Retranscrire l'intensité lumineuse du soleil dans le gel inerte de la peinture avait motivé les premiers essais de la peinture de plein air, et nourri le projet de l'impressionnisme. Dans les pas de Van Gogh, les fauves tentent de dépasser cette ambition purement rétinienne pour en faire l'enjeu d'une exaltation des sensations par la couleur pure. En décembre 1906, dans les colonnes de la revue l'Ermitage, Maurice Denis dresse le bilan de cette quête luministe. Constatant que depuis Monet le soleil est le motif de prédilection de la peinture moderne, il oppose deux traditions : l'une, plus scientifique conduisant les impressionnistes et néo-impressionnistes à traduire le soleil par le contraste de couleurs complémentaires, l'autre, plus intuitive et « lyrique », celle de Van Gogh, préférant « un bourdonnement de couleurs exaspérées ». Les toiles fauves de Matisse constituent pour Denis une possible synthèse entre ces deux formules. Pour cela, Matisse, Derain et Vlaminck substituent à la rencontre classique du jaune et du violet celle du rouge et du vert, plus tonique et scintillante, plus éblouissante : « Le tableau doit posséder un pouvoir de génération lumineuse », affirme Matisse, pour qui la couleur est susceptible de créer sa propre luminosité par le seul jeu des accords.

Le Bassin parisien, avec ses ciels mouvants, fut le berceau de l'impressionnisme. La Côte d'Azur sera donc celui du fauvisme. Entre les deux générations, une différence de degré, d'intensité. C'est cette impression d'intensité qui manque à l'exposition, trop sage, trop post-impressionniste. Avec ses vues voilées de pins, ses rochers à nu chers à Picasso et ses résonances antiques de corps lustrés, l'exposition se veut une promenade plus sensuelle que convulsive sur les rives de la grande bleue. Elle choisit d'offrir une vision indolente mais pas franchement énergique. Bien sûr, il ne s'agissait pas de faire une nouvelle exposition sur le fauvisme, mais il aurait été utile d'accorder une place plus importante aux « couleurs exaspérées ». Dans la « cage aux fauves » du Salon d'automne de 1905, plus des trois quarts des trente paysages présentés au public illustrent des vues de la côte méditerranéenne. On le sent trop peu ici, sous un éclairage lui-même trop tamisé qui tend à annuler les effets de chatoiements des toiles divisionnistes de Signac. Le projet de Signac est d'adapter la technique néo-impressionniste à la grande décoration, et de prendre ainsi la suite du très classique Puvis de Chavannes – présent dans l'exposition avec deux grandes esquisses pour le Port de Marseille, Le cadre tropézien lui offre ses effets décoratifs dépouillés de figures, de paysages tout faits. Seul demeure un ensemble éclatant de lumière, ardent et féerique, non plus source d'un éclairage atmosphérique qui blanchit la toile et dissout les formes à la manière du plein air impressionniste, mais source d'harmonie colorée. Tout comme chez Cross, les touches s'élargissent, se répandent plus librement sur la toile, les teintes sont haussées, annonçant déjà, dans les études surtout, l'élan purificateur à venir.

C'est vers le début du mois de mai 1892 que Signac arrive à Saint-Tropez, à bord de l'Olympia. Il jette l'ancre dans une petite crique, un coin de nature sauvage, la plage des Graniers, immédiatement séduit par la beauté du lieu : « C'est le bonheur que je viens de découvrir. » La Côte d'Azur, de Fréjus à Cannes, présente encore le caractère primitif qu'a perdu la Riviera, dont les hôtels luxueux et l'exotisme attirent déjà un flot de touristes. Mais l'attrait de Saint-Tropez, pour l'artiste du Nord qu'est Signac, c'est surtout sa lumière. La presqu'île orientée au nord bénéficie d'un ensoleillement privilégié. Cet éden retrouvé lui inspirera son grand tableau Au temps d'harmonie, qui marque dans son œuvre un net tournant vers une esthétique décorative. Il représente la société idéale projetée par le milieu anarchiste – auquel l'artiste appartient –, en même temps qu'il célèbre, plus simplement, l'existence méditerranéenne : la communion de l'homme et de la nature, l'amour libre, la maternité, les loisirs. C'est le temps où la médecine commence à saluer les vertus thérapeutiques des bains de soleil. Le Sud est le lieu de l'épanouissement, physique et mental. Les fauves poursuivront cette quête : faire de la lumière en peinture au moyen de couleurs énergiques. C'est à nouveau Saint-Tropez qui va les accueillir.