La cohabitation à l'épreuve

La course à l'Élysée est lancée. L'an 2000, année du nouveau millénaire et du siècle qui s'ouvre, aura été marqué en politique française par un net durcissement de la cohabitation. À deux ans de l'élection présidentielle, scrutin majeur de la vie démocratique du pays, les relations entre les deux têtes de l'exécutif se sont dégradées. Qu'il s'agisse de la réforme des Institutions, de la crise de la vache folle, du statut de la Corse ou des affaires politico-judiciaires, le président de la République et son Premier ministre socialiste se sont affrontés. Souvent. Et parfois durement.

Lionel Jospin et Jacques Chirac sont dans les starting-blocks. Mais si à gauche, les ambitions au sein de la majorité plurielle ne semblent pas en mesure d'inquiéter véritablement la légitimité de son champion, le Premier ministre, à droite, la donne semble plus précaire pour le chef de l'État.

À droite, un président contesté

Affaibli depuis la désastreuse dissolution de l'Assemblée nationale qu'il a provoquée, en 1997, mis en cause directement dans le financement occulte de son ancien parti le RPR (les révélations contenues dans la fameuse cassette Méry) et dans les emplois fictifs de la mairie de Paris, son ancien fief, Jacques Chirac est ouvertement contesté. Et son leadership sur l'opposition battu en brèche. Après Charles Pasqua, président du Rassemblement pour la France (RPF), François Bayrou, président de l'UDF, et Alain Madelin, président de Démocratie libérale, se sont déclarés candidats à l'Élysée, en 2002.

Et pas question pour le président de la République de tenter de trouver une quelconque aide auprès du RPR. Le mouvement gaulliste, en crise depuis la dissolution ratée et la brutale démission de Philippe Séguin, en 1999, n'arrive pas à surmonter ce double traumatisme. Un an après son élection, sa nouvelle présidente Michèle Alliot-Marie semble bien démunie. Tous les ténors, d'Alain Juppé à Édouard Balladur en passant par Nicolas Sarkozy, restent prudemment en retrait. Du moins en dehors. La prochaine municipale, en mars 2001, à la mairie de Paris contribue à la confusion dans la famille gaulliste. Exclu du parti, le maire sortant Jean Tiberi fait de la résistance et se maintient. Or le candidat officiel Philippe Séguin, député d'Épinal, peine pour imposer son style et rassembler la droite parisienne. Pour la première fois depuis 1977, année de la première élection de Jacques Chirac à l'Hôtel de Ville, la gauche se met à rêver. Et la majorité municipale à trembler.

À gauche, l'usure du pouvoir

Certes, après trois ans et demi de cohabitation, Lionel Jospin n'est pas non plus indemne. Exposé en première ligne, il connaît lui aussi l'usure du pouvoir. Sa « dream-team », comme était surnommée son équipe gouvernementale initiale de 1997, a vécu. Après le départ, en 1999, de son puissant et populaire ministre de l'Économie, Dominique Strauss-Kahn, mis en examen dans différentes affaires dont celle de la Mnef, d'autres poids lourds ont dû (ou ont voulu) partir. En mars, sous la pression des enseignants, Jospin a dû se séparer de son ami de toujours, Claude Allègre, encombrant ministre de l'Éducation. Et du pâle successeur de « DSK » à Bercy, Christian Sautter, incapable, face aux syndicats maison, d'imposer la réforme attendue de sa tentaculaire administration. Des mitterrandistes « historiques » font alors leur entrée dans le gouvernement de celui qui réclamait un « droit d'inventaire » sur le bilan de l'ancien président socialiste. D'abord, le rival de toujours, Laurent Fabius. Il investit le ministère de l'Économie et des Finances. Ensuite, Jack Lang. Il joue, avec bonheur, les casques bleus à l'Éducation nationale en ne bousculant pas, comme son prédécesseur, le « Mammouth ».

Mais pour le Premier ministre, l'hémorragie gouvernementale ne s'arrête pas là. En août, en désaccord avec les accords dit « de Matignon » sur le nouveau statut de la Corse, accordant à terme à l'île une plus large autonomie, le bouillonnant et très républicain Jean-Pierre Chevènement claque la porte avec fracas. Il est remplacé par Daniel Vaillant au ministère de l'Intérieur. L'homme est sûr. Mais nettement moins charismatique que son prédécesseur.