Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Autre spectacle de l'Opéra-Bastille, la Damnation de Faust de Berlioz. Plus que mise en scène, c'est un véritable livre d'images que le spectacle de Robert Lepage a proposé. Il faut dire que cette œuvre qui se situe entre l'opéra et la symphonie dramatique se prête particulièrement à ce type de traitement. Assemblage hétéroclite de scènes lyriques, de ballets, de grandes pages orchestrales, le tout concentré sur trois personnages, les mises en scène réussies de cet hybride sont denrée rare. Avec cette nouvelle production créée voilà deux ans dans le cadre du Saito Kinen Festival Matsumoto, l'Opéra de Paris propose une vision qui tient à la fois du film et de la bande dessinée, association qui sied particulièrement à la légende de Faust. Sur une scène divisée en cellules, il a recréé une sorte d'imagerie animée, évoquant par les costumes tant la bourgeoisie du xixe siècle que les gravures de Delacroix, peintre à qui se réfère plus particulièrement le personnage de Méphistophélès. Du côté musical, l'Orchestre de l'Opéra de Paris est au sommet de sa forme, littéralement transfiguré par la présence charismatique de Seiji Ozawa. Le chef japonais regarde avec bonheur ses musiciens, caresse leurs sonorités suaves du geste et du regard, dégagé de toute contrainte de lecture d'une partition qu'il dirige par cœur.

L'Opéra de Strasbourg a donné pour sa part la première scénique française d'un ouvrage majeur du théâtre lyrique du xxe siècle, Die tote Stadt (la Ville morte) d'Erich Wolfgang Korngold (1897-1957). Cette partition n'est pas seulement le chef-d'œuvre d'un jeune prodige de vingt-trois ans, c'est aussi la synthèse entre la conception colossale de l'orchestre héritée du romantisme et des influences diverses d'où émerge un style profondément mélodique. Au point que l'on y relève l'empreinte de Mahler, Strauss ou Puccini, mais aussi et surtout une griffe personnelle, une verve mélodique foisonnante, une sensualité harmonique hors du commun. Die tote Stadt est de ces opéras injustement négligés, puisqu'il a tout pour séduire un large public, un livret remarquable, une intrigue dramatiquement efficace, des personnages d'une rare densité, une ligne de chant luxuriante, un orchestre kaléidoscopique. Quantité de manifestations du monde entier ont rendu hommage à Iannis Xenakis, mort en février, plus particulièrement les festivals de musique contemporaine, comme Présences de Radio France et Musica de Strasbourg, qui a en outre vu la création d'un opéra de Giorgio Battistelli, Impressions d'Afrique d'après Raymond Roussel, qui n'aura pas tenu ses promesses. Autre figure phare de la création contemporaine, Pierre Boulez a témoigné d'une incroyable vivacité, se produisant partout, à la tête des orchestres les plus prestigieux, donnant autant les œuvres de ses confrères, particulièrement Bartók, mais aussi les siennes, non sans les commenter devant un public friand de découvertes, notamment à Fontainebleau où, à l'invitation de ProQuartet, il a présenté la première exécution intégrale de son Livre pour quatuor joué par le Quatuor Parisii, et dirigé pour la première fois l'Orchestre philharmonique de Radio France.

Isaac Stern (1920-2001)

Isaac Stern était l'un des artistes les plus engagés de sa génération, tant dans la vie musicale que dans la cité. Violoniste virtuose, qui aimait autant à se produire en soliste qu'en musique de chambre, avec des partenaires comme Pablo Casals, Eugene Istomin et Leonard Rose, mais aussi Emmanuel Ax et Yo-Yo Ma, il fut le premier artiste américain à se produire en Chine et à y enseigner, ce qui lui assura une renommée internationale. Extrêmement actif dans la vie musicale, prenant notamment la responsabilité de la musique au Conseil national des arts des États-Unis, il sauvera le fameux Carnegie Hall de New York de la destruction et allait en présider la destinée jusqu'à sa mort, le 22 septembre. Il venait de publier son autobiographie sous le titre Mes 79 premières années. Il avait donné son premier concert à onze ans, et créé quantité d'oeuvres nouvelles, notamment les concertos pour violon et orchestre de Krzysztof Penderecki, de Peter Maxwell Davies et d'Henri Dutilleux.

Nuit d'été d'exception

Parmi les événements majeurs de l'édition 2001 du Festival de La Roque-d'Anthéron, l'intégrale des Années de pèlerinage de Franz Liszt donnée en une seule soirée par Nicholas Angelich. À 31 ans, le pianiste américain forgé à l'école française du piano est la coqueluche des amateurs de piano, attirant les foules à la seule évocation de son nom. C'est à la demande expresse de René Martin que ce musicien surdoué s'est lancé dans cette folle équipée, tant par la succession de pièces toutes plus complexes les unes que les autres, sur le plan technique, l'endurance physique que par la diversité des climats. Si bien qu'il semblerait que jamais pareil marathon n'ait été donné au concert par un seul pianiste. Son jeu d'une solidité inouïe, son sens exceptionnel de la nuance et de la couleur ont suscité une attention impressionnante, jusque dans les commentaires opportuns de la nature, les grenouilles ponctuant Au lac de Wallenstadt, le carillon les Cloches de Genève, la pluie les Jeux d'eau de la villa d'Este et Sunt lacrymae...