Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Rien ne va plus dans l'économie casino des paradis fiscaux

Pour cause de législation financière trop laxiste, une quarantaine de pays sont mis à l'index par la communauté internationale. Les paradis fiscaux, havres traditionnels pour le blanchiment de l'argent des activités criminelles, ne sont plus ce qu'ils étaient...

Cette fois-ci, le voile est levé. Dans le courant de l'année 2000, trois rapports d'institutions internationales ont épingle une quarantaine de pays pour leurs législations fiscales et financières, jugées favorables à l'accueil de capitaux d'origine douteuse. En mai, c'est d'abord le Forum de stabilité financière, émanation du G 7, qui a établi une liste de 42 « paradis fiscaux », parmi lesquels figuraient des nations européennes aussi respectables que le Luxembourg, l'Irlande ou la Suisse. En juin, ce fut au tour du Gafi (Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux) de publier une « liste noire » de 15 pays situés notamment dans les Caraïbes (Bahamas, République Dominicaine...), le Pacifique (Nauru, îles Marshall...) ou le Proche-Orient (Israël, Liban), et comprenant aussi le Liechtenstein, les Philippines et la Russie. Enfin, la semaine suivante, l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) rendait publique sa liste de 35 pays non « coopératifs » en matière d'échanges d'informations financières et incriminait, outre les exemples précédents, des territoires sous souveraineté américaine (îles Vierges), britannique (îles anglo-normandes, Gibraltar...) ou fortement liés à la France (Monaco, voir encadré).

Recycler l'argent sale

L'inquiétude des institutions internationales est légitime : on considère que la moitié des flux de capitaux internationaux passe ou réside dans les pays visés. Certes, les dispositions fiscales préférentielles de ces pays n'ont rien d'illégal. Mises en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elles ont souvent pour but d'attirer l'épargne internationale dans le cadre d'une simple stratégie de développement. Mais leur pratique du secret bancaire et des sociétés offshore (dont le propriétaire confie anonymement la gestion à un administrateur) permet aux non-ressortissants de placer des fonds incognito, et d'échapper ainsi à la législation fiscale de leur pays. Progressivement, ces dispositions sont devenues le paravent idéal pour recycler l'argent issu d'activités criminelles (trafic de drogue, proxénétisme...), ou encore pour détourner une partie de l'aide au développement.

Aujourd'hui, estime le Fonds monétaire international (FMI), l'affaire a pris de l'ampleur. Depuis une décennie, le montant des fonds illicites accueillis par les paradis fiscaux augmente chaque année de 6 %, du fait notamment de la mondialisation économique et d'une plus grande liberté de circulation des capitaux. Au total, les sommes en jeu se montent environ à 1 000 milliards de dollars, entre 2 % et 5 % du PIB mondial. Il était donc temps de réagir. Pour l'heure, les mesures prises par les institutions internationales n'ont pas valeur coercitive, les banques étant simplement invitées à « prêter une attention particulière aux transactions » conclues avec les personnes des pays incriminés. Mais, à l'horizon 2005, l'objectif de l'OCDE reste bien la suppression des législations favorisant le blanchiment. À cette fin, les paradis fiscaux se verront supprimer l'aide économique s'ils ne se sont pas engagés, d'ici le 31 juillet 2001, à modifier en profondeur leur régime fiscal et financier.

B. B.

Monaco, complaisance française

Dans un rapport au titre accusateur « Principauté de Monaco et blanchiment : un territoire complaisant sous protection française » –, la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la délinquance financière en Europe a fait éclater au grand jour quelques secrets financiers bien gardés. Selon le rapport, rédigé par le député socialiste Arnaud Montebourg, la Principauté constitue « un centre offshore » doté d'une « législation fiscale » et d'un « mode de coopération judiciaire » qui sont « favorables au blanchiment ». Constatant que les dépôts dans les banques monégasques ont augmenté de 27 % en 1999 pour atteindre 331 milliards de francs, le rapport s'inquiète du manque de vigilance des autorités de contrôle françaises détachées sur le Rocher. La France se rend responsable d'une telle situation, estime le rapport, et devrait « envisager la remise à plat » de ses accords avec Monaco.