Le principe d'ironie est au cœur de la dernière exposition qui clôt cette année 2002, la majestueuse rétrospective « Francis Picabia », organisée par le musée d'Art moderne de la Ville de Paris (16 novembre 2002 - 16 mars 2003). Francis Picabia (1879-1953) est une grande figure de la liberté, affichant un souverain dédain pour les conventions, jouant avec les styles (impressionnisme, cubisme, abstraction, figuration...) et les recyclages (reprises d'images et de sujets historiques...). D'abord peintre néo-impressionniste, salué et reconnu, il rompt très vite avec cette facture trop habile, pour lui préférer « une peinture située dans l'invention pure ». Ce sont les années 1912-1914, durant lesquelles l'artiste peint des œuvres abstraites, aux titres mystérieux (Udnie, Edtaonisl...). Puis, avec la désillusion de la Grande Guerre, Picabia entre dans le dadaïsme. C'est sa période dite « mécanomorphe », très représentée dans l'exposition, avec un bel ensemble de dessins réalisés à partir de photographies et gravures d'engins mécaniques, puisées dans les revues de vulgarisation de l'époque. Vient ensuite, dans les années 1920, la série des Transparences, où l'artiste se joue d'effets de superpositions d'images, citant cette fois plus directement l'histoire de l'art, dans une démarche annonçant nombre d'enjeux de la peinture postmoderne de ces dernières années. Suivent les tableaux figuratifs des années 1930, où Picabia recycle, avec une touche de kitsch assumée, des images de jeunes femmes nues, trouvées dans les magazines de charme de l'époque. Le parcours chronologique s'arrête à la fin des années 1940, quand l'artiste revient, notamment avec la série des Points, à une facture abstraite, toujours aussi chargée d'ironie : « Tout tableau doit être complètement absurde et inutile », dit-il, non sans une pointe d'amertume. Les derniers tableaux sont des quasi-monochromes, ultimes tentatives de lutte contre ce monstre qu'est la peinture, « point final » d'une confrontation, sublime et désespérée, avec l'énigme de l'œuvre d'art.