Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

Le débat sur l'insécurité fait un retour en force

De la réglementation des raves aux mesures antiterroristes, la question de l'insécurité fait un retour en force dans le débat politique alors qu'approchent les échéances électorales.

Faut-il ou non réglementer les raves, ces fêtes improvisées dédiées à la musique techno qui secouent de temps à autres la campagne française et initient les régions rurales les plus reculées à des mœurs urbaines par trop laxistes sinon délictueuse ? Le débat semble passionner les législateurs, sinon l'opinion, alors que le ministre de l'Intérieur Daniel Vaillant, après avoir fait voter en mai par le Sénat un texte réglementant les raves, doit reculer devant les vives critiques des députés de gauche. Signe de temps plutôt pacifiques, c'est en ces termes, somme toute anodins, que semble se poser alors le débat sur la sécurité. Mais il ne va pas tarder à apparaître comme un cache-misère, masquant un dossier sécuritaire que le gouvernement a toujours répugné à attaquer de front et qui s'impose avec d'autant plus de force que les chiffres troublent la relative sérénité affichée dans les villes et leurs banlieues.

Un réquisitoire contre le gouvernement

Le thème de l'insécurité opérait un retour en force à la faveur de la traditionnelle allocution du 14 juillet de J. Chirac qui, dans un réquisitoire contre le gouvernement, a mis l'accent sur les failles de sa politique de sécurité, reprenant ainsi les critiques adressées par l'opposition le 25 avril lors de la présentation du projet de loi de D. Vaillant sur la « sécurité quotidienne ». Ces critiques récurrentes de la droite, qui attaquait la gauche plurielle au défaut de sa cuirasse, auraient pu être mises sur le compte des premières passes d'armes électorales, à un an du scrutin présidentiel, dans un climat vicié par les tensions toujours plus vives dans la cohabitation. Mais les chiffres de la délinquance au 1er semestre 2001, publiés le 1er août, semblent donner raison aux inquiétudes présidentielles concernant une « insécurité croissante », en faisant état d'une hausse de 9,58 % de la criminalité. Les statistiques méritent certes d'être nuancées, puisque l'augmentation reflète autant l'activité des forces de l'ordre que celle des délinquants, dont les délits relèveraient par ailleurs de facteurs conjoncturels, comme la généralisation des téléphones portables, à l'origine de près d'un vol avec violence sur deux à Paris. On ne peut non plus négliger le fait que les vols, commis le plus souvent sans violence, contribuent pour près des deux tiers à la hausse constatée, alors que la tendance reste à la baisse pour les homicides. Mais dans un contexte marqué par un regain de violence en Corse, le gouvernement se doit de prendre en compte le sentiment d'insécurité croissant des citoyens, mais aussi des forces de police et de gendarmerie. D'autant que les chiffres de la délinquance se doublent de ceux, tout aussi inquiétants, d'un chômage en hausse et d'une croissance en baisse, qui trahissent les limites de l'action gouvernementale sur le front de la lutte contre la fracture sociale, que la gauche entendait réduire le plus possible. L. Jospin est ainsi rattrapé par le dossier de la sécurité, placé au cœur de la campagne présidentielle, et qu'il avait pourtant désigné, à son arrivée à Matignon en juin 1997, comme sa priorité avec l'emploi. Signe de cet engagement affirmé au colloque de Villepinte en octobre 1997, le gouvernement avait mis en œuvre des contrats locaux de sécurité, associant les élus locaux et l'État dans sa lutte contre l'insécurité, et promu la police de proximité.

Réconcilier la gauche avec la sécurité

Mais cet engagement, qui devait d'ailleurs beaucoup à l'ancien ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement, qui se faisait fort de « réconcilier la gauche avec la sécurité », s'avère insuffisant, comme en témoigne le malaise dans les rangs de la police. Celle-ci demande plus de moyens, afin de pouvoir faire face à la détermination accrue des délinquants qui la défient ouvertement, au bazooka s'il le faut, comme le 2 septembre lors d'une course-poursuite à Béziers. Cette audace inhabituelle serait encouragée par la loi Guigou du 15 juin 2000 sur la présomption d'innocence, en vigueur depuis le 1er janvier, qui ajoute à la grogne des policiers. Les attentats du 11 septembre devaient donner un caractère d'urgence aux préoccupations sécuritaires hexagonales, en conduisant la France à renforcer, comme ses partenaires européens, son arsenal législatif antiterroriste. Censé répondre aux attentes de la population en matière de protection publique, le texte de D. Vaillant sur la sécurité quotidienne, adopté le 31 octobre par l'Assemblée, ne parvient pas à apaiser le mécontentement policier, exacerbé par le meurtre le 16 octobre de 2 gardiens de la paix lors d'une intervention dans un cambriolage à Plessis-Trévise, qui porte à 7 le bilan des policiers tués depuis le début de l'année. Les syndicats de police, qui multiplient les manifestations en novembre, jugent insuffisantes les mesures du ministre. Les défenseurs des droits de l'homme sont tout aussi critiques à l'égard d'un dispositif législatif jugé opportuniste et hétéroclite, puisqu'il se contente d'assortir les dispositions sur la sécurité quotidienne, dont celle finalement acceptée sur les raves désormais soumises à une obligation de déclaration préalable, de mesures de circonstance contre la menace terroriste qui risquent, en pratiquant l'amalgame, de porter atteinte aux libertés et font redouter abus et dérapages.

Gari Ulubeyan

Pressions sécuritaires et respect des libertés

Le dispositif voté le 31 octobre s'est vu adjoindre 13 amendements destinés à lutter contre le terrorisme, valables deux ans, allant de la fouille des véhicules et perquisitions jusqu'au décryptage de communications chiffrées sur Internet en passant par l'autorisation accordée aux vigiles privés de contrôler les personnes et bagages dans les lieux sensibles. Les défenseurs des droits de l'homme s'inquiètent d'un texte fourre-tout qui tendrait à renforcer les pouvoirs de la police. Mais celle-ci n'y trouve pas son compte et dénonce les limites du texte sur la sécurité quotidienne.