Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Mais, au lendemain de l'élection du 22 octobre, la machine s'est grippée. La Commission nationale électorale, qui avait commencé à annoncé les résultats, a rapidement interrompu ses travaux. Le lendemain, alors que les chiffres partiels donnaient L. Gbagbo vainqueur, le ministre de l'Intérieur a déclaré R. Gueï élu. C'était sans compter sur la capacité de mobilisation du leader du FPI, qui en a immédiatement appelé à la rue. En moins de deux heures, les principales artères de la capitale ont été investies par des centaines de milliers de personnes réclamant le départ de R. Gueï. Le lendemain matin, la foule a de nouveau pris d'assaut le centre-ville, affrontant sans armes des militaires tirant à balles réelles. Le rapport de force n'allait pas tarder à changer, avec le ralliement progressif d'une partie, puis de l'ensemble de l'armée. En fin de journée, les derniers membres de la garde présidentielle s'étaient évanouis dans la nature, alors que les principaux hauts responsables militaires faisaient allégeance à L. Gbagbo. Les Ivoiriens n'étaient pourtant pas au bout de leur surprise. Furieux de l'issue d'un scrutin dont leur poulain avait été exclu, les militants du RDR, pour la plupart originaires du Nord musulman, sont descendus à leur tour dans la rue. La réaction des militants du FPI, soutenus dans certains cas par les forces de l'ordre, a été implacable. Une véritable bataille rangée a commencé dans plusieurs quartiers de la capitale économique, Abidjan, et dans d'autres villes du pays. Mosquées et églises brûlées, exécutions sommaires, chasse anti-nordiste : le calme est revenu le 25, à la suite de l'appel lancé par les dirigeants du FPI et du RDR quelques minutes à peine avant l'investiture du nouveau président.

Le bilan est tout de même effrayant. En un peu plus de trois jours, près de 200 personnes ont trouvé la mort, dans un pays peu coutumier d'une telle violence. Et c'est une Côte d'Ivoire profondément meurtrie et divisée dont a hérité L. Gbagbo. Dès les jours qui ont suivi, les nouvelles autorités ont lancé des initiatives en faveur d'une réconciliation nationale, mais il est encore trop tôt pour savoir si cette tâche immense est possible dans un pays qui, il n'y pas si longtemps, était encore présenté comme un modèle d'ouverture.

Christophe Champin

Laurent Gbagbo : socialiste et populiste

Professeur d'histoire, originaire de l'Ouest ivoirien, Laurent Gbagbo fut l'un des premiers à tenir tête à Félix Houphouët-Boigny, dirigeant redoutable pour sa capacité à éliminer ses adversaires par la ruse ou par la force. Syndicaliste, il connaît ses premiers déboires au début des années 70. Il est envoyé dans un camp militaire où il rencontre un certain Robert Gueï. Après son retour à la vie civile, il enseigne à l'Institut d'histoire d'Abidjan, dont il prend la direction en 1980. Dans la clandestinité, il crée le Front populaire ivoirien (FPI) avec quelques amis, avant d'être contraint à l'exil, en France, jusqu'en 1988. Il y noue de solides contacts à gauche, notamment avec l'actuel responsable Afrique du Parti socialiste, Guy Labertit. En 1990, il se présente aux premières élections multipartites, où il obtient 18 %, face au vieux président. Cinq ans plus tard, il boycotte, tout comme Alassane Ouattara, une présidentielle jouée d'avance. Mais, en 2000, L. Gbagbo n'a pas voulu laisser passer sa chance. Rompant une alliance conclue avec le leader du RDR, le futur président a joué un jeu dangereux en flirtant avec les thèses nationalistes de la junte ivoirienne. Et, à cinquante-cinq ans, il a fini par obtenir ce pour quoi il se bat depuis trente ans.