Le quinquennat par la petite porte

Appelés aux urnes le 24 septembre, au terme d'une campagne sans passion et éclipsée par l'affaire corse, les Français ont approuvé par référendum la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans. Mais la révision de l'article 5 de la Constitution n'étant pas apparue comme une priorité à leurs yeux, la majorité des Français s'est déclarée indifférente à la question posée : la large victoire du « oui » a été éclipsée par un taux d'abstention record, près de 71 %.

La réduction à cinq ans du mandat présidentiel défendue par Jacques Chirac et Lionel Jospin a été approuvée par quelque 73 % des suffrages exprimés, mais 70,81 % des Français se sont abstenus et plus de 5 % des inscrits ont choisi de déposer un bulletin blanc ou nul. Le taux d'abstention, sans précédent dans l'histoire de la Ve République, a pulvérisé le précédent record enregistré en 1988 pour le référendum sur la Nouvelle-Calédonie. Les sondages indiquent que les électeurs ont boudé ce référendum parce qu'il portait sur un sujet institutionnel dont ils ne percevaient pas l'enjeu et qui était éloigné de leurs préoccupations. Il est vrai que la campagne des partis politiques a été timide et que les porte-parole du « oui » ont adopté une attitude très en retrait. Empêtré dans les difficultés de la rentrée, Lionel Jospin a contribué plus que modérément à la campagne pour le « oui ». Héraut de la réforme à droite, Valéry Giscard d'Estaing a estimé, dans une tribune publiée par le Monde du 4 juillet, sa « mission accomplie » puis il a gardé le silence. Le chef de l'État, récemment converti aux bienfaits du quinquennat sous la pression de son Premier ministre et de Valéry Giscard d'Estaing avait fait part, dès le 5 juin, de sa préférence pour le référendum, alors que nombre de parlementaires, anticipant la désaffection des électeurs, prônaient le vote par le Congrès ; mais n'affichait-il pas son désintérêt pour une réforme qu'il avait peu défendue en l'annonçant à la télévision, précisant que, quelle que soit l'attitude des Français, vote « pour », vote « contre » ou abstention, « ce sera bien » ?

À quoi sert le quinquennat ?

Socialistes et gaullistes, qui avaient milité en faveur du quinquennat, se sont attachés à minimiser la portée de l'abstention record au référendum, n'y voyant nullement l'illustration d'un désintérêt des Français pour la politique. Le Premier ministre et le président de la République ont au contraire voulu faire de ce scrutin une première étape vers une modernisation de la vie politique.

« Meilleure respiration démocratique » pour Jacques Chirac, « progrès démocratique » pour Lionel Jospin, le quinquennat apparaît comme une nouvelle étape dans l'évolution des institutions politiques. Il instaure de nouveaux rapports entre le plus haut représentant de l'État et la nation qui peut lui renouveler sa confiance ou, au contraire, le censurer deux ans plus tôt qu'auparavant. Instauré en 1873 à l'issue d'un compromis de circonstance entre les partisans d'une République renaissante et les nostalgiques de la monarchie d'Ancien Régime, le septennat restait soumis au principe d'un président qui se situe au-dessus de la mêlée des partis, y compris aujourd'hui en période de cohabitation : un principe qui ne remettait pas en question la légitimité du chef de l'État, quand bien même le parti dont il est issu est désavoué par les urnes.

Cette irresponsabilité politique, voire juridique, est à présent remise en question par l'instauration du quinquennat, qui « démonarchise la présidentielle », selon l'expression du constitutionnaliste Olivier Duhamel. Actuellement, il s'écoule en moyenne moins de trois années entre les élections présidentielle et législatives. La synchronisation de ces deux scrutins a pour objectif de réinstituer harmonie et efficacité entre les deux types de pouvoir, législatif et présidentiel, là où le septennat n'installait qu'une « arythmie paralysante », et de renforcer le pouvoir exécutif : comme l'indique Olivier Duhamel, le président, « principal responsable de la politique suivie lorsque la majorité le soutient, ne peut se dégager de son échec et rester à l'Élysée en attendant des jours meilleurs ». Avec le quinquennat, la cohabitation devrait donc se raréfier.

Un quinquennat « sec »

Toutefois, l'adoption d'un quinquennat « sec », non assorti de réformes complémentaires, laisse un certain nombre de questions en suspens, notamment quant à la nature future des fonctions de chef de l'État et de Premier ministre, dont la durée des mandats est appelée à coïncider pendant le même nombre d'années. Ces deux fonctions risquant de « doublonner », les analystes prédisent une évolution vers un régime présidentiel dont le Premier ministre serait remplacé par un simple chef d'état-major, le président gouvernant avec l'appui de la majorité parlementaire, ou, à l'inverse, vers une relégation du président dans une fonction morale et honorifique.