Le volcan colombien

Élu en août 1998 sous le signe de l'espoir et de la pacification, le président Andres Pastrana s'apprête à céder la place sans être parvenu à démontrer que la négociation, telle qu'il l'a menée, pouvait apporter des solutions à la crise qui secoue le pays. La violence n'épargne aujourd'hui plus aucune province, touchant les campagnes comme les grandes villes, dont la capitale Bogota, et paralysant l'économie.

Lancé en août-septembre 1999 sous le patronage des États-Unis, le « plan Colombie » de lutte contre le trafic de drogue et contre la rébellion armée a d'ores et déjà échoué, selon le bilan établi sur place par l'ambassadeur américain. La production et le trafic de cocaïne, d'héroïne et d'autres drogues n'ont pas diminué, bien au contraire. Selon l'ONU, les surfaces consacrées à la coca ont augmenté de 60 % en 2001, en dépit de la politique d'éradication prônée par le plan Colombie, et le pays exporte toujours 80 % de la cocaïne consommée dans le monde. Les mesures du plan Colombie n'ont fait qu'entraîner une augmentation des prix et donc des profits des trafiquants, qui ne sont pas tous colombiens. Et les expérimentations biologiques préconisées pour détruire les plantations de coca, comme les fumigations ou les champignons parasites, constituent aujourd'hui une menace sérieuse pour l'agriculture du pays.

3 685 personnes tuées en 2001

Mais c'est la généralisation de la violence qui présente les conséquences les plus désastreuses. Les chiffres des meurtres, des disparitions, des règlements de compte et des représailles atteignent des proportions inquiétantes. Pour la seule année 2001, 3 685 personnes ont été tuées. Les négociations entre le gouvernement et la guérilla menées entre novembre 1998 et février 2002 n'y ont rien fait. La rupture d'un dialogue biaisé, dont chacune des parties savait qu'il déboucherait sur une inévitable confrontation militaire, a démontré l'impossibilité pratique d'une réconciliation entre deux adversaires qui n'ont d'autre but que la liquidation de l'autre. Devenue une réalité quotidienne en Colombie, la guerre civile risque de plus de se transformer en conflit régional. La guerre civile, l'économie et le trafic de drogue sont étroitement imbriqués. Les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC), qui comptent de 17 000 à 20 000 combattants, accusent le pouvoir d'avoir vendu le pays aux intérêts économiques et stratégiques américains en échange de leur contribution à la modernisation de l'armée colombienne en vue d'anéantir la rébellion. Accusées par les États-Unis de profiter des revenus de la drogue, les FARC dénoncent à leur tour le soutien apporté par le gouvernement à la formation paramilitaire d'extrême droite de l'Autodéfense unie colombienne (AUC), forte de 7 000 à 9 000 hommes, dont les liens avec les trafiquants de drogues, les gros propriétaires terriens et l'armée ne sont plus un secret. L'AUC, qui s'est toujours opposée à la négociation avec les FARC, serait devenue, selon des statistiques officielles, le principal artisan de la violence sur le plan national et le principal responsable des déplacements massifs de population à l'intérieur du pays.

Une issue militaire à la crise ?

Depuis quinze ans, plus de trois millions de personnes – près de 200 000 au cours de la seule année 2001 –, principalement des femmes et des enfants, ont dû fuir leurs villages pour échapper aux représailles de la guérilla. Leurs terres et leurs biens ont été récupérés par les gros propriétaires et les paramilitaires. Aux menaces sur la vie des personnes déplacées s'ajoute donc la précarité de leur situation économique. Les déplacements ne concernent plus seulement le territoire colombien. Des milliers de réfugiés tentent de gagner les pays voisins, l'Équateur, le Venezuela ou le Brésil. Ces pays renforcent leur contrôle militaire aux frontières, par crainte d'infiltration de guérilleros, interrompant ainsi les circuits commerciaux traditionnels et ruinant l'économie régionale.