La littérature nationale connaîtrait-elle son automne, comme on dit l'automne d'une vie ? Elle que l'on résume plus que jamais à l'événement qui rythme chaque mois de septembre : l'immuable rentrée littéraire – sa pléthore et les prix y afférents.
1 300 nouveaux livres à la rentrée littéraire : toujours plus !

La saison littéraire en France

Frédéric Perroud
Critique littéraire

Au point de la parer des couleurs de saison – grisaille et morosité –, faute d'enjeux, de perspectives ou, tout simplement, de capacité de renouvellement. Donc, tout aurait déjà été dit ? On aurait fait le tour de toutes les manières de le dire ? Plus rien de nouveau à ajouter ? Un point de vue pessimiste auquel les premiers intéressés, éditeurs et auteurs, entendent, marché oblige, opposer l'évidence du nombre, du toujours plus. En cela, la cuvée 2003 ne déroge pas à la règle.

Une évidence qui se traduit, depuis une dizaine d'années (364 titres à la rentrée 1994), par des records d'édition. Toujours plus, tel semble le mot d'ordre constant de l'édition, ne serait-ce que pour continuer à faire de la France une nation littéraire : les librairies sont encore nombreuses et bien approvisionnées, leur choix est vaste, leur influence ne cesse de croître depuis la disparition du rendez-vous d'Apostrophes, l'annonce du Goncourt est retransmise en direct dans les journaux télévisés. Faut-il s'en plaindre ? Mais près de 700 romans français et étrangers (une progression de 4 % par rapport à l'an passé), quelque 600 essais et documents, 1 300 nouveaux livres pour la rentrée littéraire 2003. Qu'en faire, que lire, que choisir ? Comment trier le bon grain du marais, plat et sans envergure, celui qui n'apporte rien, qui n'anticipe rien, celui dont le nombril – encore qu'un monde puisse s'y cacher – tient lieu de veine, de substance et de style, celui dont les thèmes sont éculés, celui qui déballe moins qu'il n'emballe... Rien d'indigne dans cette littérature au demeurant. Et, en admettant que tout écrivain est un névrosé qui enrobe son trouble dans l'écriture, toute névrose étant honorable, il n'est pas question de lui ôter son public. Tout est affaire de collaboration : entre les éditeurs et le public, les premiers se chargeant de sélectionner, selon leur intuition ou au petit bonheur, les auteurs qu'ils jugent dignes de satisfaire l'appétit littéraire du second, l'ensemble étant régi par un incertain calcul de probabilité. Abondance de nouveautés ne nuit pas, tant que l'offre est multiple et diversifiée et la demande décemment soutenue. Mais surabondance... c'est-à-dire lorsque la production dépasse ce que le « marché » peut absorber. Si seulement cette surabondance constituait un gage de profusion d'idées, d'ambitions, de styles, d'engagements... Dans Fahrenheit 451 de Bradbury, la société brûlait les livres. La nôtre fait mieux : elle les publie.

Qu'importe, au fond, si, au sein de cette marée romanesque, quelques îlots auront émergé, emporté, ému ou marqué leur lecteur pour, au minimum, l'éternité. Après tout, si les livres-qui-changent-la-vie étaient plus nombreux que les livres-que-c'est-pas-la-peine, on devrait le savoir depuis longtemps.

Et le rôle de la critique dans le jardin des lettres ? Extraire les pépites de la glaise, pour la version valorisante ; s'arracher les cheveux, pour la version réaliste, devant le flot littéraire qui la submerge et que, ayant perdu son ancien caractère de majesté et de prévalence, elle n'est plus en mesure à elle seule d'encadrer. Face à la marée de papier, lecteur parmi d'autres lecteurs, fort de son endurance, le critique livre les résultats de sa pêche effectuée au plaisir de la découverte, avec seulement quelques longueurs d'avance sur ses semblables, ses frères.

Prix littéraires 2003

– Grand Prix roman de l'Académie française
Jean-Noël Pancrazi Tour est passé si vite

– Prix Décembre
Régis Jauffret Univers, univers

– Prix Femina
Sijie Dai le Complexe de Di

– Prix Femina - Essai
Jean Hatzfeld Une saison de machettes