Journal de l'année Édition 2004 2004Éd. 2004

Vote de dépit en Israël

La victoire électorale d'Ariel Sharon ne traduit pas l'efficacité d'un programme, mais la fatalité d'une situation.
La reconduction au pouvoir du Likoud illustre le désarroi des électeurs tentés par le repli sécuritaire en raison de l'absence de perspectives de paix, sentiment que partagent les Palestiniens.

Victoire ambiguë du Likoud, défaite annoncée du Parti travailliste, percée inattendue d'un parti champignon, le Shinouï : les résultats des élections législatives du 28 janvier reflètent assez fidèlement l'impasse dans laquelle se trouve aujourd'hui Israël. Impasse d'autant plus grave que les urnes ne semblent pas être, précisément, le moyen d'en sortir. Les électeurs en sont conscients : le taux de participation – 67,8 % – est le plus bas jamais enregistré depuis la création de l'État hébreu. Comme si ce scrutin ne pouvait en aucune façon contribuer au règlement des problèmes économiques et de sécurité auxquels se trouve confronté Israël.

La formation du Premier ministre Ariel Sharon remporte 29,4 % des suffrages et 38 sièges sur 120 à la Knesset contre 19 lors du dernier scrutin de mai 1999 – mais l'aile gauche du parti, conduite par David Lévy et Dan Meridor, faisait alors cavalier seul. Le Parti travailliste, conduit par Amram Mitzna, enregistre son plus mauvais résultat en ne recueillant que 14,5 % des voix et n'obtenant que 19 élus, soit six de moins que dans le Parlement sortant. C'est toute la gauche qui subit un revers. Ainsi, le parti laïque et pacifiste Meretz de Yossi Sarid, avec 5,2 % des suffrages, ne dispose plus que de 6 élus, perdant quatre sièges. Grand bénéficiaire de la consultation, le parti de centre droit ultralaïque Shinouï, dirigé par Tommy Lapid, devient la troisième formation du pays avec 12,3 % des voix et 15 élus, soit 9 de mieux qu'en 1999. À droite, la formation regroupant les religieux orthodoxes séfarades, le Shass, est en recul avec 11 élus – il en perd 6. Les russophones d'extrême droite de l'Union nationale et les religieux ultranationalistes du Parti national religieux se maintiennent avec respectivement 7 et 6 élus – 1 de mieux dans ce dernier cas. Avec 9 élus, les partis arabes perdent 1 siège.

Des élections pour rien ?

Quatrième consultation depuis 1996, les élections du 28 janvier étaient de nouveau des élections anticipées. Le Premier ministre avait décidé d'en avancer la convocation de dix mois après le retrait des travaillistes du gouvernement d'union nationale, en octobre 2002, de façon à ne pas demeurer l'otage de l'extrême droite, seule force politique lui permettant désormais de disposer d'une majorité à la Knesset. Or les travaillistes avaient promis, durant la campagne, de ne pas participer à un nouveau gouvernement d'union nationale avec le Likoud. Paradoxalement, la large victoire de ce dernier – et surtout la cuisante défaite des travaillistes – n'offre pas d'autre solution à Ariel Sharon que de pactiser de nouveau avec la droite extrême et religieuse. Alors : des élections pour rien ?

En Israël comme ailleurs, la guerre ne constitue décidément pas un terreau idéal pour le développement de la démocratie. Chaque candidat à la direction des affaires, qui promet la paix à ses concitoyens, est finalement jugé en fonction de sa capacité à assurer leur sécurité, objectif qui nécessite l'usage de moyens généralement fort étrangers à la fin initialement décidée. Lors de son élection, en janvier 2001, Ariel Sharon avait à son tour promis cette paix que les travaillistes conduits par Ehoud Barak venaient d'échouer à mettre en œuvre. Deux ans plus tard, son action à la tête du gouvernement a abouti à la reconquête par l'armée de larges portions des territoires palestiniens autrefois autonomes, au prix d'un bilan humain qui, en 2002, aura atteint des records. Tout le paradoxe de la vie politique israélienne réside dans cette contradiction. Alors que la majorité des Israéliens continuent d'approuver les propositions travaillistes de règlement de paix, ces mêmes électeurs reconduisent à la tête du gouvernement Ariel Sharon, seul susceptible à leurs yeux de faire face à l'urgence de la situation que sa politique a largement contribué à créer.

Priorité à la sécurité

Exaspérés par la menace continuelle que font peser les attentats sur leur vie quotidienne, désemparés par l'absence de perspectives à court terme, tentés par le repli identitaire, les électeurs se sont donc tournés vers le seul parti dont la ligne paraît en phase avec la situation que connaît le pays : le Likoud et son programme accordant la priorité à la sécurité et prônant s'il le faut la séparation physique des communautés. Ce même désarroi et cette même absence d'espoir de paix conduiraient certainement aujourd'hui les Palestiniens, s'ils y étaient invités, à plébisciter Yasser Arafat, qui demeure, comme Ariel Sharon, l'homme des périodes de crise. Dans l'angle opposé de l'échiquier politique, un candidat peu connu et un programme très marqué à gauche, alors que les travaillistes sortaient de vingt mois de cogestion des affaires avec la droite, ne conféraient pas à la formation des pères fondateurs d'Israël une très grande crédibilité. Le dépit a jeté certains électeurs dans les bras du Shinouï, un parti démagogue aux positions centristes, qui exalte une image passée d'un Israël riche, stable et souverain.