Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Dialogue difficile entre Paris et Londres

La participation de Tony Blair aux préparatifs de guerre de George Bush contre l'Irak a jeté un froid dans les relations entre la France et la Grande-Bretagne.

Initialement prévu le 3 décembre 2002, le sommet franco-britannique du Touquet s'est tenu le 4 février, maintenant les fils ténus d'un dialogue qui, pour avoir le mérite d'exister, n'en confirmera pas moins des divergences irréductibles sur les grandes orientations de politique étrangère. Provoqué officiellement par les désaccords sur la Politique agricole commune (PAC), ce report n'aura guère permis d'apaiser les tensions. Le fossé n'a cessé de se creuser entre Paris et Londres alors que la Grande-Bretagne s'associe activement aux préparatifs de guerre engagés contre le régime de Bagdad par George W. Bush.

Divergences irakiennes

Les contentieux économiques liés à la PAC et au refus de Londres de renoncer à certains avantages financiers garantis par l'UE prennent rang d'anecdotes alors que l'imminence d'une guerre contre l'Irak agite le spectre d'une division de l'Europe. Autant dire que le climat européen et international semble moins propice encore à la réactivation d'un dialogue franco-britannique qui voudra se concentrer sur les maigres terrains d'entente susceptibles d'accueillir les fondations vacillantes d'une politique étrangère européenne commune. Faute de compromis sur l'Irak, MM. Blair et Chirac s'évertueront à ne pas attiser les braises d'une crise qui couve depuis que les préparatifs de guerre et, au-delà, la question des liens avec les États-Unis ont donné lieu à une polarisation de l'Europe entre le camp de la paix, avec à sa tête la France et l'Allemagne, et le camp de la guerre, conduit par la Grande-Bretagne, secondée par l'Espagne. Tandis que Paris et Berlin célébraient avec faste, les 22 et 23 janvier, le 40e anniversaire du traité de l'Élysée, revitalisant ainsi un couple franco-allemand ayant vocation à redevenir le moteur d'une Europe unie derrière lui contre cette guerre dénoncée par les opinions publiques à longueur de sondages, Londres fédérait les pays européens décidés à rallier les États-Unis. À l'axe pacifiste Paris-Berlin, qui se prolonge à Moscou, la Grande-Bretagne opposait, avec 7 autres pays européens signataires d'une déclaration commune le 30 janvier, un axe étroitement solidaire des États-Unis et de leurs projets militaires et politiques en Irak et au Moyen-Orient, renforcé le 6 février par 10 anciens pays de l'Est candidats à l'OTAN ou à l'UE. Mais avant de laisser parler les armes déployées par les contingents américains et britanniques massés aux portes de l'Irak, la bataille diplomatique fait rage au sein du Conseil de sécurité de l'ONU, dont T. Blair ne désespère pas d'obtenir la caution, sous forme d'une « 2e résolution » prolongeant la « 1441 » que G.W. Bush juge, quant à lui, suffisante pour légitimer la guerre. Lors d'une réunion à la Maison-Blanche le 31 janvier, il lui aurait finalement fait accepter cette éventualité qui s'inscrira en arrière-plan du sommet du Touquet où chaque partie campera pourtant sur ses positions, tout en cherchant à éviter que les désaccords sur l'Irak ne viennent contrarier leurs relations et la poursuite de l'intégration européenne. Ainsi, Paris et Londres proclameront-ils leur volonté de renforcer la politique européenne de défense commune en proposant de doter l'UE d'une force aéronavale permanente, les deux pays s'associant dans la construction de porte-avions. Mais ces professions de foi européennes seront vite balayées par l'évolution d'une crise irakienne qui tend à échapper au contrôle de l'ONU, où la France menace d'opposer son veto à une guerre qui serait déclenchée sans avoir laissé aux inspecteurs en désarmement le temps de mener à bien leur mission en Irak. T. Blair se résignera à passer outre une 2e résolution, et plaidera aux Açores, le 16 mars, aux côtés de Bush et de son homologue espagnol J. M. Aznar, la nécessité d'une guerre qui sera déclenchée quatre jours plus tard.

Ressentiment contre la France

Entraîné dans une fuite en avant militaire hors du cadre de l'ONU, T. Blair en voudra à la France de l'avoir placé dans une situation inconfortable face à sa propre famille politique, le Parti travailliste, où il est critiqué, et à une opinion massivement opposée à la guerre. Après s'être présenté comme le médiateur privilégié entre l'UE et G.W. Bush, T. Blair n'avait pu que temporiser, avant de lancer ses troupes aux côtés des Américains, au risque de renforcer les soupçons d'un alignement sur Washington. Mais alors que le fracas des combats semble étouffer les critiques des opposants à la guerre au Royaume-Uni, T. Blair a jugé utile de renouer le dialogue avec J. Chirac, lors d'un entretien téléphonique le 29 mars portant sur la reconstruction de l'Irak après la chute de Saddam Hussein. Si la force du lien transatlantique unissant Londres à Washington s'exprime sur le champ de bataille irakien, les désaccords perceptibles entre les deux alliés sur la gestion de l'après-guerre tendent à ranimer la diplomatie européenne autour de la question du rôle de l'ONU : Londres, Paris et d'autres capitales européennes, refusant une mainmise américaine sur l'Irak, voudraient que celle-ci soit impliquée dans la paix. Reste que la politique européenne commune se remettra difficilement de cette crise, et qu'il faudra en passer par Londres pour tisser ce lien transatlantique durablement distendu avec la France sinon avec l'ensemble d'une UE qui sort marginalisée et divisée de cette épreuve, et affronte en situation de faiblesse la période de l'après-guerre et la course à la reconstruction de l'Irak, propice à tous les marchandages.