Journal de l'année Édition 2003 2003Éd. 2003

Le gouvernement autrichien met fin à l'expérience populiste

Les dissensions profondes déchirant le parti de la droite populiste associé aux conservateurs au sein d'une coalition très controversée au pouvoir à Vienne depuis février 2000 ont eu raison du gouvernement du chancelier Wolfgang Schüssel.

Sous la pression des radicaux de son parti emmenés par Jörg Haider, la vice-chancelière Susanne Riess-Passer démissionne le 8 septembre, entraînant l'éclatement de la coalition. Plutôt que de poursuivre en l'état l'expérience aventureuse d'une alliance avec la droite populiste, le chancelier conservateur opte pour de nouvelles élections législatives, fixées au 24 novembre.

La crise couvait depuis plusieurs mois à Vienne, et était inscrite d'ailleurs dans l'acte de naissance même de la coalition associant depuis février 2000 le parti conservateur ÖVP à la droite populiste rassemblée sous la bannière du parti de la Liberté (FPÖ, extrême droite). Régulièrement secouée par les frasques de Jörg Haider, qui, depuis son poste de gouverneur de Carinthie, continuait à tirer les ficelles d'un parti dont il a officiellement quitté la direction, la coalition au parfum de scandale ne semblait tenir que par l'obstination du chancelier conservateur Wolfgang Schüssel, à l'origine de cette alliance controversée. Pourtant, le chancelier n'aura pas à se dédire, en revenant sur une décision politique qu'il s'est entêté à assumer, comme par provocation, malgré l'opprobre international et les menaces d'ostracisme qu'elle lui a valus.

Un FPÖ déchiré par des luttes intestines

Les dissensions internes du FPÖ, déchiré depuis de longs mois entre un noyau radical résolument à son aise dans l'opposition et une frange libérale et pragmatique, plus apte au compromis, épargneront à M. Schüssel cet exercice d'autocritique, en réussissant là où avaient échoué les gigantesques manifestations de rue de l'opposition autrichienne et les pressions de la communauté internationale : faire tomber un gouvernement en perte de popularité en débarrassant au passage les conservateurs de partenaires devenus d'autant plus encombrants qu'ils multipliaient les obstacles à la mise en œuvre des réformes. En présentant le 8 septembre sa démission du gouvernement, pour se soustraire, a-t-elle expliqué, aux pressions devenues insupportables de Jörg Haider et des radicaux du FPÖ dont elle est pourtant la présidente en exercice, la vice-chancelière allait provoquer l'éclatement de la coalition au pouvoir. Comme le ministre des Finances Karl-Heinz Grasser, lui aussi démissionnaire, dans le collimateur de J. Haider pour ses positions plus modérées, elle avait refusé obstinément d'honorer l'une des promesses électorales du parti d'extrême droite, c'est-à-dire la baisse des impôts à partir de 2003. Mme Riess-Passer voulait éviter un congrès extraordinaire du FPÖ qui aurait désavoué la ligne politique du gouvernement sur ce point comme sur l'élargissement à l'Est de l'UE, soutenu par l'équipe gouvernementale et auquel les amis de M. Haider sont farouchement opposés. Mais les dissensions étalées par le parti populiste étaient devenues « difficilement supportables pour l'opinion publique », selon M. Grasser qui a soutenu la vice-chancelière tout au long de cette crise dont le chancelier Schüssel refusera qu'elle se règle par un compromis permettant le maintien de la coalition. Car après le départ du gouvernement de ses deux ténors, le FPÖ comptait encore cinq ministres et secrétaires d'État, dont celui en charge de la défense. Le chancelier avait donc la possibilité de remanier son gouvernement en acceptant deux candidats ministres proposés par J. Haider, qui tablait d'ailleurs sur un tel scénario pour imposer plus efficacement sa politique dans le gouvernement. Mais déjouant les attentes du leader populiste, et prenant de court une opposition sociale-démocrate qui misait sur un prolongement de la crise débouchant sur des élections anticipées au printemps 2003, au lieu de l'automne 2003, comme le prévoyait le calendrier électoral, M. Schüssel optera pour l'autre solution, qui consistait à présenter la démission de son équipe au président Thomas Klestil et à précipiter l'échéance.

La fin d'une expérience aventureuse

Il s'exécutera dès le 9 septembre, signant du même coup la fin de l'alliance avec la droite populiste pour laquelle il n'exprimera d'ailleurs aucune sorte de remords. Après avoir suscité un tollé en Autriche et en Europe pour avoir été le premier responsable politique de l'UE à faire entrer au gouvernement une formation incluant des éléments d'extrême droite, il se flatte désormais d'être le premier à avoir interrompu cette expérience à haut risque. Avec une certaine discrétion, certes, car si M. Schüssel compte bien engranger les dividendes de cette rupture, dont il rejette d'ailleurs la responsabilité sur M. Haider, lors des élections fixées au 24 novembre, il n'exclut pas de s'allier à nouveau au FPÖ si ce dernier choisit une ligne plus modérée. Dopé par des sondages qui, après avoir sanctionné son gouvernement, soulignent l'adhésion de l'opinion à sa décision d'anticiper le scrutin, le chancelier se déclarait en tout cas prêt à se soumettre à l'épreuve des urnes, même si la nostalgie de l'époque plus sereine de la grande coalition entre socialistes et conservateurs commence à se fait sentir dans l'électorat. L'ambition du chancelier semble toutefois peu compatible avec les exigences de l'opposition de gauche, qui rechigne à revenir à une grande coalition avec ses anciens partenaires conservateurs de l'ÖVP s'ils ne se sont pas choisis un autre chef de file. Disposant depuis des mois d'une cote stable de 35 %, les socialistes du SPÖ sont sensibles à d'autres précédents que ceux dont se réclame le chancelier sortant, suivi peu après par les conservateurs néerlandais, en divorce eux aussi avec leurs éphémères partenaires populistes : envisageant une coalition avec les Verts, crédités de 12 à 14 %, ils comptent bien profiter du renversement de tendance observé depuis peu en Europe et espèrent rééditer dans les urnes l'exploit des socialistes suédois et allemands.