Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

La chute annoncée du président indonésien Wahid

Premier président indonésien démocratiquement élu, Abdurrahman Wahid manquait, semble-t-il, du sens politique indispensable à l'exercice de cette fonction. Abandonné par l'ensemble de la classe politique, il a été destitué par un Parlement unanime.

« C'est un ouléma sage et tolérant, connu pour son libéralisme et sa défense de la laïcité de l'État, que l'Assemblée consultative du peuple (MPR), le collège électoral présidentiel, avait élu en octobre 1999. Vingt et un mois plus tard, le 23 juillet, c'est un homme isolé et unanimement conspué dont elle a prononcé la destitution, un dirigeant autoritaire et accroché au pouvoir, accusé d'incompétence et de corruption. Abdurrahman Wahid aura usé en moins de deux ans, dans l'exercice de la politique, son immense autorité morale.

C'est en vertu de cette autorité que « Gus Dur » –« oncle Gus », son surnom familier – avait été élu. Président du Nahdlatul Ulama, la puissante organisation de docteurs de la loi musulmane fondée par son grand-père, il « pesait » en effet bien plus que les 51 sièges sur 500 que son Parti du réveil national avait obtenus aux élections législatives, quatre mois plus tôt. Mais Abdurrahman Wahid devait surtout son élection à la manœuvre des petits partis musulmans qui entendaient faire obstacle à l'arrivée au pouvoir de Megawati Sukarnoputri. À la tête du Parti démocrate indonésien de lutte (PDI-P), la fille du Père de l'indépendance Sukarno avait remporté les élections, avec 184 sièges à l'Assemblée nationale (DPR), mais elle présentait le double inconvénient d'être une femme et de représenter un mouvement séculier. Celle-ci était finalement nommé à la vice-présidence, et le tandem qu'elle formait avec Abdurrahman Wahid semblait doté des meilleurs atouts pour sortir le pays de trente-quatre ans d'un pouvoir autocrate incarné par Suharto. Entre les élections de juin et le scrutin d'octobre, le dramatique épisode de la sécession du Timor-Oriental avait, semble-t-il, définitivement scellé le sort du Golkar au pouvoir depuis trois décennies ainsi que celui de l'armée.

Incapable de déléguer

Mais le tandem Wahid-Sukarnoputri n'a pas fonctionné. Impulsif et indiscipliné, convaincu d'être le seul à pouvoir combler le fossé existant entre nationalistes et islamistes, le chef de l'État s'est très vite avéré incapable de déléguer son pouvoir et d'écouter son entourage. Il est vrai qu'Abdurrahman Wahid disposait de peu d'alliés au sein de l'appareil d'État. L'administration et l'armée, purs produits du régime de Suharto, ne lui ont pas facilité les choses. Les militaires, notamment, qui demeurent partisans de la manière forte dans la lutte contre les séparatismes, ont vu d'un très mauvais œil ses tentatives de négociations, à Atjeh ou en Irian-Jaya. Son gouvernement même, reflet de la coalition hétéroclite qui le soutenait à l'Assemblée, a manqué de la plus élémentaire solidarité. Quant à l'Assemblée, elle a tenté de profiter de la faiblesse politique de l'exécutif pour imposer son pouvoir, alors que la Constitution indonésienne restait d'inspiration présidentielle. Le divorce définitif entre la présidence et le Parlement est intervenu lorsque le DPR a saisi l'occasion de l'éclatement de scandales financiers, dans lesquels Abdurrahman Wahid aurait été impliqué, pour le déstabiliser. Le Parlement lui a adressé deux avertissements, en février et en mai, mais n'est pas parvenu à apporter la preuve formelle de sa corruption.

Abdurrahman Wahid n'a rien fait non plus pour entretenir le soutien de sa très populaire vice-présidente, qui a progressivement pris ses distances. Quand il lui a offert, en mai, sous la pression du Parlement, de diriger le gouvernement, il était déjà trop tard. C'est à une très large majorité que le DPR a voté, le 30 mai, la convocation d'une session spéciale du MPR, seul instance habilitée à destituer le chef de l'État. Les manifestations, parfois violentes, des partisans du chef de l'État n'y ont rien fait, et ses menaces d'instaurer l'état d'urgence en cas de troubles n'ont contribué qu'à mettre en lumière son lâchage par l'armée et la police, qui ont affirmé qu'elles n'appliqueraient aucune décision de ce genre. Le 20 juillet, « Gus Du » a effectué une dernière manœuvre en forme de provocation, en confirmant dans ses fonctions le chef de la police par intérim, contre l'avis du DPR. Ce dernier a aussitôt convoqué le président. Abdurrahman Wahid a alors ordonné par décret aux forces de sécurité de « suspendre » le DPR et le MPR. Il a également annoncé des élections dans un délai d'un an. Mais la police et l'armée ont déclaré qu'elles assureraient la tenue de la session du MPR. Megawati Sukarnoputri a estimé le décret « illégal », ce qu'à bientôt confirmé la Cour suprême. Le 23, le MPR a voté à l'unanimité la destitution d'Abdurrahman Wahid et son remplacement par Megawati Sukarnoputri.