Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

La réforme de la justice déboutée par l'Élysée

Le 18 janvier, Jacques Chirac annule la convocation du Congrès, qui devait se prononcer, six jours plus tard, sur la révision constitutionnelle relative au Conseil supérieur de la magistrature, préalable à la réforme de la justice.

La réforme de la justice a vécu. Trois ans après avoir mis en chantier « la grande réforme de son septennat », le président de la République lui a porté le coup de grâce le 18 janvier, en reportant sine die la convocation du Congrès qui devait entériner, le 24, la révision d'un article de la Constitution modifiant la composition et les attributions du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et ouvrant la voie à une émancipation du parquet par rapport au pouvoir politique.

Au cœur de cette réforme défendue par la ministre de la Justice Élisabeth Guigou en concertation avec Jacques Chirac, l'indépendance de la justice, appelée de ses vœux par l'opinion et jouissant d'une apparente unanimité dans la classe politique, aura donc été sacrifiée sur l'autel d'intérêts politiciens exprimés par la majorité des sénateurs et des députés de droite. Le chef de l'État a d'ailleurs mis en avant « la persistance de blocages qui risquent de mettre en cause la réforme de la justice » pour annuler la réunion du Congrès à Versailles, argument repris par Lionel Jospin qui a contresigné sans difficulté le décret présidentiel par souci de ne pas voir « s'enliser » la réforme et d'éviter une crise majeure au sommet de l'État.

Une réforme controversée

Car, au-delà de ses charmes très théoriques, l'idée d'une autonomie des procureurs, autrement dit la possibilité offerte aux magistrats d'exercer leur fonction en se libérant de la tutelle plus ou moins discrète des gouvernants, s'est heurtée à l'heure de sa concrétisation à l'opposition des acteurs politiques, à droite bien sûr, mais aussi à gauche, où elle n'avait pas que des partisans. L'état de dispersion de la droite n'a fait qu'encourager les réserves de ses composantes ; même le RPR, partagé depuis le début, a finalement fait faux bond à J. Chirac, sous le prétexte que la réforme soumise au Parlement émane du gouvernement et non de l'Élysée.

Se retranchant derrière des arguments procéduriers qui l'amènent à exiger l'examen des textes annexes déterminant l'application pratique de la réforme avant de voter la révision constitutionnelle concernant le CSM qu'elle avait pourtant approuvée quinze mois avant, la droite en profite pour régler ses comptes avec la cohabitation, au risque d'accroître l'isolement du chef de l'État. Non sans arrière-pensées, tant le spectre des affaires a plané sur cette procédure dont l'échec trahit la méfiance de la classe politique à l'égard du pouvoir judiciaire, la situation du président de la République dans l'affaire des emplois fictifs du RPR n'étant peut-être pas indifférente. C'est la deuxième fois en vingt-sept ans qu'un président interrompt une procédure constitutionnelle qu'il avait lui-même engagée : en 1973, Pompidou avait dû renoncer au quinquennat. Alors que ce dernier revient au devant de la scène, J. Chirac pourrait être amené à convoquer un référendum à ce sujet. Il pourrait faire la même chose pour la réforme de la justice.

U. G.

Un rendez-vous manqué

Initiée par le chef de l'État, élaborée par la ministre de la Justice, appuyée par la plupart des parlementaires et approuvée par 77 % des Français selon un sondage Sofres, la réforme constitutionnelle sur le CSM a buté dans la dernière ligne droite sur la formalité du Congrès. La mauvaise volonté de la classe politique, qui n'était pas prête à accorder son indépendance à la justice, est en cause dans cet échec. La collaboration de Jacques Chirac et d'Élisabeth Guigou, qui a rédigé les 5 projets de loi censés moderniser le système judiciaire, s'est pourtant bien passée. En novembre 1998, le Sénat votait le projet de révision constitutionnelle déjà approuvé par l'Assemblée. Restait au Congrès à mener la révision à son terme. J. Chirac refusera de le convoquer, posant comme condition que deux autres textes, relatifs aux relations entre la Chancellerie et le parquet ainsi qu'à la présomption d'innocence, soient d'abord examinés par les deux assemblées. Le 27 octobre 1999, J. Chirac annonce la convocation du Congrès pour le 24 janvier 2000. Mais ces longueurs ont rallumé l'hostilité de ses amis politiques pour la réforme, dont subsiste un seul des sept volets, celui sur la présomption d'innocence, voté le 10 février en deuxième lecture par l'Assemblée.