– Prix Femina - Roman étranger
Magda Szabo la Porte

– Prix Goncourt
Jacques-Pierre Amette la Maîtresse de Brecht

– Prix Goncourt des Lycéens
Yann Apperry Farrago

– Prix Interallié
Frédéric Beigbeder Windows on the World

– Prix Médicis
Hubert Mingarelli Quatre Soldats

– Prix Médicis - Essai
Michel Schneider Morts imaginaires

– Prix Médicis - Roman étranger
Enrique Vila-Matas le Mal de Montano

– Prix Renaudot
Philippe Claudel les Âmes grises

– Prix Renaudot - Essai
Yves Berger Dictionnaire amoureux de l'Amérique

Auteurs contre éditeurs

Un plaisir qui débouche parfois sur une surprise, laquelle, cette fois, n'est pas strictement du ressort de la littérature, mais plutôt de ses mœurs, telles qu'on les pratique du côté de Saint-Germain-des-Prés. Elle nous vient d'un petit livre de Marie-Odile Beauvais, laquelle se demande dans le très ulcéré Discrétion assurée comment un éditeur peut publier un écrivain et ne rien faire pour vendre son livre. L'auteure raconte le traitement qui lui fut infligé lorsqu'elle publia son premier roman dans une auguste maison de la rue des Saints-Pères, en 1995, en même temps qu'un certain Yann Moix. Ce n'est certes pas le livre de l'année, mais ce règlement de comptes au vitriol a au moins le mérite de rompre l'omerta qui règne sur certaines pratiques éditoriales. D'aucuns insisteraient sur le paradoxe consistant à raconter une histoire de ses bides littéraires et à en faire un succès ; d'autres constateraient suavement que ce lavage de linge sale porte moins sur l'édition parisienne que sur la naïveté de l'auteur déçu. Plutôt que le son du clairon, Jean-Noël Pancrazi choisit la nuance de sa petite musique, dans Tout est passé si vite, pour décrire la foire aux vanités du petit monde littéraire parisien et les liens ambigus entre un auteur et son éditeur. Une foire aux vanités avec laquelle Daniel Pennac a pris ses distances – ses relations avec le microcosme lui en donnent les moyens –, le temps de reprendre son souffle et de se renouveler, après l'immersion dans le prenant univers des Malaussène et son risque d'enfermement. Il revient dans une grande entreprise romanesque, le Dictateur et le hamac, un récit de fiction gigogne, qui mêle réflexion sur le travail de création littéraire et innombrables péripéties. Pour en terminer sur le chapitre des relations auteurs-éditeurs, on pense à François Prunier, auteur, ou victime, désigné(e) d'un livre programmé pour être « dérangeant voire scandaleux », selon son éditeur, Stock. Le jury du prix Sade pourrait bien trouver dans ce premier roman d'apprentissage d'un genre particulier, où l'auteur décrit la découverte de ses pulsions déviantes, un successeur idéal à son lauréat 2003, le très controversé Il entrerait dans la légende de Louis Skorecki.

Les 11 septembre

L'année écoulée est plutôt considérée comme un cru de raconteurs d'histoires, avec un vrai retour de la narration, qui s'opère aux dépens du pur récit. L'autofiction cède un peu de son territoire à l'hyperréalisme et aux faits de société. Les romanciers français se seraient enfin décidés à se confronter avec les réalités sociales et politiques d'une époque troublée – notamment par les attentats. Ceux du 11 septembre 2001 sont au cœur de plusieurs ouvrages. Depuis deux ans, ils font un tabac au rayon essais et documents. Pourquoi n'investiraient-ils pas le créneau du roman ? Didier Goupil raconte, dans le Jour de mon retour sur Terre, le cauchemar d'un survivant ; Jean-Jacques Greif Nine Eleven, un inégal « romanquête » à partir des confessions des élèves de la Stuyvesant High School, située à quelques pâtés de maisons des tours. Dans 11 septembre, mon amour, Luc Lang inscrit lui aussi la tragédie dans une perspective romanesque, qui met en scène sa vision de l'Amérique, dénonçant ses excès et sa violence. Très attendu, Frédéric Beigbeder se tire honorablement du piège qu'il s'est lui-même tendu, explorant, au passage, l'hyperréalisme, un genre de plus en plus en vogue, nourri de scènes crues et sauvages, d'où peut naître une réelle émotion. Windows on the World narre l'histoire croisée d'un père de famille et de ses deux fils, au sommet du World Trade Center, le matin du 11 septembre 2001, et d'un jeune dandy français attablé au sommet de la tour Montparnasse. Un maelström de mots, qui agace le lecteur par son torrent de narcissisme et le séduit par son énergie atomique.

Dire la guerre

Représenter la guerre est l'autre grand défi que relèvent les écrivains. La guerre récente, celle qui fit rage dans les Balkans dans Océane et les barbares de Sylvie Matton. Celle qui ravagea l'Afrique dans l'essai Une saison de machettes de Jean Hatzfeld. Hatzfeld avait déjà écrit, à propos du génocide rwandais, un pur chef-d'œuvre constitué par des récits de rescapés, Dans le nu de la vie. Celui qu'il publie cette année en constitue la suite naturelle. Il a recueilli les témoignages des bourreaux de la tragédie rwandaise pour tenter de percer à jour les ressorts humains d'une des pires tragédies du xxe siècle. La guerre totale, la Grande Guerre, on la trouve dans la nouvelle trilogie de Max Gallo et dans deux romans qui racontent le front et l'arrière. Dans la guerre d'Alice Ferney est une vaste fresque qui met en scène une famille de paysans landais prise par le tourbillon meurtrier du premier conflit mondial. Dans cette chronique de la désolation, elle tisse en contrepoint un autre chant, un chant d'amour et d'innocence. Les Âmes grises de Philippe Claudel se passe à l'est de la France, dans un village situé sur la route du front. Éprouvant mais émouvant, le roman explore les petites lâchetés du quotidien et les intenses douleurs de la vie qui broie les âmes, quelles qu'en soient la couleur et la teinte, guerre ou pas guerre. La sortie de la Maîtresse de Brecht de Jacques-Pierre Amette, prix Goncourt, a provoqué un coup de tonnerre dans le landerneau des lettres : à la surprise générale, le jury Goncourt a pris tout le monde de court et, deux semaines avant la date initialement prévue (le 3 novembre), il a décerné son prix à Amette, un habitué des dernières sélections. Le but de la manœuvre, présentée comme une facétie par l'illustre jury, était de prendre de vitesse le Grand Prix de l'Académie française, décerné le 23 octobre. Les plus outrées en tout cas furent les dames du Femina, qui virent dans le coup d'éclat des Goncourt la rupture cavalière du pacte de non-agression informel passé voici quelques années pour régler définitivement les problèmes de priorité calendaire. Quoi qu'il en soit, le Goncourt d'Amette fait vivre ses personnages dans une atmosphère aussi froide – le Berlin-Est de 1948 – que la guerre dont ils se font les acteurs.

Dans l'air du temps

Côté actualité, l'inspiration est inépuisable : les sociologues devront faire face à une rude concurrence, qui se penche sur les grandes tempêtes de 1999 (Jean-Guy Soumy), la mort de lady Di (Laurence Cossé), les SDF (Dominique Sampiero), l'immigration (Fatou Diome), la téléréalité et les médias (Gilles Martin-Chauffier). Dans le roman de ce dernier, Silence, on ment, on parle aussi de la société d'en bas, celle qui préoccupe moins les politiques, sauf à proximité des échéances électorales. Adieu à la France qui s'en va de Jean-Marie Rouart, suite de tableaux et de réflexions sur des moments d'une vie, constitue une véritable « mythologie française » dont l'Olympe s'y nomme Panthéon, les dieux et les héros Jeanne d'Arc et de Gaulle, Drieu la Rochelle et Romain Gary, les sans-culottes de Valmy, les képis blancs de Cao Bang, le capitaine Dreyfus et le jardinier Raddad. Une France, redoute l'auteur, qui est retournée à « cette nuit barbare » d'où elle jaillit au temps de saint Rémi. Une ville de Denis Robert peint un monde-miroir qui nous ressemble et nous effraie et nous fascine, immense Big Brother omniscient d'un univers construit comme la plus inouïe des introspections intellectuelles, à la manière d'un certain Georges Perec. Plus modeste, l'Histoire de Chirac (pas l'homme, mais une ville de Lozère) d'Éric Holder, sous le vernis de l'intrigue, est un joli petit palimpseste et une ode au granite, à la lauze, aux mélèzes, aux monts de Margeride, ancien pays de loups. Un des rares coins de France où on peut avoir l'impression de revenir quelques années en arrière, avant que l'homme ne devienne « envieux, replié sur lui-même, distrait, dangereux ».

Asies

L'Asie est très tendance, même au rayon lettres. Le Personne de Linda Lê est une histoire de fou, où des repères sont placés pour mieux déboussoler le lecteur, des vérités révélées pour mieux le fourvoyer, pendant que l'auteure, tapie dans l'ombre du récit, en maîtrise la malicieuse construction. Le Complexe de Di, prix Femina, qui titre à partir d'un jeu de mots sur le complexe d'Œdipe, se situe du côté de l'humour, limite farfelue et loufoque. On n'a pas échappé à la surmédiatisation de Shan Sa et de son Impératrice (Albin Michel), un roman que se sont arraché deux éditeurs à coup de procès : le scandale littéraire de la rentrée, mais surtout une nouvelle étape inspirée qui mène Shan Sa au cœur de la Chine éternelle.

Amours, désamours

La description de l'amour, de préférence volatile, reste encore le thème littéraire le plus exploité. Antéchrista d'Amélie Nothomb met en scène un nouveau duel. Après la journaliste et l'écrivain, le laid et la belle, l'Occidentale pleine de bonne volonté et la vicieuse japonaise, c'est cette fois l'affrontement entre une jeune fille rêveuse et trop sage et une jeune fille solaire et extravertie, attirant irrésistiblement l'amour de tous et de toutes. Beaucoup d'adolescents s'y reconnaîtront. Tant qu'il y aura du rhum de François Cérésa est un roman sur les mensonges qui embellissent la vie, une fresque nostalgique sur l'amour, la filiation, Saint-Germain des Prés et l'éducation sentimentale d'un jeune homme qui, le jour venu, se souvient... White de Marie Darrieussecq ausculte des scientifiques à la recherche de poussières cosmiques qui vivent une histoire d'amour dite à plusieurs voix par de fantomatiques narrateurs. Loin des clichés, Darrieussecq poursuit une recherche exigeante vers un renouvellement du romanesque. Camille Laurens, dans l'Amour, roman, cherche à sonder deux thèmes essentiels : l'amour et le roman, annoncés d'emblée dans le titre, en se prenant elle-même pour objet d'étude. Un roman plutôt désenchanté, aux phrases longues et amples qui suggèrent un paradis vraiment perdu que seul l'amour de la langue peut aider à retrouver. Avec Faire l'amour, Jean-Philippe Toussaint nous livre le récit d'une rupture amoureuse, celle d'un couple séduisant qui s'étreint une dernière fois pour se remémorer la première fois, dans une sorte de lune de miel à l'envers. La Constante de Hubble de Stéphanie Janicot considère le couple comme une galaxie. Mais les lois de la cosmologie peuvent-elles vraiment permettre de comprendre les trahisons et les incompréhensions que l'amour suscite ? Un roman plaisant qui a au moins le mérite de poser un questionnement clair sur la vie de couple. Trauma d'Hélène Duffau est un livre court, rageur, le récit d'une femme violée qui n'est plus qu'une immense cicatrice, et qui cherche à se venger. De Les anges brûlent de Thibault de Montaigu, fils de Françoise Gallimard et neveu d'Antoine, on a dit qu'il s'agissait du nouveau Bonjour tristesse et, de son auteur, le nouveau Sagan au masculin. Son premier roman rappelle un peu Bret Easton Ellis, mais dans le XVIe arrondissement de Paris. En tout cas, le texte de Thibault de Montaigu est féroce, plein d'une lucidité malsaine. La Révélation de Pierre Mérot fait le récit très drôle et très méchant d'un naufrage humain entre misère enseignante, amours massacrées et libations sans fin.

Histoires

Le roman historique, comme toujours, se porte bien. Patrick Rambaud livre le dernier volume de sa trilogie impériale (l'Absent), qui décrit l'atmosphère fin de règne, prélude au premier exil de l'Empereur. Une transcription minutieuse des états d'âme des uns et des autres plus que des péripéties politiques et militaires de ces semaines cruciales. Pierre Combescot récrit l'affaire du Collier de la reine dans les Diamants de la guillotine, l'un des épisodes précurseurs de la Révolution, avec un brio et une sensibilité dignes du Siècle des lumières. L'auteur, en particulier, confirme la thèse qu'il n'y a évidemment pas une seule raison au plus violent séisme politique que la France ait jamais connu. Avec C'est ainsi que les hommes vivent, Pierre Pelot l'emporte dans la catégorie poids lourds. L'auteur, fasciné d'ordinaire par les hommes préhistoriques, raconte ici la guerre de Trente Ans dans l'est de la France. Un élégant premier roman de Martine Mairal, l'Obèle, narre le coup de foudre littéraire du vieux Montaigne pour la jeune Marie de Gournay. Elle lui consacrera le reste de sa vie en devenant éditrice des Essais et femme de lettres.

Attrait de l'étranger

En littérature, on va chercher ailleurs ce qui nous manque ici. De ce point de vue, les Anglo-Saxons tiennent toujours le haut du pavé. Quoique, sur ce registre, le match de la France contre le reste du monde est inégal puisque, de l'étranger, ne nous parvient que la crème de ce qui y a été déjà publié et critiqué. Le jeune prodige irlandais de New York Colum McCann revisite, dans une brûlante biographie fictive, la vie de Rudolf Noureev dans Danseur. Dans cette aventure littéraire de recréation d'un mythe, McCann fait danser les mots pour dire celui qui était la danse incarnée. L'Anglais Ian McEwan a fait sensation dans son pays avec Expiation. L'auteur illustre dans ce récit généreux sa parfaite maîtrise du jeu romanesque, de l'art du rebondissement, mais aussi un indiscutable talent à plonger dans les âmes et les consciences de ses personnages, sans oublier le défi permanent lancé au lecteur. Avec Cosmopolis, Don DeLillo réalise une miniature savoureuse, une sorte de conte moderne, cruel et allégorique sur les abîmes de la société contemporaine. Récompensé par le prix Pulitzer, Middlesex de Jeffrey Eugenides, auteur il y a neuf ans de Virgin Suicides, est un « roman hybride », mi-épopée, mi-récit intime. Des années 1920 aux années 1970, une description des États-Unis, de la société américaine sur trois générations et une illustration au quotidien du melting pot. La Nostalgie de l'ange d'Alice Sebold est un exercice littéraire attachant dont la narratrice est une jeune fille assassinée lorsqu'elle avait quatorze ans. Depuis, elle veille sur les siens, spectatrice de tous ces instants qui viennent ponctuer une vie et qui auraient dû rythmer la sienne. Deux hispanisants, enfin, au milieu de cette déferlante anglo-saxonne. Avec Clara et la pénombre, José Carlos Somoza, auteur de la Caverne des idées (2002), un polar platonicien, revient avec une nouvelle enquête d'une écriture limpide aux mille niveaux d'interprétation, une histoire terrible et fascinante, et, toujours, son interrogation sur la création, l'art et ses dérives. Dans Vivre pour la raconter, Gabriel García Márquez raconte la « fiction » de ses années de formation. Plus qu'un document, une création littéraire humaniste qui apporte une pierre indispensable à l'œuvre du père du « réalisme magique ». « La vie n'est pas ce qu'on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s'en souvient », prévient-il d'emblée.

J. M. Coetzee, prix Nobel de littérature

Un deuxième prix Nobel de littérature pour l'Afrique du Sud : après Nadine Gordimer en 1991, c'est John Maxwell Coetzee que l'Académie suédoise a distingué. Son nom circulait depuis longtemps pour l'attribution de cette prestigieuse distinction. Auteur d'une œuvre complexe, souvent sujette à polémique, J. M. Coetzee succède au Hongrois Imre Kertész. Son style dépouillé et tranchant est volontiers comparé à ceux de Beckett ou de Kafka. « Les romans de J. M. Coetzee se caractérisent par une composition astucieuse, des dialogues condensés et une brillance analytique », indique le comité de l'Académie. Quatrième Africain à obtenir le Nobel de littérature depuis 1980, J. M. Coetzee est né au Cap en 1940 au sein d'une famille anglo-allemande. Il débute sa carrière d'écrivain en 1974 avec la publication de Dusklands (Terres de crépuscule). Ses premiers livres sont marqués par les années d'apartheid et, dans les suivants, l'Afrique du Sud est omniprésente. Son roman En attendant les barbares (1980) le rend célèbre sur la scène littéraire internationale. « Un thriller politique dans la lignée de Joseph Conrad, où la candeur ouvre la porte à l'horreur », note le jury du Nobel. J. M. Coetzee est le seul écrivain à avoir reçu deux Booker Prize, en 1983 et en 1999.