Journal de l'année Édition 2003 2003Éd. 2003

Un président sous surveillance à Caracas

Réélu en 2000 à la tête du Venezuela sur la base d'un programme de lutte contre la corruption et la pauvreté, Hugo Chavez, victime d'un putsch avorté, dirige un pays plus polarisé et divisé que jamais.

« Il n'y a aucun risque de coup d'État militaire contre moi. Zéro ! » assurait le chef de l'État vénézuélien Hugo Chavez dans un entretien accordé au Monde fin février. Moins de deux mois après cette déclaration, le 11 avril, des gradés de l'armée sont pourtant venus quérir l'ex-lieutenant-colonel au palais présidentiel de Miraflorès pour « négocier » avec lui sa démission, à la suite d'affrontements meurtriers qui ont opposé « pro- » et « antichavistes ».

Hugo Chavez, ex-putschiste repenti, réélu triomphalement pour six ans en 2000, a-t-il, ce jour-là, été déposé par une coalition de « nantis », autoproclamés « société civile », soutenus par l'Église catholique et les principaux médias privés du pays (voir encadré), avec la complicité d'une partie de l'armée, ou bien a-t-il payé quatre années d'un exercice brouillon du pouvoir qui ont vu sa cote de popularité fondre de 80 à 40 % ?

L'armée, colonne vertébrale de l'État

Propulsé en 1998 à la tête du quatrième producteur mondial de pétrole, dans un contexte de vide politique marqué par le rejet des deux partis traditionnels (l'Action démocratique et la Copei), le « comandante » Chavez électrise les foules en prônant l'avènement d'une révolution « bolivarienne » censée mettre fin à la corruption et à la pauvreté qui frappe les deux tiers des ménages vénézuéliens. Pour y parvenir, le nouveau président, arrivé au pouvoir sans véritable parti, ne peut s'appuyer que sur une poignée de fonctionnaires de haut rang, sur les masses qu'il tente d'organiser en créant des milliers de « cercles bolivariens » et surtout sur l'armée, qui devient la colonne vertébrale de l'État.

Le régime chaviste n'en devient pas plus répressif. Il promulgue même une Constitution d'avant-garde, adoptée par référendum en 1999. En revanche, le verbe chaviste est polarisateur, qui ne cesse d'accuser les oligarques et autres latifundios de freiner les indispensables réformes socio-économiques. De populaire, Chavez devient populiste et perd du temps, alors que, en 1999-2000, le Venezuela engrange les bénéfices de son activisme au sein de l'Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP). Or Chavez choisit l'automne 2001, au moment où la manne pétrolière commence à s'effriter, pour signer une cinquantaine de décrets-lois élaborés sans débat démocratique, qui renforcent l'interventionnisme étatique dans l'économie en amorçant une (timide) réforme agraire et en modifiant le régime des investissements pétroliers. Dénonçant un projet « collectiviste », Fedecamaras et la CTV organisent, avec succès, une première grève générale. En février 2002, alors que le marasme économique s'aggrave, Chavez laisse flotter le bolivar, qui perd un tiers de sa valeur. Les appels à la démission du président vénézuélien se multiplient, commencent à être relayés par des militaires de haut rang, mais sans le dissuader de reprendre en main Petroleos de Venezuela (PDVSA) en expurgeant la compagnie publique pétrolière de son président et de la plupart de ses administrateurs. Ce dernier événement va précipiter une chute qui sera brève : le lendemain du putsch, le président de Fedecamaras, Pedro Carmona, prend la tête d'un gouvernement provisoire composé d'oligarques « profondément attachés à l'État de droit », qui s'empressent néanmoins de dissoudre l'Assemblée nationale et de déclencher une vague de répression souvent brutale contre les proches du président déchu.

Erreur fatale : l'armée, faisant volte-face, exige le rétablissement de l'ordre constitutionnel, et sous la pression de la rue M. Carmona doit démissionner. Rentré à Caracas sous les vivats de ses partisans, Hugo Chavez est officiellement rétabli dans ses fonctions le 14 avril.

La main des États-Unis ?

Certains soupçonnent les États-Unis d'avoir encouragé les putschistes vénézuéliens, d'autant que George W. Bush a fait nommer début 2002, au poste de sous-secrétaire d'État chargé des Affaires latino-américaines, le controversé Otto Reich, malgré l'opposition du Congrès qui lui reproche son implication dans le scandale Iran-Contra. L'indépendance affichée par Hugo Chavez en matière de politique étrangère ne peut que déplaire à Washington : réactivateur de l'OPEP (sans jamais cesser, toutefois, de garantir l'approvisionnement pétrolier des États-Unis, dont le Venezuela est le troisième fournisseur), principal soutien du régime castriste, hôte de Saddam Hussein ou du colonel Kadhafi, le chef de l'État vénézuélien refuse également de soutenir le projet nord-américain de zone de libre-échange des Amériques, comme la lutte antidrogue sur le sous-continent (symbolisée par le plan Colombie) : on le soupçonne d'ailleurs d'entretenir des liens avec les FARC, principale guérilla colombienne. Toutes ces « bonnes » raisons ne peuvent, pour autant, excuser les ambiguïtés de l'administration Bush au cours de la crise vénézuélienne. M. Chavez à peine destitué, alors que tous les pays de l'Organisation des États américains (OEA), à l'exception du Salvador et des États-Unis, ont dénoncé le putsch et reconnu la légitimité du président élu, Otto Reich puis l'ambassadeur américain au Venezuela, Charles Shapiro, se sont entretenus avec le fugace « président intérimaire » Carmona, afin, ont-ils précisé, de le dissuader de dissoudre l'Assemblée nationale. Le retour à la présidence de M. Chavez n'a pas mis fin à la crise politique vénézuélienne. Ceux qui ont organisé ou soutenu le putsch n'entendent pas relâcher la pression, fût-ce en explorant, cette fois, des voies plus démocratiques, comme l'organisation d'un référendum révocatoire. La société vénézuélienne n'en paraît pas moins polarisée, les pauvres accusant les riches de conspirer contre « leur » président démocratiquement élu. Les rumeurs de coups d'État se succèdent et tous (Hugo Chavez compris ?) s'interrogent : combien de temps l'armée restera-t-elle encore chaviste ?