Journal de l'année Édition 2002 2002Éd. 2002

République démocratique du Congo : Kabila tué par ses « enfants »

Principalement victime de son despotisme, le président Laurent-Désiré Kabila est tombé sous les balles de membres de sa garde rapprochée qui le jugeaient traître à la rébellion contre Mobutu.

À un ami étranger qui l'avait prévenu du danger que représentaient selon lui les « chiens fous » composant sa garde rapprochée, Laurent-Désiré Kabila avait répondu : « Mais non, ils ne me feront jamais rien. Ils sont avec moi depuis le début. Ce sont mes enfants. » C'est pourtant l'un de ces « enfants » qui l'a tué de plusieurs balles, le 16 janvier, dans son bureau du Palais de marbre, à Kinshasa, bras armé d'un improbable complot destiné à renverser le régime du despote.

Le « parricide »

Ces « enfants-soldats » – les « kadogos » – sont ces jeunes combattants qui se sont engagés dans la rébellion contre le président Mobutu Sese Seko, partie de l'est du pays en octobre 1996. Ils sont restés le symbole de l'entrée triomphale de Kabila dans Kinshasa, en mai 1997. Toutefois, certains d'entre eux ne lui pardonnaient déjà pas l'élimination, en janvier, de l'un des quatre chefs de la rébellion, André Kisase Ngandu, président du seul mouvement armé de résistance au régime de Mobutu, le Conseil national pour la résistance et la démocratie, (CNRD). De porte-parole de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL), Kabila en était alors devenu président ; il avait nommé ses deux derniers compagnons d'armes, Déogratias Bugera et Anselme Masasu Nindaga, respectivement secrétaire général et chef d'état-major, c'est-à-dire, pour le second, « père » des kadogos.

Dans l'euphorie des mois suivant la chute de Mobutu, les kadogos servent fidèlement Kabila. Ils approuvent sa rupture avec ses anciens alliés rwandais et ougandais, en 1998. Mais les difficultés s'amoncèlent bientôt au-dessus du Palais de marbre. Les revers diplomatiques et militaires de l'année 2000 commencent à faire peser sur Kinshasa une atmosphère de fin de règne. La peur et la paranoïa gagnent du terrain. En octobre, le commandant Masasu est accusé d'avoir tenu des propos subversifs devant ses troupes de kadogos. De nombreux autres responsables originaires de l'est du pays sont arrêtés. Masasu est exécuté en novembre. Quelques jours plus tard, les troupes de Kabila subissent leur plus sévère défaite militaire face à l'armée rwandaise : ayant appris la mort de Masasu, les kadogos ont déserté le front en nombre. Bientôt, la terreur contre les civils et les militaires originaires de l'Est, orchestrée par les milices du Katanga, région méridionale où est né Kabila, prend un tour systématique.

Chez les kadogos, la révolte l'emporte alors sur la soumission. Le sous-lieutenant de la garde présidentielle, Rachidi Kasereka, prend l'initiative du « parricide ». Les préparatifs sont sommaires. Les insurgés pensent que, une fois Kabila éliminé, le régime s'écroulera de lui-même. Le 16, après avoir posté des hommes aux abords du bâtiment pour couvrir leur retraite, Rachidi Kasereka et un autre kadogo entrent dans le palais présidentiel. C'est ce dernier qui tue Kabila dans son bureau, avant de disparaître. Rachidi Kasereka, qui couvre leur fuite, est tué. C'est lui qui sera présenté comme l'assassin.

Rien ne s'écroule à Kinshasa

Le lendemain, la presse commente l'assassinat de... Patrice Lumumba, le père de l'indépendance, éliminé quarante ans plus tôt, le 17 janvier 1961. La mort de Kabila ne sera officiellement annoncée que le 18. Les rumeurs les plus variées courront sur les responsables de l'assassinat. On parlera d'une action conduite par les ennemis rwandais ou ougandais... ou encore par les alliés angolais, soucieux de remplacer un Kabila intransigeant par un dirigeant plus docile.

Rien ne s'écroule à Kinshasa, comme l'espéraient les kadogos, à la suite de la mort de Kabila. L'aide de camp du président, Eddy Kapend, apparaît aussitôt à la télévision pour appeler la population au calme. Le 17 février, alors que Kabila est prétendu seulement « blessé », les cadres du régime se réunissent pour porter le fils de Laurent-Désiré Kabila, Joseph, qui est chef d'état-major de l'armée de terre, à la tête de l'État et de l'armée. Ce choix semble avoir été imposé par le numéro deux du régime, le ministre des Affaires intérieures, Gaétan Kadudji, cousin du président défunt, avec l'accord d'Eddy Kapend, « l'homme des Angolais » à Kinshasa. Joseph Kabila est encadré de proches de son père. Le Parlement le proclamera président à l'unanimité le 24, au lendemain des funérailles solennelles de Laurent-Désiré Kabila à Kinshasa.