Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Les Britanniques toujours sceptiques face à l'euro

Dans un discours prononcé le 9 juin à la Chambre des communes, le chancelier de l'Échiquier, Gordon Brown, a dénié à l'économie britannique la capacité de rallier à court terme la zone euro.

S'il a donc été une fois encore reporté, cet objectif s'inscrit néanmoins toujours à l'horizon du mandat de Tony Blair, qui s'est engagé personnellement en faveur de l'adoption de la monnaie européenne. Après la participation controversée de l'armée britannique à la guerre contre l'Irak, c'est un nouveau défi que devra relever le Premier ministre, en ayant raison du scepticisme tenace de l'opinion à l'égard de l'euro, qui doit faire l'objet d'un référendum dont le cadre sera défini à l'automne, et plus généralement de l'Europe.

Un échec pour Tony Blair

L'euro ne fait toujours pas recette en Grande-Bretagne. Se faisant l'écho des réserves de l'opinion et d'une grande partie de la classe politique britannique à l'égard de la monnaie européenne entrée en circulation dans douze pays de l'UE depuis le 1er janvier 2002, le chancelier de l'Échiquier Gordon Brown a annoncé dans un discours prononcé le 9 juin devant la Chambre des communes que la Grande-Bretagne n'était pas encore prête pour une adhésion au club de l'euro, faute de satisfaire pleinement aux cinq critères économiques et financiers que le royaume s'était fixés en octobre 1997 comme conditions de son intégration. Le verdict délivré par le ministre britannique des Finances est un mauvais coup pour le Premier ministre Tony Blair. Intervenant à mi-mandat, l'annonce de Gordon Brown, qui renvoie à des jours meilleurs la tenue d'un référendum maintes fois reporté sur l'adhésion à la monnaie européenne, se présente en effet comme un désaveu des grands choix européens du chef du New Labour, qui bute décidément sur cette question de l'euro, qui résiste à ses talents reconnus de grand communicateur. En 1999 déjà, Tony Blair avait lancé à mi-parcours de son premier mandat une première campagne pour l'euro, qui était passée par pertes et profits de la campagne électorale. Cette fois encore, le report annoncé semble remettre en cause le processus d'intégration européenne qu'appelle de ses vœux le Premier ministre, même si, officiellement, Gordon Brown n'a pas fermé la porte du club de l'euro. Procédant d'un laborieux compromis avec son chancelier de l'Échiquier, aux côtés duquel il s'affichait le 10 juin lors d'une conférence de presse visant à sauver les apparences d'une unité de vue sur les questions européennes, la décision de Tony Blair de temporiser s'assortit en effet de la possibilité toujours offerte aux Britanniques de se prononcer sur l'adhésion à l'euro lors d'un référendum qui fera l'objet d'un projet de loi prévu pour l'automne 2003. Le ministre des Finances lui-même, qui ne passe pas pour un Européen convaincu, a chanté les louanges de l'euro, dont il a souligné les avantages – notamment une baisse des taux d'intérêt et un doublement des échanges avec la zone euro en trente ans – pour une économie britannique qui ne donnerait pas encore pleine satisfaction dans 4 des 5 tests économiques constituant l'examen de passage à la monnaie européenne. Encore faut-il en convaincre les Britanniques, qui semblent moins prêts que leur économie à se mettre à l'heure de l'euro.

Un euroscepticisme largement partagé

C'est là un nouveau défi pour Tony Blair, qui a réaffirmé son « désir d'euro » et sa volonté de voir la Grande-Bretagne s'inscrire au « cœur de l'Europe » en laissant enfin la livre sterling se fondre dans la monnaie européenne, contre vents et marées d'un euroscepticisme insulaire qui transcende les clivages politiques et s'exprime avec force dans la presse populaire. Après avoir essuyé la tempête provoquée jusque dans les rangs travaillistes par son engagement aux côtés des Américains dans la guerre contre l'Irak, le chef du New Labour doit cette fois affronter le manque d'enthousiasme des sujets de la Couronne à l'égard d'une intégration plus poussée à l'UE. La chute rapide du régime de Saddam Hussein n'a laissé qu'un court répit à Tony Blair, qui doit à présent rendre des comptes sur la légitimité d'une guerre qu'il avait justifiée par la nécessité de neutraliser un programme irakien d'armes de destruction massive toujours introuvables, au risque de se brouiller avec ses partenaires allemands et français au sein d'une Europe qui sort profondément divisée du conflit et dans laquelle il prétend cependant redonner à la Grande-Bretagne un rôle central. Des contradictions qui ne sont guère de nature à insuffler aux Britanniques le désir d'Europe affiché par Tony Blair, sur lequel les tabloïds tirent à boulets rouges. Le chef du New Labour semble pourtant prêt à relever le défi et à s'engager dans cette nouvelle bataille sur le double front de l'euro et de la Convention européenne, qui fédère les eurosceptiques désireux d'en découdre avec le gouvernement travailliste. Alors que s'éloigne la perspective d'un référendum sur l'euro, ceux-ci militent en faveur de la tenue d'un référendum sur la future Constitution européenne, dont les principes devaient être approuvés le 20 juin à Thessalonique, à la plus grande satisfaction de Tony Blair, qui a estimé avoir obtenu gain de cause sur les objections qu'il avait soulevées auprès de Valéry Giscard d'Estaing, le président de la Convention. Le Premier ministre, qui s'est félicité d'un texte qui donnerait raison à Londres sur « tous les principaux dossiers », singulièrement sur la question du maintien du vote à l'unanimité et donc de son droit de veto en matière de fiscalité, de diplomatie et de défense, ne voit pas l'utilité d'un référendum sur la Convention. Et il ne désespère pas de convaincre les Britanniques que le passage à l'euro constituerait une autre victoire pour la Grande-Bretagne.