Pour la première fois depuis sa création, le 7 avril 1948, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé une alerte sanitaire mondiale. Une procédure exceptionnelle justifiée par l'émergence d'une nouvelle maladie.

Sras, la planète en alerte

Paul Benkimoun
Journaliste au Monde

Le 12 mars 2003, l'institution internationale a eu recours à cette procédure exceptionnelle pour signaler « une forme grave et atypique de pneumonie au Viêt Nam, à Hongkong et dans la province de Canton, en Chine ». La maladie émergente que le monde va bientôt connaître sous le sigle Sras (pour « Syndrome respiratoire aigu sévère ») s'est répandue en quelques semaines à travers la planète par le truchement des voyages aériens. La flambée épidémique aura atteint 8 098 personnes, dont 1 707 membres des personnels soignants (21 %), et fait 774 décès, dont 349 en Chine, 299 à Hongkong, 43 au Canada et 37 à Taïwan.

Le « cas zéro »

1 707 victimes, dont 349 en Chine, 229 à Hongkong

Quatre mois après le lancement de l'alerte, le 5 juillet 2003, l'OMS déclarait interrompue la chaîne de transmission interhumaine du Sras. Durant cet intervalle, l'agent de la maladie, un membre jusqu'ici inconnu de la famille des coronavirus, aura été identifié et des tests de confirmation du diagnostic mis au point. Un délai court qui s'explique par la coopération internationale sans précédent contre la première nouvelle épidémie à l'âge de l'Internet. Tout commence vers la fin de l'année 2002 dans le sud de la Chine, dans la ville de Foshan, à 25 km au sud de la capitale de la province du Guangdong. Un homme d'affaires de quarante ans, dont l'activité professionnelle est de fournir des restaurants de poissons, présente un accès de fièvre le 16 novembre 2002. L'homme est hospitalisé et, au cours de son séjour, il contaminera quatre infirmières avant de guérir de sa mystérieuse affection. A posteriori, l'OMS l'identifiera comme le « cas zéro », duquel tout serait parti.

Un autre homme, vendeur de crevettes lui, contracte la maladie à Foshan et la disséminera à Canton. Un rapport chinois demande aux écoles, aux garderies et aux usines de mettre en quarantaine les personnes qui seraient infectées. L'avertissement est repris, le 27 novembre, par le Global Public Health Intelligence Network (GPHIN, Réseau global de renseignement sur la santé publique), qui surveille les phénomènes épidémiques dans le monde. Il n'entraîne cependant pas d'inquiétude particulière. À cette saison de l'année, les épidémies de grippe sont habituelles en Chine. La maladie continue pourtant de se développer. Le fils d'un ancien membre de l'OMS se trouve à Canton. Il y reçoit un courriel décrivant « une maladie contagieuse étrange ». On lui signale qu'elle a « déjà fait plus de cent morts » en une semaine dans la province du Guangdong. Il relaie le message auprès du bureau de l'OMS à Pékin avec une note indiquant que « l'épidémie ne doit pas être connue du public et médiatisée, mais sur place il y a un début de panique chez les gens, qui se ruent dans les pharmacies pour acheter tout ce qu'ils peuvent, pensant se protéger ».

Premier message d'alerte

C'est le cas d'un ressortissant américain qui alerte l'ambassade de son pays à Pékin à propos d'« une étrange maladie et de beaucoup de morts à Canton ». L'ambassade des États-Unis transmet l'information par téléphone, le 10 février, au bureau pékinois de l'OMS. Ce dernier répercute le jour même ces informations concordantes au bureau régional, installé à Manille (Philippines) et au siège de l'organisation à Genève. Le consulat du Japon à Canton rapporte lui aussi une épidémie de pneumonie atypique dans le sud de la Chine. Le 11 février, le ministère chinois de la Santé transmet à l'OMS un rapport décrivant une épidémie de 300 cas de syndrome respiratoire aigu, dont 5 mortels, dans la province du Guangdong, entre le 16 novembre et le 9 février. Un tiers de malades font partie du personnel soignant et six villes sont touchées. Trois jours plus tard, le 14 février, les autorités sanitaires chinoises précisent à l'OMS que le nombre de cas de pneumonie atypique diminue et que la situation est « en passe d'être contrôlée ». Il ne s'agit, selon elles, ni de la maladie du charbon, ni de la peste pulmonaire, ni de la leptospirose, ni d'une fièvre hémorragique. Sans attendre ces précisions, dès le 11 février, l'OMS diffuse un premier message d'alerte sur une maladie respiratoire mystérieuse et potentiellement mortelle via le réseau informatique ProMED, auquel 20 000 scientifiques à travers le monde sont gratuitement abonnés. Tout aurait pu s'arrêter là et l'épidémie rester circonscrite à la Chine. C'était sans compter avec un mariage à Hongkong.