Un autre phénomène, indirectement lié à celui-ci, a tiré la vedette à lui. La volonté de ce même CSA d'interdire, sous la pression de femmes et d'hommes politiques de la nouvelle majorité, le cinéma X à la télévision. De Libération aux Cahiers du cinéma, une vaste campagne a été menée et le « danger » a été écarté jusqu'à présent. Mais c'est une fausse victoire. La signalétique demeure et, à la demande du ministère de la Culture et de la Communication, la philosophe Blandine Kriegel a remis, au mois de novembre, un rapport destiné à interdire complètement le passage des films interdits aux moins de douze ans et plus en prime time (ce qui est déjà le cas sur les chaînes hertziennes) et de réformer totalement le mode de classification des films. Le ministre, Jean-Jacques Aillagon, a rejeté la plupart des propositions de ce rapport. Néanmoins, associations familiales et hommes politiques ne désarment pas.

Face à cette crise, un type de cinéma qu'on voyait peu depuis les années 1970, le cinéma expérimental, ressurgit de plus belle. Les choses ont commencé en 2000 avec la rétrospective (suivie d'un livre de 600 pages) Jeune, dure et pure ! qui s'est tenue à la Cinémathèque française, organisée par deux historiens, Nicole Brenez et Christian Lebrat. Pour la première fois, une historicisation complète du cinéma d'avant-garde français a été accomplie, qui remonte aux origines du 7e art.

Cette reconnaissance avait été précédée par la constitution de coopératives de diffusion indépendantes (le Collectif Jeune Cinéma, la Paris Film Coop et Light Cone), de laboratoires de développement artisanaux (L'Abominable, Etna) et de structures de diffusion dont la plus célèbre est Braquage, qui fait de l'animation et de la diffusion dans les squats, les théâtres, les cirques. Au mois de novembre, la quasi-totalité des structures françaises de fabrication et de diffusion de cinéma expérimental se sont réunies à Pantin lors d'un festival et ont rédigé un manifeste, L'expérimental ? C'est pas mon genre, qui est diffusé auprès des institutions compétentes afin que ce cinéma, montré dans les musées, comme de l'art contemporain à part entière, et acheté par Beaubourg, ait une véritable reconnaissance et qu'une forme d'aide financière spécifique lui soit apportée.

Donc, le cinéma français se trouve à la croisée des chemins. Son apparente bonne santé cache de profonds malaises. Le développement de matériel léger (le DV numérique) et la constitution de laboratoires indépendants qui permettent de faire un film à la première personne, avec son argent de poche presque, et d'être montrés dans des circuits spécialisés (ou plus vastes), risque, à l'avenir, de modifier le paysage de notre cinéma.

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Cannes : un palmarès d'une justesse et d'une diversité sans faille
Le Pianiste, de Roman Polanski, un film en partie autobiographique

Le palmarès cannois fut cette année d'une justesse et d'une diversité sans faille, surtout si on envisage les trois finalistes : le Pianiste de Roman Polanski (palme d'or, Pologne-France), l'Homme sans passé d'Aki Kaurismäki (grand prix du jury Finlande), et Bowling for Columbine, de Michael Moore (prix du 55e anniversaire, États-Unis). Polanski réalise un film en partie autobiographique. Le futur cinéaste avait neuf ans quand les nazis envahirent la Pologne, et il vécut ensuite dans le ghetto de Cracovie. Son film s'inspire du récit de Wladyslaw Szpilman, un pianiste juif qui survécut à la révolte du ghetto de Varsovie en 1943. Quoique très romanesque, le film évite toute boursouflure ou complaisance.

L'Homme sans passé, comme la plupart des films de Kaurismäki, est un conte social. Un individu, qui a perdu la mémoire, devient un paria, un SDF. Sans trop forcer la note, mais avec un humour pince-sans-rire, le cinéaste nous dévoile l'envers du paradis capitaliste. Le documentariste Michael Moore nous donne une remarquable étude sur l'Amérique de la peur dans Bowling for Columbine. À travers une réflexion sur la liberté de circulation des armes à feu aux États-Unis, le cinéaste montre comment on façonne des xénophobes.