantique (soit + 1, soit – 1) qui correspond à une sorte de rotation interne de la particule, dans un sens ou dans l'autre. Dans une paire de photons corrélés, si l'un deux a la polarisation + 1, l'autre est polarisé – 1.

Les mesures prises à Orsay confirment les prédictions de la mécanique quantique, selon laquelle la corrélation ne se réalise que lorsqu'elle est observée, même si la distance qui sépare alors les photons (et les instruments de mesure) est telle qu'aucune interaction physique n'a pu s'établir entre eux pendant la mesure.

Variables

Dans l'interprétation dite de Copenhague de la mécanique quantique, la particule, tant qu'elle n'est pas observée, doit être tenue pour indéterminée et traitée comme une onde de probabilité. Des particules corrélées, quel que soit leur éloignement, constituent un système non séparable, lié par une relation non locale. Pour L. de Broglie comme pour Einstein, au contraire, la particule est pilotée par une onde réelle distincte d'elle ; et l'indétermination quantique résulte de l'existence de paramètres locaux non connus, les variables cachées.

Les résultats enregistrés à Orsay, incompatibles avec l'existence de telles variables, raniment la polémique entre les physiciens qui admettent une vision probabiliste de la nature et ceux pour qui tout phénomène est causalement déterminé. Renonçant aux variables cachées locales, les partisans du déterminisme (parmi lesquels, en France, Jean-Pierre Vigier et, en Italie, Franco Selleri) cherchent une nouvelle base théorique et imaginent des dispositifs expérimentaux séparant le photon de son onde, dont l'existence physique réelle pourrait ainsi être observée. Fin 1982, une expérience était en cours de montage dans un laboratoire de l'université de Pise, sous la direction du professeur Gozzini.

L'élément 109

Les éléments transuraniens (plus lourds que l'uranium), qui n'existent pas dans la nature, s'obtiennent en projetant les uns contre les autres des éléments plus légers, avec une énergie suffisante pour vaincre les forces répulsives que les charges électriques créent entre les noyaux. En septembre 1982, les physiciens du laboratoire de Darmstadt (Allemagne fédérale) ont ionisé des atomes de bismuth, élément de nombre atomique Z = 83 (nombre de protons du noyau), et, les ayant accélérés à une énergie de près de 20 millions d'électronvolts par particule du noyau, les ont lancés sur du fer (Z = 26). Les noyaux ayant fusionné ont donné l'élément Z = 109. L'année précédente, les mêmes physiciens avaient réussi à synthétiser l'élément 107, mais cette première était déjà revendiquée par les Soviétiques. L'élément 108 n'a pas encore été obtenu. Les derniers transuraniens créés jusqu'ici n'ont été obtenus qu'en quantités infimes et ils sont très instables. L'élément 109 ne vit que 2 millièmes de seconde ; mais les techniques actuelles sont assez fines pour permettre de l'identifier. La théorie fait prévoir un îlot de stabilité entre les éléments 114 et 118. On espère approcher cette zone grâce à l'accélérateur français GANIL, qui entrera en service en 1983 et qui communiquera à des ions lourds une énergie supérieure aux énergies atteintes à Darmstadt.

Des accélérateurs d'ions lourds

La physique française dispose désormais de deux grands accélérateurs d'ions lourds : GANIL, implanté à Rouen, et SARA, à Grenoble.