La crise irakienne donnera ainsi l'occasion à la Chine de mettre en pratique sa nouvelle conception des relations internationales. Après avoir exprimé sa solidarité avec les Américains dans la lutte contre le terrorisme, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, la Chine a déployé tous ses efforts pour que la guerre d'Irak ne vienne pas torpiller le rapprochement ainsi opéré. Le 1er avril 2001, la collision entre un avion espion américain et un chasseur chinois au large de l'île de Hainan avait provoqué une vive tension entre les deux puissances de part et d'autre de l'océan Pacifique, alors pressenti comme le théâtre d'une « nouvelle guerre froide ». Cet incident, sur fond de pressions militaires accrues de Pékin sur Taïwan, avait conforté les États-Unis dans l'opinion que la Chine était leur « concurrent stratégique », suspecté de fournir en armes les pays dits « de l'axe du mal » et autres « États voyous ». Cette époque semble désormais révolue depuis que la guerre contre le terrorisme a désigné la Chine comme un partenaire stratégique des États-Unis. Et la Chine s'est employée à resserrer ses liens avec Washington, en gardant profil bas tout au long de la crise diplomatique causée, au sein du Conseil de sécurité de l'ONU dont elle est un membre permanent, par les préparatifs de guerre en Irak. Tout en s'opposant à toute solution militaire, elle a évité de s'aligner trop ouvertement sur la France, la Russie et l'Allemagne dans le front antiguerre, laissant ainsi comprendre au secrétaire d'État américain Colin Powell, en visite le 24 février à Pékin, que son refus de la guerre ne prendrait pas la forme d'un veto.

C'est donc avec prudence que la nouvelle direction chinoise s'est opposée à l'unilatéralisme des États-Unis. Mais les « intérêts d'État » de la Chine lui dictaient de ne pas heurter de front les Américains dans le dossier irakien, pour se concentrer sur la scène régionale, où l'appelait une autre crise, provoquée par le chantage à l'arme nucléaire de son encombrant voisin et allié, la Corée du Nord. Les déclarations intempestives du régime de Pyongyang, se vantant en octobre 2002 de mettre en œuvre un programme nucléaire militaire, avaient ouvert un autre front contre un autre pays de « l'axe du mal ». Mais les Américains, engagés militairement en Irak, veulent encore croire aux vertus du dialogue plutôt que de prendre le risque d'une confrontation hasardeuse avec le régime nord-coréen. Sollicitée par Washington pour user de son influence sur Pyongyang, la Chine répondra avec d'autant plus d'empressement qu'elle redoute les conséquences d'une escalade militaire et de la course aux armements que provoquerait le programme nucléaire de la Corée du Nord, s'il se concrétisait. Après avoir accueilli la reprise d'un dialogue entre les Américains et les Nord-Coréens en avril, la Chine s'impliquera davantage dans le processus de négociations en présidant à Pékin le 29 août une rencontre entre les représentants des deux Corées, du Japon, de la Russie et des États-Unis. Le sommet s'est soldé par le seul engagement de la Corée du Nord à poursuivre un dialogue multilatéral qu'elle avait jusque-là refusé, en vue d'obtenir des garanties de sécurité en échange de son désarmement.

Pragmatisme, nationalisme et rivalité avec les Américains

En inaugurant ses débuts de médiateur dans une crise internationale, la Chine cultivait son image de puissance régionale responsable, par souci de laquelle elle s'est aussi abstenue de provoquer militairement Taïwan, sans pour autant renoncer à voir l'île nationaliste réintégrer son giron. Elle prenait du même coup ses marques dans un monde dont elle exalte la dimension multipolaire, avec le même pragmatisme qui avait vu la Chine de Mao militer en faveur du polycentrisme dans le monde communiste. Dépouillé de ses attributs idéologiques, ce pragmatisme est placé au service d'un nationalisme qui reste le meilleur allié du régime, et dont l'économie tend à devenir le fer de lance, plutôt que l'appareil militaro-industriel. La Chine a ainsi réfréné ses gesticulations militaires dans le détroit de Formose et mis un bémol à ses revendications territoriales, notamment à l'encontre des Philippines concernant les îles Spratley, pour multiplier les accords économiques et commerciaux avec des partenaires de plus en plus diversifiés. Afin de consolider son influence, la Chine pencherait en faveur d'une conception multilatéraliste des relations internationales, sous l'égide de l'ONU. Mais depuis la crise irakienne, la doctrine diplomatique chinoise semble moins attachée au principe de la loyauté onusienne. En témoigne un revirement notable à l'égard du G8, dénoncé comme le « club des riches » par le régime de Pékin jusqu'à ce que le président Hu Jintao accepte l'invitation de Jacques Chirac à participer à un dialogue Nord-Sud en marge du sommet d'Évian le 10 juin. Entraînée par la dynamique irrépressible de son développement économique, la Chine semble désireuse de réviser son mode de relations avec les grands de la planète, et est prête pour cela à oublier une rhétorique tiers-mondiste qui l'a longtemps désignée comme le porte-parole des pays en voie de développement face aux pays riches, avec lesquels elle entend établir un dialogue stratégique équilibré, comme l'exigent ses « intérêts d'État ».

Force de frappe économique sur fond de malaise social

448 milliards de dollars d'investissements directs étrangers en 2002.