Paradoxalement, c'est sur le volet militaire, si longtemps délaissé, que se font les avancées les plus significatives. Stimulée par le constat de ses défaillances lors de la guerre du Kosovo, l'UE, dont la France occupe depuis juillet la présidence, construit sa défense de sommet en sommet, de capitale en capitales Auparavant Paris se sera fait remarquer pour son empressement à mettre l'Autriche au ban de l'Union européenne après l'entrée au gouvernement de Jörg Haider, leader de l'extrême droite. Beaucoup de bruit pour rien. Désagréable exemple pour les « petits » États de l'Union qui auront eu le sentiment d'une ingérence pleine de morgue. N'ira-t-on pas jusqu'à faire la leçon au gouvernement italien au sujet des Ligues régionalistes ? Même attitude, sans plus de résultats, à l'égard de la Russie de Vladimir Poutine. Le nouveau président démontre un activisme remarquable sur la scène internationale : tournée en Europe, en Inde, en Corée du Nord et, pour finir, chez le vieux complice cubain. Les ventes d'armes s'intensifient. Toutefois la reprise en main centralisatrice ne va guère dans le sens d'une démocratie qui n'a jamais vu le jour en dépit des efforts des associations de citoyens qui cherchent à enraciner une véritable société civile.

Le naufrage du sous-marin Koursk, en août, prend valeur de symbole des difficultés de la Russie. Après tant d'autres, Poutine entreprend de réformer l'armée russe à laquelle il a laissé carte blanche pour réduire le « terrorisme séparatiste » tchétchène. Transformée en ruines, la république autonome panse ses plaies après une victoire plus officielle que réelle. Grozny investie a été prise et la guerre est finie. Mais le chef rebelle Chamil Bassaïev reste actif, tandis que l'ancien président Aslan Mashkadov poursuit son propre jeu. Plus discrètes, les opérations militaires se poursuivent.

Sur le continent latino-américain, la légitimité gouvernementale a encore bien du mal à se trouver des fondements. Tandis qu'au Pérou l'ère Fujimori se termine dans la confusion, le vieux système politique du Mexique achève de craquer : un nouveau deal devient possible. Les rebelles du sous-commandant Marcos sont prêts à sortir du maquis. Bel exemple d'interconnection mondiale : les reporters du monde entier auront fait le voyage sur l'île philippine de Jolo, théâtre pendant trois mois d'une prise d'otages par une guérilla islamiste. L'affaire prend fin grâce à l'intercession du président Mohammar Khadafi au moment même où s'achève l'interminable processus de jugement des agents libyens responsables de l'attentat contre la Pan Am 103 (Lockerbie).

Même dans les zones où la stabilité semble la plus solidement installée, les contestations régionalistes les plus violentes persistent : en Corse, en Irlande du Nord, au Pays basque enfin, qui voit une nouvelle génération de l'ETA reprendre le combat.

Les irréductibles instabilités : Afrique et Moyen-Orient

L'Afrique reste sauvage : le Liberia de Charles Taylor aura fait figure de perturbateur vers la Sierra Leone et vers la Guinée. Diamants et conflits ethniques continuent à faire trop bon ménage. En Côte d'Ivoire, longtemps épargnée, le tumulte s'est installé. Coup d'État militaire, élections présidentielles contestées, élections législatives dans un climat d'implosion ethnique entre le Sud et le Nord. Au terme d'une guerre effroyablement meurtrière, l'Érythrée et l'Éthiopie respectent un cessez-le-feu que viennent garantir les casques bleus. Ces nombreux conflits limités et souvent oubliés occupent constamment l'ONU. À l'occasion du millénaire, l'organisation aura reçu les chefs d'État du monde entier. Avec en toile de fond un rapport complet (Brahimi) sur l'insuffisance de ses moyens, ses carences de fonctionnement et ses indispensables réformes. Faute de mieux, les observateurs demeurent sur les hauteurs du Golan, où rien ne bouge faute d'un accord avec le président syrien Hafez el-Assad qui, à sa mort, laisse à son fils tous les éléments d'une impasse. Cet échec n'empêche pas Israël de maintenir son intention de retirer ses troupes du Sud-Liban. Opération réalisée par surprise trois mois avant la date annoncée. Avec prudence, les combattants du Hezbollah triomphent. La suite des événements confirme l'extrême instabilité de la situation. Seconde Intifada ou quatrième guerre israélo-arabe, l'affrontement commencé en octobre entre Israéliens et Palestiniens semble en mesure d'enclencher une crise de dimension mondiale, qui ravive la peur énergétique.

Le grand bouc émissaire

Ultime fantasme : l'hégémonisme américain, la spectaculaire et tentaculaire saisie du monde par l'hyperpuissance. Certes l'Iran ne condamne plus le « Grand Satan », pourtant, dès qu'un problème surgit, chacun regarde vers les États-Unis. Plus narcissiques que jamais, ceux-ci auront feint de se passionner pour un petit boat people cubain (Elian) ramené à Miami et que, de Cuba, son père réclame. Casse-tête juridique aussitôt oublié sitôt que résolu, il est vrai, par une attaque en force des troupes du FBI, comme dans un film de John Woo. La volonté affichée par les républicains de déployer dès que possible une défense antimissile du territoire national n'a fait qu'alimenter ces interrogations angoissées. Hégémonisme, isolationnisme, remise en cause des équilibres stratégiques, relance de la course aux armements. Toutes les opinions et leurs contraires auront qualifié ce programme, version dégradée de la « guerre des étoiles » de 1983, qui aura seulement prouvé qu'il était encore à des années (peut-être lumière) d'être efficace.