Doit-on craindre les effets secondaires de l'après-11 Septembre 2001 ? La question se pose d'emblée pour le marché de l'art, mais aussi pour l'organisation des grands rendez-vous artistiques internationaux.

Le journal des expositions 2002

Pascal Rousseau

Le coût des assurances pèse de plus en plus lourdement sur les budgets d'expositions ; les prêteurs institutionnels, américains en particulier, hésitent à se séparer de leurs chefs-d'œuvre. Mais la demande est là, croissante, alors que l'on cherche à optimiser l'organisation des loisirs culturels. Le public est d'ailleurs au rendez-vous des grandes manifestations. Le millésime 2002 des expositions en France l'a encore montré. Les expositions-événements du Louvre, du Centre Pompidou et du Grand Palais ont fait le plein d'entrées.

Les grands rendez-vous : des pharaons aux surréalistes

Plus de 350 œuvres et objets pour l'exposition « Les artistes de Pharaon »
Le surréalisme : une exploration des effets esthétiques de l'image

La seule alchimie d'un titre d'exposition permet parfois un succès de fréquentation. C'est le cas de l'exposition « Les artistes de Pharaon », organisée par le musée du Louvre (19 avril - 5 août 2002). On le sait : l'Égypte attire, par avance, un large public ; le titre, très alléchant, n'a fait que renforcer cet effet. Beaucoup de monde donc s'est rendu dans les salles d'archéologie du Louvre pour découvrir la production artistique d'un site de Haute-Égypte, Deir el-Médineh, vestiges d'un simple village, avec sa communauté d'artisans, d'artistes et d'ouvriers ayant travaillé pendant le Nouvel Empire (de 1500 à 1050 av. J.-C.) au creusement et à la décoration des tombes de la Vallée des Rois.

L'exposition réunit plus de 350 œuvres et objets (céramiques, papyrus, maquettes...) qui, au contraire des monuments royaux et religieux de la vie officielle, permettent au public d'entrer dans l'intimité, l'imaginaire et le quotidien des anciens Égyptiens. Des ostraca (éclats de calcaire peints) figurés ou géométriques au mobilier domestique, le spectateur reconstitue le cadre de vie de ces familles. Des maquettes, en particulier celle d'une maison type, restituent l'aspect du village, tandis qu'une réplique grandeur nature du caveau de la tombe de Sennedjem évoque les croyances funéraires de ce monde enfoui, sur lequel l'influence des thèmes des tombes de la Vallée des Rois est très sensible. Le parcours, articulé en trois grandes sections thématiques très imprégnées d'anthropologie, couvre l'ensemble des activités de cette communauté : vivre ; créer et travailler ; croire et mourir. On y découvre, dans la deuxième partie, des documents qui relatent l'organisation du travail, les mouvements de grève, les conflits, tandis que, dans la troisième section, se retrouvent de beaux témoignages sur la piété populaire, le culte des ancêtres.

« La Révolution surréaliste » présentée au Centre Pompidou (6 mars - 24 juin 2002) constituait le deuxième grand événement de l'année. Événement par l'envergure historique du sujet mais aussi l'ampleur du parcours défini par son commissaire, Werner Spies : pas moins de 500 œuvres, dont 200 peintures, venues de collections publiques et aussi de collections privées plus confidentielles. Cette exposition, qui privilégie les grandes œuvres picturales au détriment notamment de la photographie et de la littérature, prend le contre-pied de cet iconoclasme. On y découvre les grandes œuvres du surréalisme en peinture, de Miró à Dalí, en présence de Picasso, moins attendu. Le surréalisme y apparaît comme un grand mouvement pictural, presque classique, trop sage pour certains qui trouvent dans cette somptueuse exposition un oubli, voire un déni délibéré, de la portée proprement révolutionnaire et politique du mouvement emmené par Breton. Les œuvres sont là pour convaincre les plus autorisés de la nébuleuse surréaliste : le surréalisme fut aussi un mouvement d'exploration des effets esthétiques de l'image. C'est peut-être un problème d'intitulé ; Werner Spies aurait dû appeler son exposition « le surréalisme en majesté ».

Les grands face-à-face

Il faut parler d'artistes « en majesté » pour évoquer les deux autres grands rendez-vous de la saison 2002. Deux vis-à-vis d'artistes majeurs pour ouvrir la saison automnale parisienne. Hasard du calendrier ou effet des contraintes budgétaires de la Réunion des musées nationaux, les expositions de la rentrée tablaient sur des « têtes d'affiche », à rentabilité assurée. La première, installée dans les Galeries nationales du Grand Palais, confrontait tout simplement les deux plus grands peintres du xxe siècle : « Matisse-Picasso » (22 septembre 2002 - 6 janvier 2003). Paris accueillait ces deux géants, dans un dialogue de 160 œuvres, peintures, sculptures et dessins, couvrant la période 1906-1960. Portraits, nus, natures mortes et paysages se côtoient dans un parcours qui relève les moments clés du dialogue de deux rivaux : débuts intenses de la relation entre 1906 et 1917, dans le choix commun du démantèlement de l'espace classique de la peinture (cubisme chez Picasso, fauvisme chez Matisse), échanges tumultueux puis apaisés des années 1930, émulation amicale d'après-guerre avec une importante section mettant en parallèle les papiers découpés de Matisse et les sculptures en tôles de Picasso. Le visiteur se prend au jeu de la comparaison, préfère tantôt la force de Picasso, tantôt la virtuosité de Matisse. Les règles du jeu manquent cependant de clarté, tant les commissaires de l'exposition semblent hésiter entre des rapprochements purement iconographiques (variations sur un même sujet, telle la nature morte avec violon...) ou plutôt formels (expérimentation des matières et des textures, tels le collage et le papier découpé.). Le spectateur découvre une suite impressionnante de chefs-d'œuvre en butant toutefois sur la logique des rapprochements, qui lui échappe souvent.