Le sommet de Johannesburg

Dix ans après Rio et l'apparition de la notion de développement durable comme principe directeur de politique internationale (croissance économique compatible avec le respect de l'environnement et le progrès social), le président sud-africain Thabo Mbeki a inauguré le Sommet mondial du développement durable à Johannesburg le 26 août 2002.

Un agenda chargé, 195 pays présents, plus de 100 chefs d'État, 7 000 ONG, des associations, de nombreux syndicats. Les représentants de la société civile tiennent en « off » leur contre-sommet, espérant influer sur la rédaction du texte final. Mais les regards sont tournés vers un absent de taille : le président Bush n'a pas daigné faire le voyage en Afrique du Sud et a dépêché son secrétaire d'État Colin Powell.

Cette chaise vide laisse à l'Europe un rôle à jouer dans le rééquilibrage des clivages Nord-Sud. Le président Chirac l'a bien compris qui a décidé de rester sur place deux journées entières et s'est fait accompagner d'une des plus importantes délégations (trois ministres, une vingtaine d'élus). À l'heure de la mondialisation, ces rendez-vous internationaux permettent d'entretenir la prise de conscience d'une nécessaire coexistence dans la gestion politique entre l'échelon global et le local. Grande nouveauté, le secteur privé s'est invité au sommet et les représentants des plus grosses multinationales ont tenu à participer aux débats. Les entreprises sont présentes partout, sur les stands, dans les coulisses. Le Sommet de la Terre a d'ailleurs été rebaptisé pour l'occasion « Sommet mondial du développement durable, des entreprises du monde entier ». De l'américain Coca-Cola au réassureur Swiss Ré, des Trois Suisses à Monoprix, chacun rivalise de preuves de bonne conduite pour gagner ses galons de protecteur de l'environnement.

« De minces avancées depuis Rio »

Il faut dire que les attentes sont grandes. À Rio en 1992, les différents États industrialisés s'étaient engagés à respecter un certain nombre de protocoles. Dix ans plus tard, les mêmes sujets d'inquiétude sont inscrits à l'agenda de Johannesburg : le réchauffement climatique, la trop grande concentration de dioxyde de carbone dans l'air, les émissions de gaz à effet de serre dans les pays riches toujours dix fois supérieures à celles des autres pays, 1 milliard d'individus privés d'accès à l'eau potable, 2 milliards toujours sans électricité et le même nombre vivant avec moins d'un euro par jour. L'écart Nord-Sud continue à se creuser et l'aide au développement, qui aurait dû représenter 0,7 % de l'effort financier consenti par les pays riches, ne dépasse pas les 0,2 % du PIB. Les pays du Sud refusent que l'aide soit conditionnée par le respect du principe de bonne gouvernance. Les pays du Nord continuent de rester sourds aux revendications formulées par les plus pauvres qui souhaitaient notamment une disparition des subventions agricoles dans les pays développés afin de restaurer une certaine compétitivité de leurs exportations.

« Tractations et points de blocage »

Les discussions traînent donc en longueur et les pays peinent à trouver des compromis. Premier désaccord de taille : le différend franco-américain sur le protocole de Kyoto qui prévoit la réduction de l'émission de gaz à effet de serre. En 1997, le protocole avance des objectifs à atteindre : une réduction de 5,2 % des émissions d'ici à 2008 pour retrouver le niveau des années 1990. En novembre 2001 à la conférence de Marrakech, la plupart des pays riches tombent d'accord sur la nécessité de limiter les émissions de dioxyde de carbone. Tous, sauf les États-Unis qui refusent de prendre le moindre engagement dans ce sens. Or, pour être adopté et entrer en vigueur, le protocole de Kyoto doit être ratifié par 55 % des signataires représentant 55 % du total des émissions. Les États-Unis, gros pollueurs, jouent la carte du blocage et l'ensemble des signataires ne couvre que 35,8 % des émissions. Les Européens savent également faire la sourde oreille, notamment quand on leur parle de subventions agricoles. Jusqu'à la dernière minute, les discussions achoppent par ailleurs sur la question de l'accès aux soins dans les pays en développement et sur celle du droit des femmes à l'avortement.

« Un bilan mitigé »

Après moult débats, un plan d'action est finalement adopté et une déclaration politique rédigée, mais les détracteurs pointent l'imprécision des textes : les objectifs ne sont ni chiffrés ni fixés à échéance. « La montagne Johannesburg a accouché d'une souris », commentent les représentants de la société civile. Réunis dans le groupe des 77, les 133 pays en voie de développement qui attendaient des engagements concrets et des délais précis ne cachent pas leur déception. Le 4 septembre, jour de « cérémonie funèbre », les représentants des ONG, qui s'estiment supplantés par les acteurs privés, défilent en noir, bâillonnés d'autocollants « plus de sommet de la honte ». Unanimes, ils dénoncent la démission des États. « Johannesburg, ce n'est pas Rio + 10 mais Rio – 10 », déplore un militant écologiste regrettant « l'absence de dates, de chiffres et d'objectifs concrets ». D'importants points de blocage demeurent : discussions interminables autour de l'interprétation du principe de précaution, positions très évasives sur les énergies alternatives, décisions minces sur le thème de la biodiversité (défense des espèces, déforestation) et des ressources naturelles. Pourtant, concernant la question du climat, les avancées sont décisives. Plusieurs pays, parmi lesquels le Canada et la Russie, qui n'avaient pas ratifié le protocole de Kyoto, s'engagent à le faire avant la fin de l'année. Mis à part le différend qui a opposé le président du Zimbabwe et le Premier ministre britannique Tony Blair au sujet de la politique d'éviction des fermiers blancs, le sommet n'a pas été émaillé d'incidents diplomatiques majeurs. Le secrétaire des Nations unies Kofi Annan, jugeant que l'attente et les espoirs placés dans ce sommet étaient peut-être trop élevés, préfère s'en tenir à une idée positive et reconnaît comme mérite à la conférence d'avoir « généré de l'engagement politique » et retient une « impulsion à soutenir ». Rendez-vous est fixé à 2012, pour voir si oui ou non Johannesburg aura apporté une contribution décisive.