Journal de l'année Édition 2003 2003Éd. 2003

Bali, une saison touristique en enfer

Le 12 octobre, l'explosion d'un fourgon piégé devant une discothèque de Kuta Beach, au sud de Bali, fait au moins 190 morts, surtout des touristes australiens. Ce carnage semble confirmer que l'Asie du Sud-Est constitue un front majeur de la guerre contre le terrorisme islamiste.

La saison touristique bat son plein le 12 octobre à Kuta Beach quand une série d'explosions secouent cette station balnéaire fréquentée surtout par des touristes anglo-saxons. Devant le Sari Club, qui n'est plus qu'un amas de pierres et de tôle, une énorme crevasse atteste la violence de l'explosion. Les sauveteurs retireront des dizaines de corps atrocement mutilés des décombres de la discothèque, des dizaines d'autres n'ayant pu être identifiés.

La piste des milieux islamistes

L'ampleur du bilan – au moins 190 morts et des centaines de blessés, en majorité des Australiens – contraindra le gouvernement indonésien à prendre des mesures immédiates contre les milieux islamistes, sur la piste desquels conduira aussitôt l'enquête. Sous le feu des critiques de la communauté internationale, qui jugent le laxisme des autorités indonésiennes à l'égard des islamistes d'autant plus impardonnable qu'elles auraient été prévenues par les services américains, depuis le mois d'août, de l'imminence d'une attaque terroriste, la présidente Megawati Sukarnoputri ne peut plus se permettre d'ignorer les militants radicaux de l'islam sous prétexte de ménager une opinion publique sensible aux prédications des oulémas intégristes et animée par une hostilité croissante envers les Américains. Mme Sukarnoputri, qui avait été le deuxième chef d'État à être reçu par G. W. Bush au lendemain des attentats de New York et de Washington, avait offert à son homologue américain le soutien de son pays et en avait obtenu l'assurance, à l'attention de l'opinion indonésienne, que la guerre annoncée contre le terrorisme n'était pas dirigée contre le monde musulman. La nouvelle conjoncture internationale risquait de mettre le feu aux poudres dans une Indonésie au climat délétère, où la crise économique persistante amplifie les risques d'implosion liés aux tensions interethniques. Mais le premier État musulman de la planète semblait avoir résisté à l'épreuve, laissant espérer aux autorités que l'alarme était passée. Les islamistes ont pourtant relevé le défi américain avec une violence sans précédent dans la région, déjà affectée par les activités terroristes des séparatistes musulmans du groupe Abu Sayyaf, au sud des Philippines. Là aussi, ces activistes s'en étaient pris à des touristes occidentaux, dont une vingtaine avaient été retenus en otages deux ans plus tôt au large de Bornéo et détenus dans l'île de Jolo jusqu'à ce qu'ils soient libérés contre une forte rançon.

Le paradis transformé en enfer

En s'en prenant à Bali, la seule île majoritairement hindouiste de l'archipel indonésien, les auteurs de l'attentat ont délibérément attaqué l'un des rares symboles d'une cohabitation harmonieuse entre communautés, transformant en enfer le paradis touristique balinais, qui représente, plus pragmatiquement, une importante source de devises pour l'économie malade du pays. Frappée de plein fouet par les ondes de choc tardives du 11 septembre, l'Indonésie ne peut plus se contenter de déclarations d'intentions face à cette surenchère de violences et ne peut se dérober à ses obligations devant la communauté internationale. Longtemps montrée du doigt par les Américains, qui l'ont inscrite sur leur liste noire des organisations terroristes les plus nuisibles, la mystérieuse Jemaah Islamiyah (Communauté islamique) militant en faveur de la création d'un grand État musulman dans le Sud-Est asiatique est au cœur de tous les soupçons, et son leader présumé, Abou Bakar Baashir, un ouléma dirigeant une école coranique à Solo, est placé en détention début novembre, tandis que l'enquête débouche assez vite sur l'arrestation des auteurs directs présumés de l'attentat. Au-delà, les soupçons se portent sur al-Qaïda, mais le fil de l'enquête semble devoir s'arrêter à une poignée d'activistes locaux, illustrant le caractère très cloisonné de l'organisation. Car, si l'attentat de Kuta Beach s'inscrit dans une dynamique « internationaliste » du terrorisme islamique, la logique et les enjeux en sont aussi nationaux. En visant des Australiens, l'attentat a frappé la puissance régionale à laquelle les islamistes ne pardonnent pas d'avoir parrainé le processus d'indépendance de la population chrétienne du Timor-Oriental. En s'attaquant à l'Occident, les auteurs de l'attentat ont cherché bien sûr à mettre en difficulté le gouvernement indonésien, qui ne pourra plus compter pendant un temps sur les revenus du tourisme et dont la coopération avec le FMI, qui lui octroyait en août de nouveaux crédits, est de plus en plus critiquée. Au nombre, enfin, des victimes de Kuta Beach, il faut inclure le processus de démocratisation en cours à Djakarta, où l'Assemblée consultative du peuple (MPR) a franchi un pas décisif le 10 août en décidant que les prochains président et vice-président seraient élus au suffrage universel en 2004. Des échéances électorales limitant la marge de manœuvre du pouvoir, qui ne veut pas se risquer à attaquer de front la mouvance islamiste.