Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

La France part en campagne contre la « vache folle »

Alors que les risques épidémiologiques liés à la forme humaine de la maladie de la vache folle alimentent la psychose, Lionel Jospin annonce le 14 novembre un vaste plan de lutte visant à endiguer l'extension de la maladie dans le cheptel et à apaiser les craintes des consommateurs.

Grisés par la croisade lancée un an plus tôt à grands renforts de publicité contre cette « malbouffe » venue d'outre-Atlantique, accusée de polluer nos assiettes en en chassant les produits de notre terroir, les Français se réveillent aujourd'hui avec la gueule de bois. La querelle très médiatique sur le contenu de nos assiettes apparaît désormais comme un débat de santé publique majeur, investissant rapidement le champ politique et économique français et européen alors que l'opinion réalise la gravité des incidences sur la santé humaine des comportements alimentaires de l'homme. Oublié le bœuf américain aux hormones qui avait défrayé la chronique agricole européenne l'an passé et valu aux produits agroalimentaires français de sévères mesures de représailles sur le marché américain ! Le spectre de la vache folle, d'un label bien européen cette fois, revient hanter nos assiettes, rappelant que le prion, cet agent de contamination des farines animales consommées par les bovins et dont les effets mortels sur l'homme ont été identifiés pour la première fois en 1996 en Grande-Bretagne, ne connaît pas de frontières, malgré leur fermeture pour ce qui concerne en tout cas la France, qui avait maintenu, envers et contre tous les Européens, son embargo sur le bœuf britannique. Retransmises en septembre par le petit écran, les images difficilement supportables de l'agonie de malades anglais atteints de la forme humaine de la maladie de la vache folle, le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, alimentent dans l'opinion un profond malaise qui prend vite l'allure d'une psychose collective.

Les farines animales

Depuis l'apparition des premiers cas fin 1995 en Grande-Bretagne, aire de dissémination et de propagation présumée du mal, quelque 84 personnes sont décédées outre-Manche de cette maladie qui provoque la dégénérescence des fonctions cérébrales. Deuxième pays européen atteint avec le Portugal, la France, dont le cheptel est beaucoup moins infecté par l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) que le bétail britannique, ne fait alors état que de deux cas de nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ; mais la révélation plus médiatisée d'un troisième cas au moins, aggravée par les rapports des spécialistes selon lesquels l'épidémie n'en serait qu'à ses tout débuts et les informations confirmant la présence persistante, même infime, de farines animales dans l'alimentation du bétail, concourt à alarmer l'opinion et les consommateurs français, qui se détournent de la viande de bœuf, et soupçonnent les pouvoirs publics de ne pas prendre les mesures suffisantes pour endiguer le fléau. Une plainte commune a d'ailleurs été déposée par deux familles concernées pour notamment « empoisonnement et homicides involontaires ». Alors que les appels pressants de l'Élysée en vue de l'interdiction des farines animales tendent à alimenter la suspicion à l'égard du gouvernement, donnant un tour plus politique à l'affaire, Lionel Jospin monte au créneau le 14 novembre pour annoncer un vaste plan de bataille contre la vache folle, qui s'appuie sur la suspension immédiate de l'utilisation des farines animales étendue à l'alimentation des porcs et des volailles, principal volet du dispositif gouvernemental.

Le plan de bataille du gouvernement

Ce dispositif, qui pourrait coûter plusieurs milliards de francs par an, prévoit aussi la création d'une « cellule opérationnelle » en liaison avec l'Agence française de sécurité des aliments (Afsa), chargée de recenser les sites de stockage et d'incinération des farines animales ; le gouvernement entend également renforcer les contrôles « sur l'ensemble de la chaîne alimentaire » dont il poursuit le retrait des « tissus à risque » et en premier lieu les abats, tout en étudiant des mesures visant à « un retrait spécifique de certaines catégories d'animaux ». Enfin, les moyens consacrés à la recherche sur le prion seront triplés dès 2001 et un plan de soutien financier aux éleveurs ou aux entreprises frappés par cette crise est prévu. Quant à un dépistage systématique de l'ESB étendu à l'ensemble des animaux consommés et non seulement « à risques », tel qu'il avait été réclamé par Jacques Chirac, le programme du gouvernement lui préfère des tests pratiqués de manière aléatoire sur des bovins intégrant la chaîne alimentaire. Le gouvernement, soupçonné parfois d'avoir succombé à l'effet d'annonce dans sa « compétition » avec l'Élysée, ne parvient que partiellement à son objectif de rassurer l'opinion. Obéissant à un souci de transparence, l'état des lieux objectif du cheptel bovin français et les mesures de lutte contre la maladie provoquent même un phénomène de panique et de rejet de la part des autres pays européens, singulièrement l'Autriche, l'Espagne et l'Italie, qui décrètent l'embargo sur les importations de bœuf français. Mais la France parvient à conjurer la menace d'un ostracisme de la part de l'Europe lors de la réunion du Conseil agricole de l'UE qui s'est achevée le mardi 21 novembre sur un accord a minima dans le dossier de la vache folle. Les pays européens ont répondu en partie aux inquiétudes de la France en décidant d'étendre dès le 1er janvier 2001 les tests de dépistage à tous les bovins dits « à risques » (bovins malades ou morts dans des conditions douteuses) et éventuellement, dans les six mois qui suivent, aux bovins de plus de 30 mois entrant dans la chaîne alimentaire. Par ailleurs, les États membres qui ont prononcé l'embargo contre les produits bovins français devront se justifier devant la Commission de Bruxelles. Mais, malgré ce geste à son égard, la France estime qu'on lui fait payer chèrement le prix d'un « principe de précaution » qu'elle affirme suivre à la lettre et avec plus de vigilance que ses partenaires européens. Les intérêts financiers prévalent dans l'attitude de Bruxelles, comme en témoigne son refus de suivre la France sur la généralisation d'une interdiction des farines animales, trop coûteuse sur le plan financier. L'Allemagne s'y résignera pourtant sans discuter dès l'annonce de l'apparition, le 26 novembre, des premiers cas de vaches folles dans son cheptel, qui confirme le caractère européen de la crise et appelle des mesures communes d'urgence. Mais quant à interdire les fameuses farines animales, la commission européenne, derrière le commissaire à l'agriculture, l'Autrichien Frantz Fischler, y reste farouchement opposée, et récuse en tout état de cause, s'il fallait les remplacer, l'éventualité de renégocier les accords dits de Blair House conclus avec les Américains dans le cadre de l'OMC, qui limitent le développement des cultures de protéines végétales de type soja sur le sol européen pour alimenter le bétail. En d'autres termes, l'Europe restera tributaire des plantes américaines, quand bien même elles seraient transgéniques...