Journal de l'année Édition 2003 2003Éd. 2003

Queen Mum, ultime vestige d'un empire disparu

L'« Union Jack » en berne sur Buckingham Palace, le grand tocsin de la cathédrale Saint-Paul résonnant pendant une heure, des bouquets de fleurs par milliers devant les grilles du château de Windsor, les journaux entourés d'un liseré noir : le 30 mars 2002, le palais a annoncé que « Queen Mum » s'était éteinte « tranquillement » des suites d'une mauvaise infection des bronches.

Rentré précipitamment de vacances, le prince Charles s'est dit « dévasté » par le décès de Queen Mum, à laquelle le Parlement a rendu hommage en séance spéciale. Le Premier ministre, Tony Blair, a de son côté salué « l'élégance, le sens du devoir et l'appétit de vivre [...] qui faisait partie de la fibre du pays » de la grand-mère préférée des Britanniques. La reine mère Élisabeth s'est éteinte dans son sommeil au château de Windsor, à l'âge de 101 ans. Sa dernière apparition publique remontait au mois de février, lors des funérailles de sa fille cadette, la princesse Margaret. Sa fille aînée, la reine Élisabeth II d'Angleterre, était à ses côtés au moment de son dernier soupir. Son éternel sourire accompagné de petits mouvements de tête, ses couvre-chefs légendaires et ses tenues pastel, jaune pâle ou rhododendron, d'un kitsch parfait, resteront dans la mémoire de tous les Britanniques. « Dernier lien avec un passé révolu », « ultime vestige d'un empire disparu », selon la presse, elle incarnait la droiture des « Royal ». Sa disparition contraint la monarchie à réfléchir à son devenir. Elle n'était pas seulement une reine mais le symbole d'un monde, d'une culture, d'un ordre constitutionnel. Pour le journal le Monde, le décès de Queen Mum tourne symboliquement une page de l'histoire contemporaine du Royaume-Uni, marquée par deux guerres et la décolonisation : « Sa mort referme un cycle historique qui a vu défiler, dans un décor fastueux, six souverains, seize Premiers ministres, deux guerres mondiales, l'effondrement du plus grand empire de tous les temps, le retour de l'Angleterre en Europe. »

La petite duchesse écossaise

Les gros titres de la presse britannique et internationale rivalisent d'hommages et de petits mots, saluant le courage, l'humour, la simplicité, le sens de la responsabilité incarnés par la reine mère. Lointaine descendante de Macbeth, Élisabeth Bowles-Lyon était née dans une famille aristocrate écossaise très unie, dont elle était l'avant-dernier des huit enfants. Elle offrit son premier sourire aux Londoniens en 1923, le jour où elle épousa « Bertie », le prince Albert George, duc d'York, second fils du roi George V, un ami d'enfance. Quoique étrangement assorti – elle était curieuse et malicieuse, lui plutôt timide et gauche –, le couple vécut des jours heureux et le bonheur d'Élisabeth rayonna sur la Cour. Première femme à intégrer le clan des Windsors sans être de sang royal, elle se réjouissait que son époux – « Dieu merci » – ne soit pas roi. Elle s'adapta facilement à son destin princier. Deux enfants naquirent de cette union : Élisabeth en 1926, Margaret quatre ans plus tard. À la mort du roi George V, en 1936, Édouard VII, son fils aîné, monta sur le trône. Mais il abdiqua un an plus tard pour pouvoir épouser une jeune Américaine divorcée. En 1937, George VI était couronné roi. À ses côtés, Élisabeth s'employa à lui donner la carrure d'un monarque. Le patriotisme de celle-ci, pendant la Seconde Guerre mondiale, explique en grande partie son immense popularité. Lors du « blitz » de 1940, six bombes touchèrent le palais de Buckingham sans inquiéter « Lady Courage » qui se refusa à quitter les lieux et à envoyer ses deux filles au Canada, se félicitant de « pouvoir enfin regarder en face l'East End », quartier particulièrement dévasté de la capitale. Prenant ses aises avec un protocole pour le moins rigide, le couple royal visitait régulièrement les quartiers bombardés de Londres. Tandis qu'Hitler considérait Élisabeth comme la femme « la plus dangereuse d'Europe », Churchill avouait avec humour son admiration pour elle : « J'étais prêt à lui donner Big Ben. » Lorsque George VI mourut, en 1952, celle qui devint du même coup la reine mère – titre jusque-là inconnu – passa le flambeau à sa fille Élisabeth II.

Une certaine idée de la monarchie

Les drapeaux des monuments publics sont restés en berne jusqu'au 9 avril, date des obsèques et fin du deuil national. Le cercueil de la reine mère, qui n'a pas bénéficié de funérailles d'État, reposera avec celui de son mari dans la chapelle Saint-George du château de Windsor. Selon les mots de l'archevêque de Cantorbéry, elle constituait « un élément précieux de la vie nationale ». Décrite comme l'archétype des valeurs victoriennes, cette femme « conventionnelle » était le symbole de la monarchie traditionnelle. Même les tabloïds les plus antiroyalistes ne s'étaient jamais risqués à s'attaquer au symbole qu'elle incarnait.