Même si la nouvelle semble déjà ancienne, c'est il y a un an à peine, au premier janvier 2002, que la France a officiellement troqué sa monnaie, le franc, contre une nouvelle devise européenne, l'euro.

La révolution monétaire de l'euro

Françoise Lazare
Journaliste au Monde

Les craintes suscitées par l'idée d'un tel changement étaient très fortes, et d'aucuns pressentaient que le pis allait forcément arriver. Les personnes âgées ne s'y feraient jamais, les enfants n'y comprendraient rien, les entreprises ne seraient jamais prêtes à temps. Sans parler des arnaques prévisibles dans les magasins, des braquages inévitables de camions chargés de nouveaux billets... En fait, en peu de temps, les pièces et les billets d'euros ont envahi les portefeuilles, et, quelques mois plus tard, on n'entend plus guère parler du franc.

Le franc disparu, déjà presque oublié

– La création du franc français remonte à 1360, époque de longs conflits avec l'Angleterre, qui avaient beaucoup détérioré la santé financière de la France. Le monarque Jean le Bon (1350-1364) choisit d'émettre de nouvelles pièces d'or portant l'inscription Francorum Rex (franc étant alors synonyme de libre). Auparavant, diverses appellations (sou, livre, écu, denier) avaient été données aux pièces d'or ou d'argent.

Après la Révolution de 1789, les pièces d'or ou d'argent furent remplacées par des assignats révolutionnaires, un papier-monnaie théoriquement gagé sur la valeur future des biens nouvellement nationalisés. Mais leur valeur s'effondra rapidement, tandis qu'une hyperinflation se développait. Ce n'est qu'en 1795 qu'une nouvelle devise, le franc germinal, apparut pour participer à l'élimination des assignats. De là, le mot franc allait survivre jusqu'à l'euro, malgré les conflits et changements de régime successifs.

– En 1803, les premiers véritables billets de banque apparurent, peu après la création de la Banque de France, unique émetteur. Le franc fut dévalué de 80 % par le Premier ministre Raymond Poincaré en 1928, rattaché à l'or dans le système monétaire international de Bretton Woods, amputé de deux zéros avec le nouveau franc de 1960, rallié à plusieurs autres monnaies européennes avec la création du SME (système monétaire européen) en 1979. La tête de Marianne (symbole de la Révolution) fut parfois redessinée, mais est toujours restée présente, jusque sur la face nationale des pièces de un, deux et cinq centimes d'euro. La semeuse, autre figure mythique, apparaît sur les pièces de 10, 20 et 50 centimes d'euros. Aucun attribut national ne figure en revanche sur les 7 types de billets, caractérisés par leur taille croissante en fonction de leur valeur. Ils reproduisent au verso une série de ponts stylisés, censés représenter les liens entre les membres de la zone.

Mobilisation des agences de communication

« L'euro, c'est plus facile ensemble »
8 milliards de nouvelles pièces, soit plus de 30 000 tonnes de métal

À l'été 2001, confrontées à la mauvaise humeur et à la faible motivation des citoyens, les nombreuses agences de communication mobilisées avaient cherché à convaincre le public du bien-fondé du passage à l'euro, comparant la transition à un grand événement sportif qu'il s'agissait de remporter à tout prix.

Plusieurs banques assuraient par exemple à leurs clients qu'elles allaient « leur faire gagner le défi de l'euro ». Le succès de la Coupe du monde de football en 1998 était encore proche, la défaite de 2002 n'avait pas encore eu lieu. Sur les écrans de télévision, une écolière prénommée Lise répétait avec conviction que « l'euro, c'est plus facile ensemble ». Des opérations spéciales étaient organisées au profit des « populations fragiles », enfants, personnes âgées, malvoyants. Des Monopoly-euro, avec Paris choisie comme capitale la plus luxueuse de l'Europe, étaient mis en vente dans les magasins de jouets.

À la rentrée 2001, les entreprises établissaient les feuilles de paie dans les deux monnaies, les banques en faisaient de même avec les relevés de compte de leurs clients. Puis, en décembre, des « sachets premiers euros » d'une valeur de 100 francs (15 euros) étaient mis en vente, même si pièces et billets ne pouvaient encore être utilisés. Les commerçants, approvisionnés en « kits » de 222 euros, s'exerçaient avec angoisse à manier deux fonds de caisse différents, car pour une période de six semaines il était prévu que francs et euros auraient tous deux cours légal. Des calculatrices-convertisseurs d'euro avaient fait leur apparition dans les entreprises et chez les commerçants. De nombreux Français s'évertuaient à opérer de tête la complexe conversion (un euro = 6,559 57 francs), en ajoutant par exemple la moitié du prix en francs, puis en divisant par dix (100 francs deviennent 150 puis 15 euros). Les Français découvraient aussi le logo de la nouvelle devise, un Epsilon grec remis au goût du jour par le graphiste Robert Kalina. À la surprise générale, au 1er janvier 2002, la nouvelle monnaie entrait finalement sans encombre dans les consciences et les porte-monnaie. Le plus souvent à travers les distributeurs de billets, miraculeusement approvisionnés en euros pendant la nuit du réveillon. Depuis plusieurs semaines, les banques et la plupart des commerces avaient reçu leur quota de nouvelles pièces et de billets, en provenance de Pessac pour les premières (usine de la Direction des monnaies et médailles, située en Gironde) et de Chamalières pour les seconds (établissement de la Banque de France chargé, avec la papeterie de Vic-le-Comte, de l'impression des 2,5 milliards de nouveaux billets). Au fil du temps, les 8 milliards de nouvelles pièces (pesant plus de 30 000 tonnes, soit environ quatre fois le poids de la tour Eiffel) devaient s'avérer trop nombreuses, mais mieux valait éviter tout risque de pénurie...

« Assécher les francs »

Au lancement de l'euro, un « bas de laine » évalué à 150 milliards de francs
Février 2012 : fin de la conversion gratuite des billets en francs