L'affaire Aussaresses

Dans Services spéciaux, Algérie 1955-1957, publié le 3 mai aux éditions Perrin, le général Paul Aussaresses (quatre-vingt-trois ans en 2001), ancien coordinateur des services de renseignement à Alger en 1957 auprès du général Massu, revient sur sa guerre d'Algérie. À la tête d'un commando qu'il qualifie lui-même d'« escadron de la mort », il reconnaît avoir assassiné et torturé.

Cet opposant forcené au mouvement nationaliste algérien, l'un des personnages clés de la bataille d'Alger, n'exprime aucun regret et assume tous ses actes. Affublé de multiples surnoms par les historiens, « commandant O », « Boisfeuras », « le Barbu », « général basses œuvres », il reste pour l'historien Pierre Vidal-Naquet le « chef de file d'une équipe de tueurs professionnels » et son livre, « les mémoires d'un assassin ».

Le livre et l'accablante confession

Dès le mois de novembre 2000, le général Aussaresses, son œil obturé et son absence de remords, occupe la scène médiatique. Interrogé par le journal le Monde, il déclare : « Je me suis résolu à la torture... j'ai moi-même procédé à des exécutions sommaires » et d'invoquer le caractère précis de sa mission de liaison entre police et justice, l'épisode du « coran électrique », les rapports consignés sur un gros cahier manifold des arrestations de la veille, lesquels étaient relevés par Massu, le général Salan (commandant en chef des forces armées) et le ministre Robert Lacoste (ministre résident). À la tête de son « escadron de la mort », il procède à des exécutions sommaires, tue froidement 24 hommes, ordonne qu'on procède à des actes de torture mais précise : « Je n'ai jamais torturé et pourtant je n'ai pas les mains propres. » Six mois plus tard, le jeudi 3 mai, sort en librairie Services spéciaux, Algérie 1955-1957. Le général Aussaresses va plus loin. Il reconnaît avoir personnellement torturé en 1957, en Algérie, l'avocat Ali Boumendjel et Larbi Ben M'Hidi, responsable du FLN à Alger. Il ajoute : « C'est efficace, la torture, la majorité des gens craquent et parlent. Ensuite, la plupart du temps, on les achevait. » Tout cela sans le moindre scrupule : « Des problèmes de conscience ? Non, je m'étais habitué à tout cela. » Ce sont les policiers de Philippeville, où il débarque en 1955 à trente-sept ans, à la 4e demi-brigade parachutiste, qui les premiers l'initient à la technique des interrogatoires « poussés », seul moyen à l'en croire d'obtenir des noms et de procéder rapidement aux arrestations. Après le massacre du 18 juin, il se débrouille seul : « C'était la première fois que je torturais quelqu'un [...] Si j'ai regretté quelque chose, c'est qu'il n'ait pas parlé avant de mourir. » Différentes méthodes sont utilisées : les coups, l'électricité, l'eau.

Le 3 avril, le Parlement français vote l'état d'urgence qui renforce les liens entre la police et les services militaires de renseignement. Aussaresses commente : « Une manière d'institutionnaliser ce que je pratiquais déjà officieusement. » Et puis vient la bataille d'Alger, les expéditions nocturnes, les exécutions expéditives dans les maquis « éloignés » et les interrogatoires à la villa des Tourelles, le quartier général. Rares étaient les prisonniers qui se retrouvaient vivants le lendemain. « La torture était tolérée, sinon recommandée », précise Aussaresses.

Lee conséquences judiciaires

En réaction au détachement total qui imprègne ses écrits, et donc pour son livre plus que pour ses actes, la justice rattrape le général. Le 17 mai 2001, à la suite d'une plainte de la Ligue des droits de l'homme (LDH) pour « apologie de crimes de guerre », le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire visant l'ancien officier. L'apologie de crimes de guerre est un délit passible d'une peine maximale de cinq ans de prison et de 300 000 F d'amende. Crimes de guerre : la qualification est immédiatement contestée et jugée trop faible par les associations qui reprochent au procureur de Paris, Jean-Pierre Dintilhac, de ne pas avoir retenu la possibilité de poursuites pour « crimes contre l'humanité ». Ce dernier se défend en avançant que la notion de crimes contre l'humanité ne s'applique en France qu'aux faits postérieurs à 1994 ou commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Il ne convainc pas. Il reste que les crimes de guerre étant prescrits au bout de dix ans (et ceux de la guerre d'Algérie, couverts par la loi d'amnistie du 31 juillet 1968), des poursuites plus directes pour tortures et assassinat sont impossibles. En conséquence, l'ancien officier ne peut être poursuivi que pour un délit « annexe ». Son procès est fixé les 26, 27 et 28 novembre par le tribunal correctionnel de Paris. Par ailleurs, le MRAP (mouvement contre le racisme) et Josette Audin, veuve d'un militant communiste disparu à Alger en 1957, déposent également plainte. Pour « enlèvement et séquestration » dans le cas de la veuve. Un moyen de contourner la prescription, les disparus étant supposés vivants, l'infraction est toujours en cours. Le général ne se laisse pas impressionner. Il répond à ses détracteurs dans le journal le Monde : « On eût aimé que, cédant à l'air du temps, je fisse acte de repentance. Eh bien, je ne le fais pas, car ce comportement est contraire à l'histoire. » Le très médiatique avocat Gilbert Collard assure sa défense.