À peine plus d'une page pour l'une des plus importantes découvertes dans l'histoire de la biologie : la découverte de la structure en double hélice de l'ADN (acide désoxyribonucléique), le support de l'information génétique

Il y a 50 ans était percé le secret de la double hélice de l'ADN

Paul Benkimoun
Journaliste au Monde

C'est la place qu'occupe dans le numéro 4 356 de la revue britannique Nature, daté du 25 avril 1953, la lettre adressée par deux chercheurs du laboratoire Cavendish à Cambridge, James Dewey Watson, un Américain qui venait d'avoir vingt-cinq ans, et le Britannique Francis Harry Compton Crick, son aîné de douze ans. En page 737, démarrant sous les notes de la lettre précédente, la revue scientifique a regroupé trois articles sous le titre « Structure moléculaire des acides nucléiques ». Celui de Watson et Crick, intitulé « Une structure pour l'acide désoxyribonucléique », est en effet suivi de celui de Maurice Wilkins sur la « Structure moléculaire des acides désoxypentose nucléiques », cosigné par deux scientifiques du King's College de Londres, et de celui écrit par Rosalind Franklin et un de ses collègues, également du King's College de Londres, sur la « Configuration moléculaire du thymonucléate de sodium ». Rédigés par les principaux protagonistes de la traque réussie des mystères de la structure de l'ADN, ces trois articles convergent vers un modèle de double hélice.

Une structure à double hélice

Des travaux qui convergent vers un modèle de double hélice

Watson et Crick avancent, diagramme à l'appui, de la manière la plus élaborée, une structure en double hélice où deux chaînes composées de molécules d'un sucre, le désoxyribose, reliées par du phosphate, tournent en spirale comme les montants d'une échelle, dont les barreaux sont constitués par une paire de base. L'assemblage des paires de base est immuable : une base purique est unie à une base pyrimidique, l'adénine (A) étant ainsi toujours appariée à la thymine (T) et la guanine (G) à la cytosine (C). « Il ne nous a pas échappé que l'appariement spécifique que nous avons postulé suggère immédiatement un possible mécanisme de copie pour le matériel génétique », écrivent Watson et Crick dans l'antépénultième paragraphe de leur lettre (l'ajout serait dû à l'initiative de Crick). Signe qu'ils ont saisi les implications potentielles de leur découverte.

Si celle-ci est le fruit d'une intense activité sur une année et demie, cette publication intervient près d'un siècle après l'isolement de l'ADN. En 1869, en effet, un scientifique suisse, Johan Friedrich Miescher, isolait une substance à partir de noyaux de globules blancs prélevés dans le pus déposé sur des bandages souillés. Il la baptise « nucléine », nom qui sera plus tard abandonné au profit de celui d'ADN. Pour autant, Miescher n'établi aucun lien entre la nucléine et les facteurs expliquant la transmission des caractères héréditaires, dont l'existence a été avancée par Gregor Mendel, qui a formulé quatre ans auparavant les premières lois de l'hérédité. Courant sur la première moitié du xxe siècle, une première phase de travaux scientifiques va commencer à lever le voile. Le terme de « gène » est proposé en 1909 par le Danois Wilhelm Johannsen pour désigner les facteurs imaginés par Mendel. L'année suivante, en travaillant sur la drosophile (ou mouche du vinaigre), l'Américain Thomas Hunt Morgan, futur prix Nobel de médecine 1933, démontre que les gènes sont situés sur les chromosomes, eux-mêmes faits de nucléine. L'étude de pneumocoques non virulents pouvant acquérir une virulence suggère à l'Anglais Fred Griffith l'idée d'un « facteur transformant ». Cette hypothèse sera avérée en 1944 par une équipe américaine, composée d'Oswald Avery, Colin McLeod et McLyn McCarthy, tous trois de l'Institut Rockefeller de New York, qui prouvent que l'ADN est bien le support de l'information génétique. Une découverte capitale, au point que beaucoup se demandent encore pourquoi le jury qui a décerné en 1962 le prix Nobel de médecine conjointement à Watson, Crick et Wilkins « pour leurs découvertes concernant la structure moléculaire des acides nucléiques et leur signification pour le transfert de l'information dans le vivant », en a oublié la contribution essentielle. Mais ce ne fut pas la seule injustice commise par ce jury.

Le rôle oublié de Rosalind Franklin

À l'époque où ils sont publiés, les travaux d'Oswald Avery et de ses collègues suscitent le scepticisme. La communauté scientifique estime que l'ADN est une molécule trop simple pour constituer le support de l'hérédité. La tendance est d'imaginer que ce rôle crucial est tenu par des protéines. Enfin, en 1949, trois Français, Roger et Colette Vendrely et André Boivin, constatent que le noyau des cellules du corps (cellules somatiques), qui possèdent 23 paires de chromosomes, contient deux fois plus d'ADN que celui des cellules sexuelles (gamètes), seulement dotées de 23 chromosomes. Un argument de plus pour faire de l'ADN le support de l'hérédité.