Le 12 mars, donc, l'OMS lance son alerte mondiale. Le branle-bas est sonné. L'organisation internationale mobilise des équipes de cliniciens et d'épidémiologistes, ainsi qu'un réseau de treize laboratoires. Elle va également émettre des recommandations sur les précautions à prendre dans les aéroports et pour la protection des personnels soignants qui commencent à payer un lourd tribut au combat contre la nouvelle maladie. Ce sera notamment le cas du Dr Urbani qui se rend à Bangkok, où il décédera le 29 mars. Le 30 mars, les autorités de Hongkong annoncent un foyer de plus de 200 cas parmi les habitants d'une résidence nommée les Jardins d'Amoy. L'enquête montrera que la maladie, importée par un visiteur, se serait propagée par les canalisations des eaux usées.

La mobilisation médicale internationale est considérable. Alors que les scientifiques avaient plutôt l'habitude de publier d'abord leurs découvertes dans des revues médicales avant de partager leurs résultats, ils n'hésitent plus à échanger des données préliminaires. C'est qu'on ne sait pas encore à quel agent infectieux le monde a affaire. Le 15 mars, l'OMS donne un nom à la maladie : Syndrome respiratoire aigu sévère, ou Sras (« Sars » dans sa version anglaise), ce qui correspond bien au tableau de la maladie associant quatre éléments : une poussée fébrile à au moins 38 °C ; un ou plusieurs symptômes d'affection des voies respiratoires basses (toux, gêne respiratoire, essoufflement) ; des signes radiologiques pulmonaires compatibles avec une pneumonie ou un syndrome de détresse respiratoire ; l'absence de tout autre diagnostic pouvant expliquer entièrement la maladie.

Lors de l'autopsie de M. Tse Chi Kwai, le fils de la patiente qui a importé le Sras à Toronto, des prélèvements des tissus respiratoires ont été effectués et envoyés dans un laboratoire canadien, ainsi qu'au Centre de contrôle des maladies d'Atlanta, le grand centre d'épidémiologie américain. Dans ces prélèvements, les scientifiques identifient, le 16 avril, un virus de la famille des coronavirus. Celui-ci est différent de ceux déjà connus qui sont responsables de rhinopharyngites banales et plusieurs laboratoires montreront qu'il s'agit bien de l'agent causal du Sras ; ils le baptisent Sras-CoV.

À l'heure actuelle, les spécialistes sont sûrs qu'une ou plusieurs espèces animales servent de réservoir à ce virus, passé accidentellement chez l'homme. Des petits mammifères, les civettes, que l'on vend pour leur viande sur des marchés chinois, sont soupçonnées, sans que des certitudes aient pu être acquises. En revanche, on sait que la maladie incube en moyenne 5 jours, avec une fourchette de 2 à 10 jours, et que la contagion se fait par les sécrétions respiratoires au moment où la personne présente des manifestations de la maladie, avec une contagiosité heureusement modérée. Les enfants ont peu été atteints. À l'inverse, beaucoup de cas ont été contractés en milieu hospitalier.

La flambée épidémique aura donc été jugulée en moins de six mois, en associant méthodes traditionnelles (isolement, quarantaine, etc.) et prouesses scientifiques. Cela s'est fait, cependant, au prix d'une crise internationale au coût colossal : plusieurs dizaines de milliards de dollars. Des secteurs entiers, comme le transport aérien – déjà fragilisé après les attentats du 11 septembre 2001 – ou le tourisme dans les régions les plus concernées, ont été touchés de plein fouet.

C'est pour cela que le monde s'est rapidement demandé avec inquiétude si le Sras n'était pas destiné à devenir une affection saisonnière, avec un ou plusieurs foyers permanents, à partir desquels le virus pourrait à nouveau essaimer. L'OMS et les autorités sanitaires nationales ont donc travaillé à un dispositif d'alerte et de réponse rapide, dont l'intérêt dépasse le seul Sras, puisqu'il pourrait permettre de réagir face à une pandémie de grippe ou d'une autre maladie infectieuse. Sans toutefois se bercer d'illusions. « Les caractéristiques cliniques non spécifiques du Sras, l'absence de test diagnostique rapide et fiable, capable de détecter le Sras-CoV dans les premiers jours de la maladie, et la survenue saisonnière d'autres affections respiratoires, notamment la grippe, peuvent compliquer la surveillance du Sras ou exiger un niveau de qualité et une intensité dont peu de systèmes de soins de santé dans le monde ont les moyens. Même avec les systèmes de surveillance les plus perfectionnés, le premier cas de Sras consécutif à la flambée pourrait échapper au dépistage précoce », reconnaît l'OMS.