Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Le génome humain en voie de déchiffrage

La publication le 12 février, dans deux revues scientifiques anglo-saxonnes des travaux de deux équipes rivales, permet d'y voir plus clair dans la carte des composants de la vie. Parvenant aux mêmes conclusions, les recherches ont créé la surprise en révélant que le génome humain contiendrait environ 30 000 gènes, au lieu des 100 000 prédits par les généticiens.

La fourchette reste large, mais cette dévaluation suffit pour bousculer quelques idées reçues et pour infirmer l'équation faisant correspondre une fonction à un gène. Un même gène pouvant avoir plusieurs fonctions, les apprentis sorciers de la génétique voient se réduire leurs chances d'imiter la nature après cette découverte qui replace l'homme, en toute humilité, dans la grande chaîne du vivant. Presque complètement décrypté, le génome humain nous livre ses premiers secrets ; mais le mystère de la vie reste entier...

Annoncée avec force publicité, la publication simultanée le 12 février dans la revue américaine Science et dans l'hebdomadaire britannique Nature, des conclusions concordantes des travaux de deux équipes concurrentes, l'une privée l'autre publique, fruit de dix années d'exploration de la carte des gènes composant l'être humain, a créé la surprise dans la communauté scientifique et jeté le trouble dans le grand public, fasciné par ce coin de voile levé sur le grand mystère de la vie dont la clé serait désormais à portée de microscope.

Entre 26 000 et 38 000 gènes

La génétique disposerait donc de sa pierre de Rosette, qui aurait permis aux équipes conduites par Craig Venter, pour la firme privée Cèlera Genomics, et par Francis Collins, pour le Consortium – public – pour le séquençage du génome humain, d'en décrypter presque totalement la grille de lecture, le génome, et de dessiner la carte des composants de la vie. Les conclusions, similaires en dépit de méthodes de travail différentes, exposées à la faveur d'une conférence de presse commune à Washington des deux équipes qui avaient, pour l'occasion, enterré la hache de guerre, seront à la hauteur des enjeux – scientifiques et économiques – affichés depuis le mois de juin 2000, date à laquelle on annonçait que le génome était décrypté : le génome humain comporterait entre 26 000 et 38 000 gènes, soit nettement moins que les 100 000 gènes auxquels s'attendaient les généticiens quelques mois à peine avant cette découverte. Obtenue suivant une technique laborieuse de séquençage logique des portions de génome pour le Consortium international impliquant depuis 1992 dans le projet quelque 250 laboratoires publics et privés de 18 pays – dont la France (qui fait partie des pionniers en dressant en 1993 la première carte physique d'un chromosome humain) – et à coups de « shotgun » (tir dispersé) bombardant les 3 milliards de lettres du génome humain pour l'équipe de Craig Venter, en lice depuis 1998 seulement, cette élucidation de 90 % des séquences de notre patrimoine génomique réserve donc nombre de surprises et bouleverse bien des idées reçues. Première incidence de cette révision à la baisse du nombre des gènes, autrement dit les mots composés de plusieurs centaines ou milliers de « bases », ces briques chimiques élémentaires symbolisées par les quatre lettres A, C, T et G (acides nucléiques) du code génétique, au nombre de 3 milliards, s'étirant le long de la molécule d'ADN en forme de double hélice que constituent les chromosomes, dont 23 paires sont logées dans le noyau de chacune des 100 000 milliards de cellules qui composent le corps humain, l'équation simpliste et espérée par les généticiens selon laquelle à un gène correspondrait une protéine et donc une fonction est désormais caduque. Les gènes sont en trop petit nombre pour pouvoir fabriquer les dizaines de milliers de protéines d'un être humain, comme le laissait d'ailleurs prévoir la complexité du gène de l'insuline. Un gène peut produire plusieurs protéines et, surtout, il interagit avec d'autres gènes, l'influence de l'environnement (mode de vie, par exemple) provoquant des milliers d'autres connections et fonctions qu'il reste à déterminer. Et le mystère reste entier pour ce qui est de notre « génome silencieux », soit plus de 95 % de l'ADN qui semblent apparemment dénués de sens, car ils ne se laissent pas lire en gènes et ne correspondent pas au plan de fabrication des protéines. Autant dire adieu, du moins dans l'état actuel des recherches, aux espoirs d'établir une médecine à la carte, en fonction des seules particularités génétiques de chacun.