« Une Méditerranée en demi-teinte »

Sans lumière, pas de couleur, sans intensité, point d'éclat... On tient là une des raisons qui poussèrent les peintres, entre 1850 et 1930, sur les bords de la Méditerranée, à la rencontre d'une pureté des couleurs, de l'eau et du ciel, inconnue du Nord. Mais l'art n'est pas seulement affaire de climat, et la force du mythe, nourri de nostalgie païenne ou d'utopie politique, s'est ajoutée à l'intensité solaire pour assurer, vers 1900, le plein succès de la Côte d'Azur. Après la grande vague impressionniste qui voit les peintres migrer vers les berges de la Seine ou les côtes normandes, c'est en direction du Sud, plus tonique, que se portent les regards de ceux qui veulent redonner souffle à la peinture.

La côte méditerranéenne serait l'ultime rivage de la grande géographie romantique mais aussi le lieu de villégiature de peintres à la recherche d'une société cosmopolite qui trouve là un éden résidentiel, ou encore le lieu mythique d'une culture latine susceptible de faire front aux nombreuses crises de l'identité française.

Dernière exposition de Françoise Cachin, directrice des Musées de France, avant la grande rétrospective Paul Signac, l'exposition « Méditerranée : de Courbet à Matisse » présentée dans les Galeries nationales du Grand Palais pouvait s'attaquer à l'ensemble de ces questions. Elle ne le fait pas et déçoit pour cela. Le sous-titre laissait prévoir une réunion d'œuvres maîtresses de la modernité. Certaines sont au rendez-vous, mais perdues dans un montage scénographique très terne et, surtout, isolées dans un manque de problématique pour le moins troublant, qui semble aligner les tableaux comme les perles d'un collier. Si l'exposition nous permet de (re)voir des œuvres importantes tout en découvrant des artistes un peu moins connus, elle sombre tout de même dans le pittoresque d'un parcours dont les regroupements sont inspirés par les motifs (rochers, arbres...), voire par des critères purement topographiques (l'Estaque...). Un peu faible tout de même, à moins de vouloir en faire une simple réunion d'œuvres de plaisir – ce qui, après tout, n'est pas si mal. L'entrée dans un nouveau millénaire devrait cependant susciter des perspectives critiques plus nouvelles. Nous en sommes loin. Et c'est d'autant plus regrettable qu'à l'ère du tout image le rôle des musées est peut-être – sans lourdeur didactique – de porter un regard plus distant face aux séductions purement rétiniennes du tableau.

La fascination de la côte méditerranéenne

Jusqu'au milieu du xixe siècle, la côte méditerranéenne est surtout un lieu de villégiature sanitaire et huppé. Malades et personnalités mondaines aiment en effet y passer la saison hivernale. Si les très nombreux touristes qui peuplent les rivages méditerranéens au cours de l'hiver n'ont de cesse de vanter la douceur du climat et la beauté de la nature, ils sont en revanche moins nombreux à s'intéresse à la mer et à ses ports, jugeant ces derniers peu salubres, voire sordides. Les années 1920 marquent un tournant dans la découverte de la Méditerranée. Pour la première fois, les hôtels ouvrent leurs portes l'été. Mais c'est seulement au milieu du siècle que l'accès au sud de la France devient facile : le train Paris-Lyon-Marseille (PLM) atteint Marseille en 1856 et Nice en 1864.

La terre d'asile des peintres de la lumière

Le sous-titre, « De Courbet à Matisse », annonce les œuvres des peintres modernes qui s'enthousiasmèrent pour la côte azuréenne, depuis les réalistes des années 1850 aux fauves du début du xxe siècle. Il s'agit le plus souvent d'artistes qui viennent du nord de la Loire (Courbet, Matisse, Van Gogh, Cross...), des artistes qui vont découvrir dans le Sud un ailleurs, le contraire du paysage vernaculaire. D'autres comme Cézanne sont nés sous la lumière du Sud ; ils y puisent un rapport atavique à l'atmosphère locale. Le Midi fut découvert comme un pays inconnu, lointain, exotique, considéré d'abord comme un lieu de transit, une porte vers l'Italie. La Provence a ses villes anciennes, ses récentes stations balnéaires. Mais ce sont d'abord les rives plus sauvages, les criques et les petits ports que les peintres viennent dénicher. Une nouvelle Arcadie face au Nord industrialisé. Une Bretagne plus civilisée, plus latine, plus hédoniste et surtout plus ensoleillée. L'exposition s'ouvre avec le Bord de mer à Palavas (1854) de Gustave Courbet. Un petit personnage, vu de dos, fait face à l'océan bleu de la mer et du ciel azuréen. C'est l'immensité qui est ici visée. Non pas l'immensité sublime et terrifiante des paysages romantiques d'un Caspar David Friedrich mais celle, plus paisible et tonique, d'un horizon pur qui donne espoir et énergie. Même Ernest Messonier, le grand peintre académique des scènes militaires, découvre dans le Sud des ambiances lumineuses inédites, comme en témoigne la gamme très rutilante de son Antibes de la Promenade à cheval (1868).