L'autre face-à-face de grands maîtres était orchestré, de façon plus détournée, par le musée d'Orsay (« Manet/Velázquez. La manière espagnole au xixe siècle », octobre 2002 - 5 janvier 2003). Au-delà de la parenté entre Manet et Velázquez, il s'agit en fait, comme le sous-titre l'annonce, d'une étude plus élargie des influences du Siècle d'or espagnol sur la peinture française du xixe : l'exemple d'un réalisme puissant, l'usage des contrastes et des noirs, la touche emportée. Édouard Manet, qui s'est réfugié à Madrid en 1865, date charnière de l'évolution moderne de son travail, constitue l'épine dorsale de cette démonstration, avec près d'un tiers des 110 œuvres présentées. Il s'est déjà inspiré des Vénitiens, de Rubens, de Rembrandt, mais sa découverte, au musée du Prado, des œuvres de Diego Velázquez (1599-1660) est une révélation : « Tous les autres, à côté de lui, sont des chiqueurs », écrit-il à son ami Fantin-Latour. Il ne sera pas le seul. On retrouve ainsi dans l'exposition d'Orsay des tableaux de Bonnat, Delacroix, Corot ou Courbet, en vis-à-vis des autres grandes figures de l'art espagnol du Siècle d'or, Zurbarán, Ribera, Murillo. Une leçon de peinture qui aurait pu parfois faire l'économie de tableaux plus anodins.

La naissance du sentiment : le romantisme à l'affiche

L'exploration du xixe siècle fait toujours l'objet d'un vif intérêt dans le milieu des expositions. Cette année 2002 le confirme une fois de plus, avec un point d'orgue sur la période romantique. La rétrospective du peintre Théodore Chassériau (1819-1856) au Grand Palais ouvrait cet itinéraire (28 février - 27 mai 2002). Peintre d'histoire et de portraits, né à Saint-Domingue, inspiré par la mythologie et le voyage en Orient, Chassériau est un romantique français mal et peu connu. Partagé entre le dessin et la couleur, entre les figures tutélaires d'Ingres et de Delacroix, il a su, au cours d'une carrière abrégée, déployer une version très colorée de la sensualité romantique, tentant de concilier la pureté néoclassique (science de la ligne, goût de l'antique...) à la facture plus débridée du romantisme (science du contraste, appétit des tons purs...). L'incendie de la Cour des comptes pendant la Commune a détruit son grand œuvre peint pour l'escalier monumental de l'édifice, mais il nous reste, malgré la mort prématurée de l'artiste, de nombreuses toiles pleines de tempérament. C'est ce que révèle l'exposition du Grand Palais, avec un point fort autour de la question de l'exotisme, de la troublante Étude de noir (1838) au portrait très orientaliste d'Ali-Ben-Hamet, kalifat de Constantine (1845).

La surprise est plus décevante, quelques mois plus tard dans les mêmes salles, avec l'exposition consacrée à John Constable (1776-1837), l'un des artistes majeurs du romantisme anglais (Galeries nationales du Grand Palais, octobre 2002 - 13 janvier 2003). Constable est, avec son compatriote Turner, le grand rénovateur de la peinture de paysage. On lui doit de magnifiques études de ciel, de superbes petites parcelles de nature qui prennent sous son pinceau une allure enchanteresse. Beaucoup y ont vu un précurseur de l'impressionnisme, par son goût de l'instant, son œil à l'affût de l'insaisissable mouvement des nuages. Ce n'est pas le Constable que l'on découvre ici. Le choix des œuvres, chose rare, a été confié à un artiste : Lucian Freud, descendant direct de Sigmund, mais aussi et surtout grande figure de la peinture britannique actuelle. Choix du cœur ou parti pris alternatif, Freud a décidé de sous-estimer ce pan le plus « moderne » de Constable (seules quelques études de ciel sont réunies ici) pour privilégier des pans moins convenus de l'œuvre, le portrait par exemple dans la première moitié de l'exposition. Constable n'en sort pas grandi, et l'on s'ennuie beaucoup devant des œuvres bien secondaires que la fameuse Charrette de foin (1821) ne parvient pas à sauver.

Max Beckmann et Francis Picabia : les figures de la peinture

L'esprit romantique se retrouve, à sa manière, dans l'importante rétrospective du peintre expressionniste allemand Max Beckmann (1884-1950), la réelle surprise de la rentrée, organisée par le Centre Pompidou (« Max Beckmann, un peintre dans l'histoire », octobre 2002 - 6 janvier 2003). Cet artiste que l'on retrouvait, en 1937, sur les cimaises de la fameuse exposition « L'art dégénéré », organisée par les nazis, a souffert pendant de nombreuses années d'un véritable ostracisme en France. En 1968, l'exposition que lui consacrait le Grand Palais fut un authentique fiasco, ravivant les vieux fantômes de l'antigermanisme. En 2002, les choses ont, par chance, changé. On semble mieux disposé devant une œuvre qui pose la question de l'histoire et du portrait, avec tout le sens du mythe dans la représentation du drame humain. Beckmann, fils de la Grande Guerre, est un peintre de la « farce tragique ». Ses couleurs et son contour noir, très noir, impriment une densité toute particulière aux corps et aux visages. On retiendra les grands triptyques, où le sujet historique rencontre la mythologie, mais aussi les fameux et nombreux autoportraits, où l'artiste, dandy à la pause altière, se met en représentation, non sans une pointe d'ironie détachée.