Tous les ans, c'est la même chose : on clame que l'année finie n'a rien à voir avec celles qui ont précédé.
C'est souvent exagéré. Cependant, 2003 aura dérogé à la règle.

2003, l'année de tous les dangers

Didier Méreuze
Journaliste à la Croix

Si la création s'est montrée aussi riche que par le passé, ses douze mois auront été ceux de tous les dangers, marqués par la crise des intermittents qui a conduit à l'annulation du plus prestigieux des festivals de théâtre : Avignon. Du jamais vu ! Pourtant, 2003 avait superbement commencé avec Peter Brook qui reprenait en français, au Théâtre des Bouffes du Nord, la mise en scène qu'il avait créée en anglais quelques mois plus tôt. Taillant dans le texte, redécoupant des scènes, il ramenait la tragédie shakespearienne à l'essentiel. Aux côtés du Jamaïcain Adrian Lester (Hamlet), on retrouvait les comédiens habituels de Brook, tels l'Américain Bruce Meyers et l'Africain Sotigui Kyouaté...

Quinze jours plus tard, Patrice Chéreau se confrontait à Phèdre de Racine, après cinq ans d'absence des plateaux de théâtre. Un événement ! Inaugurant la nouvelle salle du Théâtre national de l'Odéon (les anciens entrepôts de l'Opéra de Paris, boulevard Berthier), Chéreau a signé un spectacle éblouissant de violence dense et magnifique. Sous un éclairage crépusculaire de fin du monde, toutes les passions, toutes les pulsions se donnaient libre cours. Vêtus pour la plupart de grands manteaux intemporels, les comédiens donnaient aux vers une existence étonnamment charnelle, au contact direct avec les spectateurs. Le rôle-titre devait être tenu par Isabelle Adjani. Cette dernière ayant déclaré forfait, Chéreau a fait appel à Dominique Blanc, actrice en communion permanente avec le reste de la distribution.

Permanence de la tragédie

Pendant que Phèdre triomphait à Paris, une autre tragédie de Racine résonnait avec une force égale à Nanterre : Andromaque, mise en scène par Jean-Louis Martinelli. Là encore, les spectateurs étaient installés des deux côtés du plateau. Là encore, la distribution se révélait exceptionnelle dans sa maîtrise des vers comme des silences auxquels ne répondait que le bruit lointain du ressac de la mer. Habillés « à l'antique », revu et corrigé par le xviie siècle, les comédiens semblaient surgir de tableaux de maître, se consumant sans fin sur l'or du sable répandu sur le sol.

De quoi instituer 2003 l'année de la tragédie ? En partie. Tandis qu'à Lyon l'Italien Luca Ronconi installait le Prométhée enchaîné d'Eschyle dans le cadre prestigieux du Théâtre antique de Fourvière, Médée était triplement célébrée à Paris et dans la région parisienne. Au Théâtre du Rond-Point se jouait la Médée Kali de Laurent Gaudé, créée par Myriam Boyer, incandescente. Au Théâtre des Amandiers de Nanterre, la Médée de Max Rouquette, éclairée aux couleurs de l'Afrique par Jean-Louis Martinelli, poursuivait avec des comédiens et des musiciens du Burkina son interrogation sur le tragique commencée avec Andromaque. À Chaillot, c'était la Medea d'Euripide, mise en scène par Deborah Warner. Interprété en anglais, surtitré en français, le spectacle était porté par une actrice fabuleuse : Fiona Shaw. Comme surgie d'un film de Ken Loach, cette dernière était « lionne folle de rage », et simple femme, emportée par ses pulsions animales et sauvages, prête à tout.

Les leçons du théâtre étranger

Dans ce même Théâtre national de Chaillot, on a pu retrouver Fiona Shaw, toujours mise en scène par Deborah Warner, avec The Power Book. Accompagnée des comédiennes Pauline Lynch et Saffron Burrows, elle menait sur les pistes du réel et du virtuel la double histoire d'une passion entre deux femmes et d'une vie qui veut devenir roman. Utilisant ordinateurs et écrans vidéo, le spectacle tenait de la magie.

Une vraie leçon de théâtre, et ce n'est pas la seule que les metteurs en scène venus de l'étranger auront donnée plusieurs fois cette année. À commencer par le Russe Piotr Fomenko, invité du Festival d'Automne et du Théâtre des Gémeaux à Sceaux avec Nuits égyptiennes d'après Pouchkine. Interprété en russe (surtitré en français) par des acteurs pour la plupart formés dans l'« atelier » du « maître » à Moscou, cette célébration du théâtre, plus fort que la vraie vie, s'accompagne d'un jeu à la grâce et à l'évidence permanentes.