Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Russie : un naufrage

Le 12 août, le sous-marin nucléaire russe Koursk sombre dans la mer de Barents. Le sort des 118 occupants du submersible gisant par 107 m de fond tiendra la planète en haleine, mais ce n'est qu'au bout d'une semaine que Moscou accepte l'aide internationale. Celle-ci ne pourra que constater la mort de l'équipage, une issue fatale connue du Kremlin, dont le maître, Vladimir Poutine, sera vivement critiqué par l'opinion russe pour son apparente indifférence face à une catastrophe qui a suscité une campagne de désinformation digne de l'ère soviétique.

« Il n'y a plus d'espoir de trouver des survivants dans le sous-marin Koursk... » Laconique, ce communiqué du 21 août émanant des plongeurs norvégiens qui avaient réussi, après vingt-quatre heures d'efforts, à débloquer le sas de secours du submersible confirmait certes les craintes, mais mettait fin au dramatique suspense qui avait tenu la planète en haleine depuis le naufrage du sous-marin nucléaire russe au nord du cercle polaire arctique. Les familles des 118 sous-mariniers prisonniers du vaste cercueil d'acier qui gisait depuis le 12 août par 107 m de fond dans les eaux glacées de la mer de Barents, et avec elles la Russie entière, pouvaient désormais observer le deuil de ces soldats dont la mort sera confirmée aussitôt après par Moscou.

Au-delà pourtant d'un deuil partagé par l'ensemble de la nation, les ondes de choc de la catastrophe du Koursk ébranleront l'armée russe et, dans son sillage, le pouvoir de Poutine, dont la froideur semble décidément moins populaire, dès lors qu'elle ne se double pas de cette détermination qui a séduit les Russes lors du scrutin présidentiel du 26 mars.

Désinformation

Car la détermination, c'est bien ce qui aura manqué le plus au président russe pendant tout le déroulement de cette tragédie, qui a donné lieu à une campagne de désinformation rappelant l'ère soviétique, dont le maître du Kremlin est le pur produit. Les circonstances de ce drame et la façon dont l'état-major russe y a fait face, en le plaçant sous le sceau d'un secret-défense qui ne s'entrouvrait qu'à la faveur des informations distillées par Arkady Mamontov, seul journaliste autorisé, du fait de ses « états de service » en Tchétchénie, à embarquer à bord du croiseur Pierre-le-Grand, QG de la marine russe sur le site du naufrage, ont fait dans les médias et l'opinion russes l'objet de vives critiques qui éclabousseront Poutine, taxé d'insensibilité en ces heures tragiques. Tandis que l'on annonçait, avec retard, le naufrage du submersible au large de Mourmansk, le président russe rejoignait sa famille en vacances à Sotchi, cité balnéaire russe baignée par les eaux chaudes de la mer Noire. Alors que la Russie et la planète entière s'émouvaient du sort des sous-mariniers, le président russe laissait le soin de gérer la catastrophe aux militaires, qui naviguaient à vue entre des communiqués contradictoires, donnant l'impression de se soucier moins de la vie de l'équipage que des secrets militaires de la flotte du Nord.

Atermoiements

Quand, après neuf jours d'une opération chaotique et vaine, les militaires russes acceptent les secours extérieurs, il est déjà trop tard : les Norvégiens, qui sont les premiers plongeurs à accéder le 20 août au Koursk, ne peuvent que prononcer l'acte de décès de l'équipage dont les derniers signes de vie avaient été captés le 14, rendant inutile l'intervention du sous-marin de poche britannique LR5, finalement dépêché sur les lieux.

Ces atermoiements traduisent-ils l'impuissance technologique de la marine russe ou plutôt le désarroi de ses services de propagande qui savaient de toute évidence que la quasi-totalité de l'équipage avait péri dans les premières heures du naufrage, dû à une double explosion, et que l'infime espoir de sauver les rares survivants devait s'éteindre deux ou trois jours après ? Le retard avec lequel elle a répondu aux offres d'aide étrangères, d'ailleurs dictées autant par le souci de sauver l'équipage que de vérifier l'absence de fuites radioactives, visait-il à dissimuler quelque faute grave ou des tests d'armes secrètes à l'origine de la catastrophe ?

Des causes inexpliquées

Autant de questions qui obsèdent les proches des victimes venus faire leur deuil dans la base de Vidaïevo, près de Mourmansk, où ils laissent exploser leur colère devant les officiers et ministres qui les reçoivent le 20 août lors d'un face-à-face digne des riches heures de l'information soviétique : les images d'une mère éplorée piquée au sédatif alors qu'elle interpelle un gradé font le tour du monde, rappelant l'URSS d'avant Tchernobyl. Quatorze ans après l'accident de la centrale nucléaire, la tragédie du Koursk montre que la transparence est encore une notion floue en Russie, d'autant plus dans le domaine de la défense, certes tout aussi « réservé » dans nombre de pays dits démocratiques.