Le delta est un vrai labyrinthe aquatique. Un réseau dense de chenaux souvent étroits le compose et déroute les navigateurs étrangers au milieu de cet archipel tropical composé de milliers d'îles, toutes semblables et noyées sous une luxuriante végétation arboricole. S'y aventurer sans pilote est une pure folie. C'est pour cette raison que l'exploration du fleuve n'a été possible au début de la colonisation que par l'intérieur des terces. À cette époque, devant la multiplication des dangers, la plupart des marins arrivés par la mer ont dû renoncer à se hasarder plus en amont dans cet inextricable réseau fluvial.

Aujourd'hui, le voyage jusqu'à Manaus dure de six à huit jours par les bateaux de l'Entreprise de navigation de l'Amazonie. En raison des difficultés de la navigation dans le delta, les navires quittent Belém vers minuit afin de franchir la portion la plus périlleuse en pleine journée. Sur le cours principal du fleuve, la compagnie fait voyager ses navires jour et nuit, quoique la plupart des voyages sur le fleuve s'effectuent la nuit en raison du vent qui devient plus faible, de l'air qui est plus frais et du fleuve qui est plus calme.

Tout illuminés par leurs guirlandes de lampes qui se reflètent à la surface des flots, les bateaux avancent dans la nuit tropicale, qu'ils remplissent du vrombissement de leurs puissantes machineries, effrayant çà et là sur les berges proches quelques rapaces nocturnes. Sur les ponts de ces bateaux, grands ou petits, règne toujours une ambiance de fête.

À l'extrémité de la grande île de Guropa, le puissant fleuve Xingu conflue avec l'Amazone, mêlant aux eaux boueuses du géant ses eaux cristallines provenant des plateaux du Mato Grosso. Au-delà de ce passage, les rives s'écartent de plusieurs kilomètres et deviennent à peine visibles. Le fleuve est alors une véritable mer d'eau douce, aussi les Portugais ont-ils longtemps surnommé l'Amazone le « fleuve-mer ».

Une escale à Santarém

À mi-parcours, les bateaux font escale à Santarém. Avec près de 100 000 habitants, ce centre commercial implanté sur la rive droite du fleuve est la deuxième ville de l'État du Pará. À l'origine de cette ville typiquement portugaise perdue au plus épais de la forêt, un fort érigé en 1697 en aval du confluent formé avec le Tapajos pour contrôler les deux voies de communication. Aujourd'hui, le port de Santarém accueille en permanence une innombrable flottille.

Parmi les bateaux de toute taille amarrés les uns aux autres, de nombreux « autocars du fleuve ». En plus des passagers, ces caboteurs chargent toutes sortes de marchandises, entre autres du bétail. Sur les embarcadères, des panneaux indiquent les villes desservies et l'horaire de départ. Les hôtels de Santarém offrent aux voyageurs de belles excursions dans les « igarapés », terme indien utilisé pour désigner les nombreux bras qui accompagnent le cours du fleuve. Les eaux dormantes des igarapés sont très poissonneuses, aussi y croise-t-on toujours des barques de pêcheurs, les « gaiolas », embarcations typiques construites par les arsenaux locaux.

Une des curiosités naturelles à ne pas manquer ici est le phénomène de la rencontre des eaux des deux fleuves bien perceptible à cause de leurs couleurs. Le Tapajos charrie des eaux bleu-vert qui contrastent avec celles, argileuses, de l'Amazone ; sur plusieurs kilomètres, leurs eaux progressent de conserve sans parvenir à se mélanger.

Manaus, l'ancienne capitale du caoutchouc

Si Belém et Santarém doivent leur nom à des villes portugaises, Manaus porte en revanche le nom d'une nation indienne disparue, celle des Manaus. Au milieu du xxie siècle, quand le monde allait découvrir son existence, Manaus n'était qu'une bourgade de 5 000 habitants complètement isolée. Les « serinqueiros » y vivaient de la pêche, de la chasse et de la récolte du latex des hévéas, l'arbre à caoutchouc – les Indiens utilisaient l'hévéa pour confectionner des seringues. Une partie de leur récolte était alors exportée vers Belém où des artisans fabriquaient de la gomme à effacer.