La mollarchie iranienne en sursis ?

Contesté à l'intérieur par une société civile désormais visible à l'échelle internationale, contraint, à l'extérieur, de lâcher du lest sur le nucléaire et témoin impuissant de l'encerclement du pays parachevé par l'intervention américaine en Irak, le régime iranien paraît plus que jamais fragile.

Au printemps 2003, un événement est passé inaperçu : au cours du scrutin local, les réformateurs iraniens ont subi leur première défaite électorale depuis que leur chef, l'actuel président de la République islamique Mohammad Khatami, a accédé au pouvoir en 1997. Les Iraniens ont ainsi signifié leur lassitude quant à la lenteur des changements politiques dans un pays où les principaux leviers du pouvoir sont encore contrôlés par le clergé chiite conservateur et le Guide suprême de la révolution, l'ayatollah Ali Khamenei.

La « main » de l'étranger

De fait, le modèle iranien de « démocratie » islamique s'apparente encore à une théocratie dans laquelle un Parlement élu au suffrage universel et majoritairement réformateur ne dispose pas d'un pouvoir réel, et où les libertés politiques sont régulièrement bafouées. Les dignitaires religieux n'ont de cesse de vouloir museler une presse indépendante d'une extraordinaire vitalité. Et une répression souvent violente s'abat également sur la frange la plus politisée de la population, les intellectuels et les étudiants, qui réclament depuis 1999 l'instauration d'une véritable démocratie. Cet été encore, ils étaient des milliers à se rassembler autour de l'université de Téhéran contre le « despotisme religieux », en scandant également « Khatami, démission ! » Radicalisé, le mouvement tend désormais à rejeter l'ensemble de la classe dirigeante et, sur fond de crise économique, à gagner également les milieux plus défavorisés.

Le pouvoir iranien a classiquement dénoncé, dans ces troubles, une tentative de déstabilisation téléguidée de l'étranger, en pointant la couverture « trop bruyante » de cette contestation par les télévisions en farsi contrôlées par des Iraniens exilés aux États-Unis. Outre le rôle joué par la diaspora, le courant démocratique iranien a également acquis une visibilité internationale avec l'attribution du prix Nobel de la paix à l'avocate Chirine Ebadi. Cette internationalisation de la société civile, attachée à la défense des droits de l'homme et des libertés fondamentales, fragilise davantage un régime en position déjà inconfortable sur le plan international. L'intervention militaire anglo-américaine dans l'Irak voisin est venue parachever un processus de bouleversement géopolitique qui a débuté avec l'effondrement de l'URSS au début des années 1990.

Le chiisme dans le miroir irakien

La République islamique est désormais encerclée par le « Grand Satan ». Seul pays dans la région à avoir échappé à l'emprise américaine, l'Iran doit s'adapter à un nouveau rapport de forces. Placé début 2002 – pour le soutien qu'il apporterait aux groupes terroristes palestiniens et l'abri qu'il offrirait à certains membres d'al-Qaida – sur « l'axe du mal », Téhéran se préparait à expérimenter la nouvelle doctrine américaine de la « guerre préventive ». Cette éventualité semble désormais s'éloigner avec l'enlisement des troupes américaines en Irak et en Afghanistan. Et la deuxième guerre du Golfe n'a pas eu que des effets négatifs pour la République islamique : elle a mis à terre son principal ennemi extérieur dans la région, Saddam Hussein, et neutralisé les Moujahidine du peuple, seul mouvement d'opposition armée au régime de Téhéran, qui disposait de camps d'entraînement en Irak, tandis que les chefs politiques de cette organisation ont été arrêtés en France.

En outre, « l'après-Saddam » annonce la renaissance de Nadjaf, qui pourrait reprendre sa place de première ville sainte du chiisme, après avoir été asphyxiée du temps du baasisme. Cette nouvelle donne est à double tranchant pour les mollahs de Qom, l'autre capitale (iranienne) de l'islam chiite. Si l'influence du chiisme ne peut que s'étendre dans la région, il est moins sûr que les théories concernant la mainmise des religieux sur les affaires publiques élaborées par les Iraniens s'imposent en Irak. Leurs coreligionnaires irakiens récusent plus ou moins clairement la légitimité d'un pouvoir absolu exercé par le clergé. Et certains ayatollahs « dissidents » ont, d'ores et déjà, rejoint Nadjaf en signe de protestation contre l'actuel régime iranien. C'est notamment le cas du très populaire petit-fils de Khomeyni, Hussein, qui a appelé à la séparation de la religion et de l'État et qualifié l'actuel régime de Téhéran comme la « pire des dictatures ». L'émergence en Irak d'un centre du chiisme modéré pourrait donc contribuer à remettre en cause le pouvoir du clergé en Iran.

L'Iran, puissance nucléaire ?

Encerclé, le régime iranien a peut-être la tentation de mettre au point une bombe atomique, comme s'en inquiète, depuis l'été 2003, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Lié depuis 1974 par le Traité de non-prolifération (TNP), l'Iran aurait développé un programme nucléaire civil et militaire. Sollicitées à plusieurs reprises au cours de l'été par l'organisation onusienne afin de signer, entre autres, le protocole additionnel au TNP permettant à ses inspecteurs d'effectuer des visites inopinées sur certains sites suspects, les autorités iraniennes ont refusé d'accéder à cette demande en espérant, selon certains observateurs, que ce refus déclencherait des attaques américaines ciblées, lesquelles permettraient de consolider un régime de plus en plus contesté. C'est finalement le scénario diplomatique qui semble s'être imposé avec la visite à Téhéran – dix jours avant l'expiration de l'ultimatum de l'AIEA conduisant éventuellement à la saisine du Conseil de sécurité – d'une troïka européenne inédite, rassemblant les ministres des Affaires étrangères français, britannique et allemand. Ceux-ci sont revenus avec un accord selon lequel les Iraniens se sont engagés à garantir le caractère purement civil de leurs activités nucléaires, en contrepartie d'une coopération internationale en la matière. Salué avec prudence, en particulier par les États-Unis, ce « pas positif », qui devra être suivi d'effets, témoigne sans doute de la volonté de Téhéran de s'acheter un certificat de bonne conduite aux yeux de la communauté internationale.