Pour le reste, l'essentiel de la création contemporaine aura été le fait des institutions, comme le Théâtre de la Bastille, recevant Un jour en été, du Norvégien Jon Fosse, dans une mise en scène de Jacques Lassalle, créée à Vidy-Lausanne. Au détour de la mise en scène de Jean-Michel Rabeux de la pièce de Copi l'Homosexuel ou la difficulté d'être, on aura pu y applaudir un jeune auteur à suivre : Fabrice Melquiot. Un monologue – l'Inattendu – et une pièce sur la guerre en Bosnie – le Diable en partage – y ont été présentés dans une mise en scène de Richard Demarcy-Motta, directeur du Centre dramatique de Reims.

Le temple de la Colline

Mais c'est, bien sûr, le Théâtre national de la Colline qui s'impose comme le temple de l'écriture contemporaine. Parmi les nombreux spectacles à son affiche, plusieurs sont à retenir, à commencer par les Voisins, de Michel Vinaver, re-mis en scène par Alain Françon (il l'a créé dans les années 1980). Vient ensuite Skinner, de Michel Deutsch. Sous des aspects de fait divers (un clandestin, en quête de passeurs pour gagner l'autre coté de la mer, se trouve pris au piège d'une organisation tentaculaire), la pièce se révèle une réflexion sur l'identité et le destin. À travers ces efforts pour gagner un pays qu'on imagine de cocagne, ne s'agit-il pas de se fuir soi-même, de vouloir croire à tout prix en un rêve affirmant que l'on peut abandonner ce que l'on fut pour renaître ? Mais peut-on se forger un avenir en se délestant de son passé ? Comment y parvenir lorsque l'on vous a dépouillé de vous-mêmes en vous confisquant vos papiers et que vous n'existez plus pour le monde, puisque vous êtes sans identité ? L'écriture, riche et complexe, en fait un poème tragique immense servi par une distribution exceptionnelle (Jean-Paul Roussillon, Dominique Valadié) et une mise en scène – toujours signée Françon – jouant résolument la carte du spectaculaire pour emmener des lumières aux ténèbres, du ciel libre aux bas-fonds.

Dans ce même théâtre, Stéphane Braunschweig aura présenté deux de ses spectacles créés au Théâtre national de Strasbourg – la Mouette, de Tchekhov, et l'Exaltation du labyrinthe, d'Olivier Py –, tandis que Frédéric Fisbach y a poursuivi ses recherches sur la forme et le sens avec les Paravents de Jean Genet, interprétés par des comédiens et des marionnettes – une recherche qu'il développe à présent au Studio Théâtre de Vitry, où il a repris sa mise en scène de l'Annonce faite à Marie, célébrant Claudel dans un hiératisme imposé aux acteurs, qui donne le sentiment que la parole n'est que mouvement.

La leçon du « maître » Fomenko

On ne s'étonnera pas dès lors que le Théâtre de la Colline ait été le lieu de l'un des temps les plus forts du Festival d'Automne avec « Auf dem Land », présenté par Luc Bondy, faisant découvrir avec le Berliner Ensemble l'Anglais Martin Crimp. Autre temps fort du Festival – et sans doute l'un des plus marquants de la saison : Guerre et Paix, adapté du roman de Tolstoï par le Russe Fomenko.

À soixante-dix ans, le maître de la scène moscovite a donné une véritable leçon d'un théâtre tout en bruissements et en fluidité. Rarement on aura vu une telle intelligence dans la manière de mener le récit et dans la façon de diriger les acteurs (tous ses élèves de l'Atelier), d'une légèreté de jeu sidérante dans le grave comme dans le comique, le trivial et le tragique. Mots chuchotes, rires échappés, le souffle des émotions furtives.

Les très riches heures d'Avignon

Platonov aura été la première surprise du Festival d'Avignon.
Bernard Faivre d'Arcier quitte la direction du Festival d'Avignon.

Miroir de la saison théâtrale en France, le Festival d'Avignon, lui, avait offert une 56e édition particulièrement remarquable. Fortement contesté l'an dernier pour une programmation jugée trop axée sur le succès public et d'une inventivité réduite, Bernard Faivre d'Arcier a vigoureusement redressé la barre dès l'ouverture de la manifestation, confiée à un « jeune » metteur en scène : Éric Lacascade. Directeur du Centre dramatique national de Caen, ce dernier a présenté Platonov de Tchekhov, sans « vedettes », mais entouré des comédiens habituels de sa troupe. Un spectacle vibrant et charnel, en osmose parfaite avec la Cour d'honneur remise à neuf. Dans la magie d'une nuit joyeuse et tragique, libérée et oppressante, le Palais des papes se révélait l'âme de la représentation, un corps vivant absorbant les spectateurs.