Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

La disgrâce d'Helmut Kohl

Début novembre 1999, presque dix ans après l'ouverture du mur de Berlin qui annonçait le grand œuvre du chancelier Helmut Kohl, la maison CDU se lézarde au gré des soupçons de corruption qui se dégagent des procédures judiciaires entamées par le tribunal d'Augsbourg (Bavière). Le deuxième parti allemand (depuis la victoire du social-démocrate Gerhard Schröder en septembre 1998) est rapidement miné par une suite de scandales qui mettent à bas sa crédibilité et engagent sa responsabilité.

Cela commence par la mise en accusation de l'ancien trésorier de la CDU Leisler Kiep, qui est soupçonné d'avoir détenu sur son compte personnel une somme supérieure à un million de marks sans l'avoir déclarée au fisc.

Une commission d'enquête

Pour se défendre, Kiep met en cause l'ex-chancelier Kohl, qui, le 30 novembre assume la responsabilité politique de la gestion des comptes secrets de son parti. Dès le début du mois de décembre, le Bundestag nomme une commission d'enquête parlementaire de quinze membres chargée d'enquêter sur les malversations commises par les plus importants responsables de l'Union chrétienne-démocrate. Une semaine plus tard, le 9 décembre, le scandale prend une dimension internationale avec l'intervention de la justice helvétique. En effet, la justice du canton de Genève s'intéresse de près aux multiples ramifications des affaires Elf, en particulier de l'ancien complexe industriel est-allemand, les Leuna-Werke, ce conglomérat chimique qui a fait l'objet d'un rachat par le pétrolier français sous la haute protection des États allemands et français, dirigés à l'époque respectivement par Kohl et Mitterrand. Après avoir déclaré le 16 décembre 1999 devant les téléspectateurs de la deuxième chaîne de télévision (la ZDF) qu'il « avait mis à disposition des instances du parti la quasi-totalité de l'argent qu'il avait reçue », l'ex-chancelier doit admettre publiquement, quelques jours plus tard, qu'entre 1993 et 1998, il a reçu personnellement de plusieurs riches donateurs plus de deux millions de marks (soit huit millions de francs). Selon le rapport établi par le ministère public de Bonn cette somme est égale à ce que le parti a reçu pour ses frais de campagne électorales (997 000 DM), pour ses activités sociales (950 000 DM), pour des activités diverses (96 000 DM) et pour des objectifs restés flous (130 000 DM). Devant la vague de protestations qui s'élève dans l'opinion allemande, la direction du parti se trouve dans une position instable.

À la fin du mois de décembre, elle se voit contrainte de présenter un bilan corrigé pour l'année 1998. Pire, au début du mois de janvier 2000, l'héritier de Kohl lui-même, Wolfgang Schaüble, admet avoir lui aussi touché de l'argent (100 000 marks) de manière tout à fait illégale. Après les principaux membres de la direction, c'est une fédération du parti, celle du Land de Hesse qui est dans le collimateur de la justice. Annonces de transferts de fonds illicites à l'étranger et démissions se succèdent. Le 18, Kohl abandonne la présidence d'honneur de la CDU ; un mois plus tard, c'est au tour de Schaüble d'abandonner ses fonctions de responsable de la fraction parlementaire au Bundestag et celles de chef du parti. Toute la génération Kohl est « mouillée », le parti est tenu d'effectuer une révolution des cadres pour ne pas connaître une amère défaite aux prochaines élections.

Un nouveau chef pour la CDU

L'opération de lifting mène à la tête des chrétiens-démocrates une jeune Allemande de l'Est, Angelika Merkel, l'ancienne ministre de l'Environnement dans le dernier ministère Kohl. Fin juin, Kohl convoqué devant la commission parlementaire comme témoin, rejette les accusations, et refuse de donner le nom de ses généreux donateurs ainsi que des éclaircissements sur l'utilisation de ces fonds. Mais d'après l'enquête menée par les autorités judiciaires, il ne fait pas de doute pour personne que des « personnalités renommées appartenant à l'industrie et à l'économie allemande » ont alimenté les caisses de Kohl et de ses principaux collaborateurs. Des rumeurs de plus en plus insistantes mentionnent le nom du principal homme d'affaires dans le domaine des médias, Léo Kirsch, qui aurait généreusement à deux reprises – avant et après 1993 – gratifié la CDU de chèques à hauteur de 900 000 DM. Désormais la réputation du champion de la deuxième unité allemande est profondément ternie. D'autant que des langues se délient bien à propos et d'anciennes affaires remontent à la surface. Il en est ainsi de l'un des plus grands scandales de l'après-guerre du temps de la RFA : le scandale Flick : au début des années 1980, le konzern Flick avait été accusé d'avoir financé les principaux partis politiques et le chancelier Kohl, alors en fonction, avait dû se présenter devant la commission d'enquête. Devant les mêmes accusations, et pour certains d'entre eux, devant les mêmes hommes – tel l'ancien avocat écologiste Otto Schilly, devenu entre-temps ministre de l'Intérieur social-démocrate –, Helmut Kohl avait nié toute implication dans la politique de financement occulte des partis politiques menée par l'industriel. Et pourtant, aujourd'hui, l'ancien patron de Flick, Eberhard von Brauchitsch vient de déclarer que Kohl recevait des fonds – en espèces – qui n'étaient pas comptabilisés dans les comptes du parti, et qu'il ne se cachait pas auprès de lui de la fonction de ces sommes : mettre des bâtons dans les jambes de ses rivaux ou aider à l'avancement de ses fidèles. À l'époque, Kohl n'avait pas nié le financement mais avait formellement rejeté toute possibilité d'enrichissement personnel et juré que toutes les sommes reçues passaient dans les caisses du parti de la manière la plus transparente et réglementaire possible. En 1986, la justice avait blanchit Kohl de tout soupçon dans cette affaire. Ce retour d'un passé proche n'est pas sans danger pour le chancelier. En effet, même si l'affaire est jugée, elle laisse un sérieux doute planer sur sa moralité. D'autant que les témoins de ces « tripatouillages » n'hésitent plus à prendre la parole. Kohl est décidé à se battre. Son attitude agressive au cours des audiences de la commission d'enquête en dit long sur sa combativité et sa pugnacité. Mais il n'engage pas seulement une partie de bras de fer avec le Parlement, qui débouchera sur une procédure judiciaire, mais également avec l'opinion, de plus en plus excédée par ses révélations. Tant que l'ancien patron de la CDU mènera un long et difficile combat pour retrouver son honneur perdu, l'actuel chancelier Schröder peut voir l'avenir en rose. En effet, malgré tous ses efforts, la démocratie-chrétienne n'est plus – provisoirement – en position de donner des leçons à son principal rival.

Serge Cosseron

Kohl et l'affaire Flick

En novembre 1984, Helmut Kohl est convoqué devant la commission d'enquête parlementaire chargée de l'affaire Flick. Le chancelier en poste depuis deux ans déclare solennellement que tous les fonds qu'il a reçus ont été transmis au trésorier de la CDU. L'affaire se perd dans les méandres judiciaires jusqu'à ce qu'un an et demi plus tard, en janvier 1986, le député vert Otto Schilly, avocat de profession dépose une demande de mise en accusation du chancelier pour parjure. En mai 1986, après une intervention du secrétaire général de la CDU Heiner Geissler, les ministères publics de Coblence et de Bonn rejettent la demande d'Otto Schilly.